Le nouveau règlement zéro déforestation de l’Union européenne s’annonce comme un complet bouleversement d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement du chocolat. Mais les parties prenantes y sont-elles prêtes ? Le point sur l’avancement du chantier, à quelques mois de son entrée en application.
À partir du 30 décembre 2024, on n’aura plus le droit d’introduire sur le marché européen du cacao, beurre de cacao ou chocolat dont la production aurait causé la dégradation de forêts. Cette interdiction s’appliquera immédiatement aux grandes entreprises, les PME disposant d’un sursis jusqu’au 30 juin 2015.
Qu’est-ce que le cacao zéro déforestation ?
Elle résulte de l’adoption en juin dernier par le Parlement et le Conseil européens du règlement 2023/15 qui soumet la commercialisation sur le vieux continent de sept matières premières1 et de leurs dérivés à la condition qu’elles soient « zéro déforestation ». C’est-à-dire qu’elles n’aient pas été cultivées sur des terres déforestées après une date de référence, le 31 décembre 2020. La définition de la forêt étant celle de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plutôt restrictive : une superficie de 0,5 hectare minimum, dont au moins 10 % occupés par des arbres de plus de cinq mètres de haut.
Devoir de vigilance pour les transformateurs
Selon le nouveau règlement, les metteurs en marché (importateurs et transformateurs) devront signer une « déclaration de vigilance raisonnée » attestant qu’ils sont en mesure fournir les informations permettant de prouver que le produit comporte un risque nul ou négligeable de déforestation. Parmi les données requises figurent notamment les coordonnées géographiques de chaque parcelle de production du cacao, les mesures d’évaluation des risques de déforestation qui ont été réalisées et les mesures de corrections éventuelles entreprises.
Rendu obligatoire sur l’ensemble du territoire européen, le futur « cacao zéro déforestation » a donc le potentiel de bouleverser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du chocolat… Les nouvelles règles imposent en effet un recensement des coordonnées GPS de chaque parcelle qui risque de peser sur les seules épaules des planteurs ou de leurs coopératives. Une dizaine de coopératives en avaient d’ailleurs témoigné lors d’une conférence organisée le 31 octobre dernier à Paris par la marque de commerce équitable Éthiquable.
Lourde tâche pour les producteurs
Témoin de l’ampleur de la tâche, il a fallu près de deux ans à la marque de chocolat équitable Kaoka pour recenser les parcelles de ses filières. Kaoka s’approvisionne en direct auprès de coopératives partenaires. La marque s’était lancée dans le cadre de la stratégie française de lutte contre la déforestation importée. Celle-ci avait en effet précédé l’adoption du règlement européen.
Si la cartographie des parcelles s’appuie sur des images satellite, l’envoi de techniciens sur le terrain est nécessaire pour parvenir à les délimiter précisément. Pour évaluer le risque de déforestation, Kaoka a par ailleurs développé son « propre référentiel avec une société filiale d’Écocert » sans attendre les instructions de la Commission européenne.
Un coût de mise en œuvre élevé
L’entreprise dispose d’un système informatisé permettant de suivre le cheminement du cacao du producteur à l’importateur. Les terrains sont contrôlés annuellement par satellite. Le budget du programme Kaoka approche les 9 millions d’euros, financé à parts presque égales le fonds pour l’environnement de l’État français, Kaoka et des organismes techniques et de recherche internationaux.
Mais tous les producteurs ne bénéficient pas d’un tel soutien. Ceux qui ne sont pas engagés dans des filières de commerce équitable, notamment, vont devoir se débrouiller « seuls face à des importateurs qui leur demanderont de fournir tous les éléments », prévoit Guy Derberdt, directeur général de Kaoka. Et les coopératives qui se réveillent maintenant vont avoir des difficultés à procurer les informations demandées. »
La tentation de se détourner du marché européen
Dans ce contexte, il n’est pas exclu que des acteurs, jugeant les procédures européennes trop coûteuses et complexes, se détournent du Vieux Continent pour approvisionner l’Amérique ou l’Asie. Les planteurs participants à la conférence Éthiquable ont cependant écarté cette hypothèse, considérant que les producteurs n’ont pas le pouvoir de se soustraire aux désidératas des grands acheteurs internationaux de la filière.
La tentation de fraudes ou d’approximations sur l’origine des cacaos est un autre risque. La Commission prévoit des contrôles aléatoires sur des lots dans une proportion qui dépendra de trois niveaux de risque de déforestation prédéfinis. Les prélèvements porteront sur 1 % des opérateurs pour les produits provenant dans les pays à faible risque, sur 3 % dans les pays à « risque standard » et sur 9 % dans les pays à risque élevé.
Interrogation sur l’efficacité des contrôles
Les contrôles aux importations seront-ils efficaces ? Le précédent d’un règlement similaire adopté il y a dix ans pour l’importation de bois incite à la circonspection. Selon un bilan dressé en 2021 par la Commission elle-même, il pourrait avoir entraîné une réduction des importations dans l’Union de bois issu de récoltes illégales comprise entre 12 et 29 %. C’est mieux que rien mais cela reste « bien loin de l’objectif initial d’un arrêt total », blâme Greenpeace. L’enjeu du règlement zéro déforestation est d’obtenir de meilleurs résultats.
1 huile de palme (34 % de la déforestation importée), soja (32,8 %), bois (8,6 %), cacao (7,5 %), café (7 %), bovins (5 %) et caoutchouc (3,4 %)