CARTE BLANCHE 47
Il a suffi d’un reportage d’Emmanuelle Jary pour que les commandes en poires tapées de ma jeune épicerie s’envolent, passant de 3 sachets à 150 en un mois. Un miracle pour l’apprenti épicier que je suis, et sans doute quelques soucis de plus pour Philippe Blot, l’un des tout derniers producteurs de poires tapées en France.
C’est en 1995 que cet ancien aiguilleur du ciel installé à Rivarennes – capitale mondiale de la poire tapée – s’est intéressé à ce savoir-faire typique du Val de Loire. Depuis, avec son épouse, ils consacrent leur vie à cette pratique, vestige d’une ère où réfrigération, surgélation et sous-vide ne sévissaient pas encore. Une petite révolution pour l’époque puisque cette méthode de conservation permettait de conserver les fruits (et leurs bénéfices énergétiques) durant très longtemps. Davantage encore que les pommes et les poires qui se conservent quelques mois naturellement bien en cave.
Des revendeuses de poires tapées circulaient dans les rues de Paris
L’histoire raconte que la recette de la poire tapée remonte au temps des croisades et qu’elle serait une déclinaison de la prune séchée de Damas. Dès le 12e siècle, sa production a été facilitée par l’extension des vergers et la multiplication de grands fours dans les fermes de France. Particulièrement rentable, sa fabrication est allée grandissante et le rayonnement de la poire tapée, considérée comme un produit noble, n’a cessé de croître : jusqu’au point de devenir le mono-produit (avec les poires fraîches et cuites) de revendeuses circulant dans les rues de Paris ! Au 19e siècle, la commercialisation des poires tapées (pommes tapées et pruneaux de Tours) venues de Rivarennes est à son maximum : 150 tonnes de fruits séchés par an sont écoulées partout en France. C’est aussi le premier revenu des fermes des environs. Et puis, pour cause de main-d’œuvre manquante (la Première Guerre mondiale était passée par là), cette production a commencé par décliner jusqu’à s’arrêter complétement avec l’extinction du dernier four en 1932. Il a fallu attendre 1987 pour que des passionnés d’histoire et de tradition culinaire décident de relancer la production.
Un vrai produit d’épicerie fine
Philippe Blot fait partie de ces passionnés. Se rendre dans sa petite boutique à Rivarennes, c’est comme se rendre en pèlerinage. La poire tapée est, on peut le dire, un vrai produit d’épicerie fine, séculaire et rare. Au-delà de sa rareté, ce trésor du terroir du Val de Loire nécessite près de 70 heures de travail. Vous prendrez plaisir à raconter sa fabrication, sa complexité. Parce que le chemin qui mène à ce délicieux goût de poire et cette sucrosité surprenante pour un fruit sec repose sur un équilibre fragile. Elle doit être sèche pour ne pas développer de moisissure et tendre à la fois pour ne pas être dure comme du bois : ce qui implique une semaine de travail !
Du lundi au dimanche
D’abord le lundi, pendant que son vieux four prend vie et s’enflamme, Philippe trie les poires et les épluches. Une fois la température de 180 °C atteinte, les cendres sont retirées, le four brossé, les poires mises à nu sont enfournées.
Ses fruits restent d’abord deux jours au four porte entrebâillée pour que la vapeur s’échappe et obtenir la déshydratation attendue. Puis les claies sont sorties du four, Philippe remet le feu, la température remonte. Les fruits sont alors resserrés sur les plateaux pour que la déshydratation soit uniforme. Une fois le four chaud et les fruits retournés, on nettoie et on réenfourne. L’opération se répète deux fois, jusqu’au vendredi.
Le samedi matin, Philipe frappe ! Les fruits fripés sont tapés un à un avec un marteau de bois. Le but : chasser toute trace d’eau à cœur. C’est ce geste qui donne sa forme définitive et typique à la poire tapée. Un dernier passage de 48 heures dans le four sans le rallumer et les poires sont prêtes.
Au final, en une semaine, des 180 kilos de poires enfournées le premier jour, il n’en restera que 20 kilos le dimanche. Quand l’eau de la poire s’évapore, son prix s’envole !