La demande est grandissante : les cafés parfumés ont le vent en poupe. Cependant, lorsqu’on interroge les spécialistes sur l’opportunité d’associer grand café
et arôme, c’est le scepticisme qui l’emporte. D’où notre question : le café aromatisé a-t-il sa place dans le haut de gamme ?
Un marché qui intéresse
Cette prédisposition n’a pas échappé aux grands acteurs du marché. Le géant Nespresso propose ainsi ses dosettes Caramelito, composées d’un assemblage d’arabica et d’une saveur caramel légèrement vanillée ou encore Ciocattino, un café aux notes de chocolat noir. Ces combinaisons quelque peu classiques fonctionnent bien en France, c’est indéniable. La Brûlerie Caron a pu vérifier cette attente de la part de certains consommateurs. “On en propose dans les machines de distributeurs automatiques dédiées aux professionnels (pour les entreprises/CHR…) car il y a une grosse demande, mais nous ne travaillons pas nous-mêmes ce produit, ce n’est pas notre café qui est aromatisé”, précise Julie Braud, chef de projet marketing et communication de la maison Caron. Café d’exception et parfums ajoutés ne font visiblement pas bon ménage et les amateurs de grand cru considèrent clairement que cette mode n’a rien à faire dans leur tasse !
“ Il n’y a aucun arôme aussi riche et complexe que celui d’un très bon café.”
À la noisette, à la vanille ou encore aux épices… Malgré le regard réprobateur des amateurs de cafés de spécialité, les cafés aromatisés ont bel et bien la cote… Principalement auprès du jeune public il est vrai, qui, d’après un sondage Yougov(1) , sont 56 % entre 18-24 ans à consommer quotidiennement du café, avec une première expérience – la fameuse première tasse – entre 16 et 20 ans pour 48 % des Français. Une tendance confirmée par une autre étude réalisée par Mintel(2) en 2018 : les consommateurs de café appartenant à la tranche des 16-24 ans tendent à apprécier davantage que leurs aînés le goût du café au lait ou du café aromatisé aux épices ou aux parfums sucrés. Pour ces débutants, le café est le plus souvent assimilé à un moment gourmand. Une aubaine pour les promoteurs du café aromatisé qui trouvent ici un public à séduire ! Avec d’autant plus d’aisance que les associations gustatives sucrées et parfumées permettent de désacraliser le breuvage noir.
Un tabou chez les puristes
L’éventail des parfums a beau être vaste – amande, cannelle, tiramisu, marron glacé ou encore fève tonka… – le constat est sans appel. Pour la Brûlerie de Belleville, torréfacteur de café de spécialité, les cafés aromatisés ne sont que des cachemisère. “Nous proposons des cafés très haut de gamme et pour nous, les cafés aromatisés servent à masquer quelque chose, notamment un café de mauvaise qualité”, explique sans détour Thomas Lehoux, cofondateur de la Brûlerie de Belleville. “Il n’y a aucun arôme aussi riche et complexe que celui d’un très bon café”, ajoute-t-il. Plus incisive encore, Christina Chirouze, propriétaire de La Caféothèque à Paris, voit l’aromatisé comme un sacrilège. “Aromatisé est un mot banni de notre vocabulaire. L’arôme est déjà inclus dans le café. Aromatiser un café, c’est comme aromatiser un grand bordeaux !”, s’offusque-t-elle. Les grands cafés sont à considérer comme les grands vins ; ils ne doivent pas être dénaturés par un parfum qui masquerait la complexité de leur saveur naturelle. Se définissant par leur qualité gustative unique, les cafés de spécialité ne peuvent être traités comme une boisson à base de café ordinaire. La conclusion est visiblement toute trouvée : ajouter des arômes est une hérésie. Toutefois, si Christina Chirouze et d’autres spécialistes du café sont réfractaires à l’aromatisation, une porte s’ouvre dès que l’on parle mixologie et barista.
L’exception des cocktails premiums
“De très bons cocktails à base de café existent” tempère la gérante de La Caféothèque. Des cours de mixologie ont d’ailleurs lieu au sein de son établissement situé rue de l’Hôtel de Ville. Aussi, pour certains événements, la torréfactrice réalise ses propres cocktails : “On choisit le cru et on réfléchit sur la façon de préparer le dosage. Tous les ingrédients sont pris séparément. Un expresso du Guatemala avec ses notes de rose et de jasmin se mariera avec une infusion de tilleul”, explique Christina Chirouze. De son côté, la maison Caron avait imaginé pour Noël dernier un kit prêt à l’emploi proposé chez les revendeurs, avec du café Caron et une bouteille de sirop de pain d’épices”. “On va aussi travailler un capuccino avec du sirop Monin à la noisette”, indique Julie Braud. Les ingrédients doivent être de qualité pour rehausser le café. Ainsi un sirop pourra être utilisé tant que le critère qualitatif est respecté. Quant à la préparation du cocktail, elle se fait sur l’instant, avec le barista aux commandes. “Régulièrement, à la boutique, nous proposons le cocktail du barista”, informe Julie Braud. Au même titre qu’un barman, ce dernier peut réaliser de savoureux mélanges. Mais attention à ne rien laisser au hasard, la pratique de la mixologie requiert un savoir-faire certain : celui d’accorder les saveurs et les textures, mais aussi avoir une connaissance parfaite de son produit.
Magnifier le café
Cette discipline est reconnue par les professionnels du café qui suivent de près, chaque année, les résultats du Coffee In Good Spirits, prestigieux concours que Mikaël Portannier a gagné deux fois. Le champion de France 2016 et 2017 dispense désormais son expertise chez Lomi. Cette maison de torréfaction propose de l’équipement, des formations et possède également un coffee shop à Paris. Mikaël Portannier y travaille depuis près de trois ans et forme particuliers et professionnels (des CHR) à l’univers du café via des cours et des ateliers. Côté mixologie, l’ancien barista est un virtuose. “J’ai appris la mixologie de base dans un hôtel 5 étoiles à Luxembourg-Ville : comment marier les alcools, les liqueurs…” raconte-t-il. Le jeune homme a ensuite multiplié les concours pour se faire une place dans le monde du café et des cocktails. Pour lui, la mixologie ne dénature en rien le produit et sublime au contraire ses arômes naturels : “Je pars toujours d’un café que j’ai déjà goûté et j’analyse les notes (florales, fruitées…), puis j’ajoute en fonction quelque chose qui peut le magnifier”. Bien loin des arômes artificiels de vanille, Mikaël Portannier a déjà associé expresso du Kenya, gin, liqueur de combava maison et poivre de Timut… Selon l’expert, tous les cafés peuvent être dégustés en cocktails (et sans forcément y mettre de l’alcool). “Pour l’été, le café infusé à froid peut se marier avec des sirops ou des jus”, conseille-t-il. Le Cold Brew parfumé marche notamment très bien auprès des jeunes générations.
Julia Kadri