En 1924, le théosophe austro-hongrois Rudolph Steiner donna une série de conférences connues sous le nom de « Cours aux Agriculteurs » qui fondèrent la biodynamie. Cent ans plus tard, ce mode de production précurseur de l’agriculture biologique continue de recruter des adeptes dans 65 pays, en dépit de critiques sur ses fondements et pratiques culturales ésotériques.
Créée il y a 45 ans, l’association Demeter France est le principal organisme certificateur en agriculture biodynamique dans l’Hexagone et en Belgique. Elle a labelisé plus de 1 000 producteurs et près de 25 000 hectares en 2022, soit 20 % de plus que l’année précédente. En pleine crise de la bio, le ventes de produits Demeter a augmenté de 10 % entre 2019 et 2022 en magasins bio (Source : Agence Good, voir ci-dessous). Certes, la biodynamie reste une niche (moins de 3 % du CA du circuit). Mais le label jouit d’une confiance élevée auprès des consommateurs habitués de la distribution bio. Aurélie Truffat, directrice marketing et communication de Demeter France, décrit les ressorts d’un label historique qui a de l’avenir.
LE MONDE DE L’ÉPICERIE FINE – Qu’est-ce qui singularise Demeter par rapport au reste de l’agriculture biologique ?
Aurélie Truffat – Tout d’abord, il faut être bio pour être certifié Demeter. C’est un prérequis. Demeter ajoute à l’AB un certain nombre d’exigences complémentaires qui couvrent tous les aspects du travail sur la ferme : préservation des sols, bien-être animal, réduction des déchets, biodiversité, respect humain… Cela passe par exemple par des espaces plus importants pour les animaux, un minimum de 10 % des parcelles dédiées à la biodiversité (nichoirs, couvert végétal, etc.), l’apport de compléments naturels à base de minéraux pour les renforcer préventivement les sols ou l’interdiction du travail forcé à l’étranger. L’objectif est de renforcer la vie sur tout le domaine de l’exploitation.
Dans la transformation, les produits doivent contenir au moins 90 % de produits Demeter. Les matières premières doivent être le moins possible altérées par le processus de fabrication. L’extrusion, les sels nitrités et de nombreux additifs qui restent tolérés en agriculture biologique sont ainsi prohibés. Nous sommes aussi très attentifs aux emballages, nous évitons les suremballages et les packaging contenant du plastique, comme les Bag-in-Box dans le vin par exemple.
LMEF – Avec la notion de « bio augmentée », l’agriculture biologique tend elle-même à renforcer ses exigences. Est-elle en train de rejoindre la biodynamie ?
A.T – D’une certaine manière, elle s’en rapproche. Mais la réglementation européenne de l’agricuture biologique ne prennent pas en compte la globalité de la production en termes de transformation, de respect humain ou d’emballages. De plus, le cahier des charges Demeter n’est pas statique. Il évolue en permanence. En ce moment, nous travaillons à un renforcement de nos obligations en matière sociale et de biodiversité.
LMEF – L’association Demeter France est son propre certificateur. Comment assurez-vous le contrôle des producteurs labelisés ?
A.T. – Pour les contrôles, nous collaborons avec les organismes certificateurs de l’AB comme Ecocert et nous avons nos propres auditeurs. Le premier audit est fait par Demeter. Nous nous arrangeons pour qu’un producteur ne soit pas contrôlé plus de trois ans de suite par un même auditeur et alternons les audits AB et Demeter.
LMEF – Le coût de la certification est-il élevé ?
A.T. – Le coût de l’audit Demeter s’ajoute à celui de l’AB. Nous appliquons une mutualisation permettant de réduire le coût pour les plus petits producteurs. Les tarifs d’audit s’étagent de 300 à 1 000 €. Chaque produit est certifié individuellement mais l’audit prend également en compte les engagements de la structure sur les questions de respect humain et de responsabilité écologique.
LMEF – En France, la biodynamie a principalement été adoptée en viticulture. Vous développez vous dans d’autres secteurs ?
AT – Demeter est présent dans 65 pays. En France, les deux-tiers des adhérents sont des vignerons. C’est une particularité nationale. Elle est liée au poids de la viticulture dans l’Hexagone mais aussi au fait que beaucoup de conseillers viticoles se sont intéressés à la biodynamie dans l’Hexagone. Celle-ci fait écho au lien avec le terroir qui est très recherché par les vignerons. Mais nous certifions aussi les produits d’autres secteurs alimentaires et même non alimentaire. Les certifications Demeter sont en croissance dans tous les secteurs.
LMEF – Les ventes de produits Demeter sont-elles en croissance ?
AT – Nous ne sommes pas épargnés par les difficultés du marché bio et par le recul des réseaux bio en particulier. C’est moins le cas d’autres réseaux spécialisés où l’on trouve des produits en biodynamie comme celui des épiceries fines. Reste que le label Demeter jouit d’une grande confiance et d’un taux d’engagement très fort auprès des clients de réseaux spécialisés bio.
Propos recueillis par Olivier Costil