Blaise Desbordes (Max Havelaar) : « la financiarisation des denrées alimentaires va trop loin »

À l’occasion de la Journée internationale du café et de celle du cacao, qui ont lieu ce mardi 1er octobre, le directeur général France de la marque de commerce équitable Max Havelaar délivre son analyse de l’explosion des cours de ces deux matières premières et prend fait et cause pour le nouveau règlement européen « anti déforestation importée ».  

LMEF – Que se passe-t-il actuellement sur le marché mondial du café ?

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Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France

Blaise Desbordes – Le café est une matière première cotée en Bourse, à New-York pour l’arabica et à Londres pour le robusta. Il s’avère que les cours respectifs de ces deux variétés sont au plus haut.

Pour l’arabica, les cycles de hausse et de baisse sur plus ou moins cinq à dix ans sont récurrents. Ces deux dernières années toutefois, les cours font du yo-yo à un niveau élevé, ce que j’interprète comme le signe avant-coureur d’un changement structurel. Quant au robusta, le cours a été multiplié par trois en quatre ans et se rapproche de celui de l’arabica. Or le robusta coûte un peu moins cher à produire que l’arabica, est plus consommé dans les pays émergents et est usuellement utilisé en mélange (blend) avec de l’arabica pour compenser le coût plus élevé de ce dernier. Mais si le cours du robusta se maintient à son haut niveau actuel, cela ne sera plus possible.

LMEF – Comment s’explique le maintien de ces cours au plus haut ?

Il y a les interprétations du marché et celle de Fairtrade Max Havelaar. La première explication « marché » est celle de la croissance de la demande. La consommation de café progresse en Asie et plus particulièrement en Chine. Chaque Chinois consomme en moyenne environ 300 grammes de café par an. En France, c’est 3 kilos et dans les pays scandinaves, le double. Cela donne une idée de l’énorme potentiel du café dans le monde.

« Les traders adorent les aléas du marché autant qu’ils les détestent »

Blaise Desbordes

Une deuxième explication est météorologique. Le Brésil, premier producteur mondial, souffre de sécheresse. Le Vietnam, deuxième producteur mondial, qui cultive principalement du robusta, a subi les dégâts des typhons. Une troisième explication, est que les traders adorent les aléas autant qu’ils les détestent. Ils les redoutent parce que cela crée de l’incertitude et en raffolent parce que cela permet de spéculer…

LMEF -Selon vous, le changement climatique profite donc aux traders ?

Notre interprétation de la situation actuelle est que l’on est allé beaucoup trop loin dans la financiarisation des matières premières alimentaires. Nous pensons que la tendance à homogénéiser, uniformiser et ”titriser” – c’est-à-dire transformer la valeur réelle en valeur papier – des denrées est délétère. Elle ignore les êtres humains qui fabriquent les produits, les territoires qui les façonnent et les écosystèmes qui leur sont liés.

« Il faut « décommoditiser » les matières premières alimentaires »

Blaise Desbordes

Vous avez aujourd’hui en début de chaîne, des producteurs dans l’extrême pauvreté, au milieu des traders qui gagnent énormément d’argent et dont l’activité favorise la pénurie en aval. Pour les traders, le café ou le cacao ne sont qu’un commodity (traduction : une marchandise, NDLR). Nous sommes convaincus qu’il faut « décommoditiser » les matières premières alimentaires.

LMEF – Cette « définanciarisation » permettrait-elle de mieux limiter les dommages environnementaux ?

Les 400 millions de personnes qui pratiquent l’agriculture familiale sur de petites parcelles, à la base de la production de café ou de cacao, sont des protecteurs de climat. Les producteurs de moyenne montagne qui cultivent sous ombrage par exemple, rendent des services environnementaux que l’on peut rémunérer. Quelques centimes de plus par kilo suffisent. Nous avons été qualifiés de doux rêveurs parce que nous préconisons un revenu minimum. On a voulu nous enfermer dans une niche marketing. Mais aujourd’hui on voit bien que nous avions raison.

« La bombe climatique est probablement en train d’exploser dans les pays du café et du cacao »

Blaise Desbordes

En France comme dans les pays tropicaux, les petits producteurs sont déstabilisés. On essaie de s’en sortir en favorisant des agricultures qui génèrent encore plus d’externalités négatives. C’est se tirer une balle dans le pied ! Nous pensons que la bombe climatique est probablement en train d’exploser dans les pays du café et du cacao. L’actuelle tension sur les marchés est aussi significative d’une vérité des prix écologique. Structurellement, les coûts cachés de la filière café n’ont pas été intégrés.

C’est pourquoi nous pensons que les cours resteront durablement assez haut. Toutefois, le fait que le marché du café se ”premiumise” est une chance. Le salut viendra peut-être du café de qualité. Les marques premium commencent à investir dans la filière en remontant jusqu’aux producteurs. Le salut viendra peut-être du café de qualité. Nous pensons qu’il est possible de garantir pour un certain nombre de produits dont le café, des prix planchers dans l’intérêt général.

« Le salut viendra peut-être de la ”premiumisation” »

Blaise Desbordes

LMEF – Le règlement européen sur la déforestation importée, aujourd’hui sous le feu des critiques, est-il un outil efficace ?

Aujourd’hui des lobbys veulent supprimer ce réglement et le chancelier allemand Olaf Scholz a même fait pression sur la Commission pour en repousser l’entrée en vigueur… Il est vrai que son entrée en vigueur au 1er janvier 2025 crée des turbulences. Tout le monde tâtonne un peu pour produire les documents qui prouvent que les matières premières des produits qui seront en rayon n’ont pas été la cause de déforestation. D’autant que l’on ne dispose pas encore du retour de la Commission Européenne sur les documents produits ni même de la liste des pays à risque ! Mais cela ne doit pas être un prétexte pour tout annuler. Sur le fond, ce texte est formidable !

« Les producteurs Max Havelaar sont en conformité avec le réglement anti déforestation depuis deux ans »

Blaise Desbordes

Pour la première fois, un dispositif est porté par une ensemble régional puissant et doté d’un marché pour mettre en place le suivi et la traçabilité des matières premières importées. Nous ne sommes pas inquiets de la capacité des producteurs du commerce équitable à se mettre en conformité avec le règlement européen anti déforestation. Les 800 000 caféiculteurs Max Havelaar sont en prêts depuis deux ans. Notre seule crainte est qu’ils n’arrivent pas à fournir les papiers dans les temps ! Nous demandons à la Commission de faciliter les procédures de déclaration pour les adapter à une chaîne d’approvisionnement composé de millions de petits producteurs parfois isolés et peu équipés.

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