A la tête de George Cannon où il a succédé à son père, Augustin Scala présente dans cet entretien tout ce qui fait la particularité de cette maison de thé réputée pour son exigence et sa créativité.
Des savoir-faire multiples
LMEF- Vous insistez sur la diversité de vos savoir-faire, allant de la sélection à la création et l’aromatisation. Pouvez-vous nous décrire concrètement ce qui distingue George Cannon dans chacune de ces étapes ?
AUGUSTIN SCALA – La sélection est intimement liée au savoir-faire de la dégustation, présent dans tous les pays producteurs et consommateurs de thé. La dégustation nécessite un strict respect des règles de préparation, afin de déterminer, et de jauger la qualité des thés. La maitrise des codes est ainsi particulièrement importante lorsque l’on visite un jardin producteur, devenant un langage commun. Au-delà de cette technicité, la dégustation des thés s’apparente au métier de sommelier et chez George Cannon on entraine le nez, le palais et surtout la mémoire olfactive.
Ainsi, la sélection ne va pas sans la maîtrise de la dégustation, la qualité de l’une dépendant de l’excellence de l’autre.
Pour les plantes et infusions, le travail de sélection est identique. Aucun produit n’est sélectionné chez George Cannon, sans une analyse organique.
Chez George Cannon, le travail de création et d’aromatisation dépend directement du travail de sélection. En effet, tous les mélanges que nous élaborons respecte un équilibre entre les goûts choisis (apportés par des fruits ou des arômes), et le goût du thé ou de l’infusion et la base le thé (noir, vert, etc.). C’est l’une des principales difficultés : trouver le subtil équilibre entre les différents goûts, certains étant parfois dissimulés et ne servant qu’à soutenir l’équilibre du mélange.
LMEF – Quels sont les critères qui guident vos choix de thés à l’origine avant tout travail de création ?
A.S – Tous les thés que nous sélectionnons doivent respecter différents critères organoleptiques bien sûr, et quelques critères plus différents, l’aspect de la feuille, la densité. Certains critères sont plus industriels que d’autres. Nous devons trouver des produits qui correspondent à l’ensemble de l’offre que nous souhaitons proposer, large, de bonne qualité, en nous attachant à un point essentiel pour nous qui est un bon équilibre de rapport qualité prix. Nous attachons aussi une importance particulière à proposer dans notre offre, une large gamme de produits BIO, ce qui permet de garantir une chaîne de production et un produit plus sain pour le consommateur et les producteurs. Cette norme voit ses critères appliqués depuis la plantation jusqu’à la production dans nos ateliers.
D’autres considérations peuvent aussi entrer en jeu, et notamment le choix de travailler un thé ou une origine en particulier, comme c’est le cas avec l’une de nos dernières créations de Noël, « Mie & Merveilles », qui s’appuie sur une base de thé noir BIO du Rwanda.
LMEF – Comment se passe la partie « création » et aromatisation : avez-vous une équipe dédiée, un laboratoire interne ?
A.S – Ces parties sont effectivement très stratégiques pour nous, et impliquent du temps et de l’expérience. Pour la création, le travail d’assemblage de saveurs pour obtenir un résultat équilibré, juste et conforme à l’idée première de la recette nécessite plusieurs essais, parfois longs et, parfois, sans succès.
Nous procédons un peu comme un pâtissier créerait une nouvelle recette. Les inspirations sont multiples et les concepts peuvent venir de partout : une suggestion des équipes, une demande d’un client, un coup de cœur pour une expérience, y compris hors alimentaire. Une fois l’idée validée, un binôme création / production se met en place pour faire avancer le projet. Nous disposons effectivement d’un espace dédié pour ce travail de développement, et nous avons mis en place une échantillothèque d’arômes pour pouvoir fonctionner avec agilité et rigueur. Une fois la création validée, la recette est industrialisée et il est temps de la mettre en œuvre et en production. Si toute la partie création & production (ainsi que le conditionnement) sont faites dans nos ateliers, la partie fabrication des arômes est le métier de spécialistes, majoritairement français, dont c’est le savoir-faire et l’expertise industrielle.
Un savoir-faire français
LMEF – Vous préférez parler de « savoir-faire français » plutôt que de « fabrication française ». Qu’est-ce que cela recouvre pour vous ?
A.S – Nous pourrions parler des deux. En effet, notre fabrication est française : nos ateliers sont situés dans les Yvelines. Nous parlons ici de l’assemblage des mélanges, aromatisés ou non, et du conditionnement. Notre savoir-faire en matière de créations parfumées se caractérise par notre capacité à associer, créer et développer des recettes uniques, mais aussi à sélectionner les meilleures matières premières et à maintenir un niveau d’exigence élevé. Au même titre que pour la food, cette compétence gastronomique d’assemblage est souvent recherchée à l’étranger, au Japon ou au Moyen-Orient, par exemple, au nom d’un certain « goût à la française ». Et soyons un peu chauvin, cette bonne réputation est souvent justifiée.
LMEF – En quoi le fait de fabriquer et conditionner vos thés dans vos propres ateliers constitue-t-il une spécificité rare en France ?
A.S – Cette double casquette de créateur et de fabricant nous permet de nous distinguer. Nous sommes une maison historique, nous avons fêté nos 125 ans et nous continuons à importer nos matières premières. Nous travaillons d’ailleurs encore aujourd’hui avec des fournisseurs dont les familles travaillaient déjà avec mon grand-père. Depuis l’apparition de l’aromatisation dans les années 70 chez George Cannon, nous l’avons toujours fait dans nos locaux. Cela nous permet une maîtrise de nos process de fabrication, de notre sourcing, de la qualité et cela nous permet également une grande flexibilité pour de la création de mélanges. Ça nous permet en plus de pouvoir offrir une gamme très large (plus de 1000 références) tout en maitrisant les coûts grâce à une absence d’intermédiaires.
LMEF – Comment ce savoir-faire français est-il perçu à l’international ? Est-ce un atout commercial fort ?
A.S – Quand on parle de gastronomie, le savoir-faire français a toujours bonne presse. Le thé et les infusions ne font pas exception et bénéficient de cette excellente réputation, très liée avec l’exigence des consommateurs français. D’ailleurs, j’ai pu moi-même constater lors de mes voyages que les consommateurs de thé français sont souvent plus attachés aux bons thés que d’autres nations qui pourtant en consomment beaucoup plus.
L’importance du bio
LMEF – Vous accordez une place importante au bio dans vos collections. Quelle part de vos thés est aujourd’hui certifiée bio ?
A.S – Aujourd’hui, un peu plus de la moitié de nos produits sont certifiés BIO : on retrouve ainsi des thés « pure origine » (c’est-à-dire sans aromatisation), des mélanges aromatisés, des mélanges de plantes ou des infusions pures ou aromatisées. Ce choix a des impacts industriels important, que ce soit dans nos approvisionnements bien entendu, mais aussi dans nos process qualité et dans nos méthodes de production.
Et au-delà du BIO pour lequel nous sommes certifiés depuis plus de 25 ans, nous favorisons depuis toujours la consommation de produits en vrac, afin de limiter les déchets. Nos emballages, nos produits conditionnés suivent également cette tendance, sans pour autant sacrifier la qualité des produits, nous favorisons l’utilisation de boîte métal réutilisables, nos sachets individuels sont faits à partir de fibres végétales… Ces problématiques sont pour nous des sujets quotidiens.
LMEF – Au-delà du label, comment garantissez-vous la traçabilité et la qualité de vos produits en général ?
A.S – Il faut avoir en tête que la réglementation française est très exigeante pour l’industrie agroalimentaire : en tant qu’importateur et fabricant, nous avons des obligations fortes pour garantir la qualité de nos produits. Et en mettant en place la certification BIO il y a plus de 25 ans, nous avons acquis de solides acquis en matière de traçabilité : nous avons mis en place certains process en interne et utilisons un outil informatisé qui permet un suivi optimum de la traçabilité des thés et infusions que nous commercialisons. Enfin, nous pouvons compter sur la connaissance de nos producteurs, l’absence d’intermédiaire, un sourcing maîtrisé, ou encore une production internalisée, pour garantir l’excellence de nos produits.
Vision & différenciation
LMEF – Le marché du thé en France est concurrentiel, avec une offre de plus en plus variée. Quels éléments différencient aujourd’hui George Cannon ?
A.S – Un des facteurs différenciant chez George Cannon est cette maîtrise totale de la chaîne produit, de la sélection et de l’achat des matières à la vente aux clients professionnels ou particuliers. Nos savoir-faire sont complets, historiques et français.
Par ailleurs, ce qui nous distingue est sans doute notre position indépendante : nous sommes une Maison familiale qui travaille « de professionnel à professionnel » : notre réseau de vente est principalement constitué de spécialistes, souvent eux-mêmes indépendants, ce qui fait de nous un importateur et un fabricant à l’écoute des besoins du marché et des consommateurs. Et cela se traduit dans nos innovations, avec une part croissante des infusions par exemple.
Enfin, au cœur de nos savoir-faire, rappelons-le, on trouve l’art de la dégustation et la maîtrise des goûts : nos créations sont reconnues pour leur justesse et leur élégance, sans ajout indésirable.
LMEF – Comment conjuguez-vous tradition et innovation dans vos créations de thés aromatisés ?
A.S – Le thé est un savoir-faire traditionnel : les Chinois aromatisaient depuis toujours leur thé (on pense notamment au thé jasmin). Ce mode de consommation et cette boisson sont donc traditionnels par nature et certaines associations sont de grands classiques (Earl Grey, Goût Russe,…) rentrés dans la culture populaire du thé. On peut dès lors se sentir libéré de toute tendance puriste voire élitiste.
Ceci étant dit, chez George Cannon, le respect des traditions, des préparations authentiques et de « l’esprit » originel du thé reste particulièrement important et s’explique par le fait que nous sommes aussi sélectionneur de thés de grande origine, activité qui nécessite un grand respect des cultures. Nous faisons donc particulièrement attention au choix du thé lors de la création.
L’innovation dans les créations parfumées de la Maison a toujours été présente : elle vient de la créativité et de l’originalité des associations de goûts, de plantes et de couleurs de thés différentes. Audacieuses, inattendues, elles invitent à explorer de nouvelles saveurs et à vivre une expérience de dégustation nouvelle.
De manière générale, l’innovation peut aussi naître de nouveaux usages de préparation, qui peuvent rendre la consommation du thé plus accessible. Un bon exemple est le Matcha, qui existe au Japon depuis des siècles et qui est moins consommé en cérémonie, au profit d’une préparation instantanée et mélangée (en latte). On peut aussi citer l’essor des thés et infusions glacés.
LMEF – Quels sont vos projets ou priorités pour les prochaines années ?
A.S – Notre priorité est de continuer à proposer des produits de qualité, avec toujours le BIO au cœur de nos développements, et de continuer à gagner en notoriété auprès du grand public.
La présence dans les boutiques physiques est pour nous tout à fait stratégique et nous avons à cœur de renforcer nos liens avec les spécialistes. Nous sommes convaincus que l’expérience en boutique est essentielle, tout comme le lien de confiance qui s’installe entre les consommateurs et leur épicier fin.
C’est pourquoi nous continuons d’élargir la gamme et de fournir à notre réseau de revendeurs l’accompagnement dont il a besoin pour apporter ce conseil au consommateur.
Et nous continuerons à bousculer nos acquis et à développer notre créativité : les possibilités avec le thé et les plantes sont infinies !
Fiche contact
Maison George Cannon
Olivier Quaranta, directeur commercial
01 30 16 81 00
www.georgecannon.fr
www.instagram.com/georgecannonparis