Après avoir traversé des turbulences, la coopérative de magasins Biomonde s’est dotée d’un nouvelle équipe dirigeante. Ils nous expliquent leur philosophie et le nouveau projet commun de la coopérative. Interview de Raphaël Faucheux, président et Philippe Poniewira, directeur général, Biomonde Solidarité, parue dans le magazine Le Monde du Bio Gourmet d’octobre 2021.
Le Monde du Bio Gourmet – Raphaël Faucheux, vous avez été élu président de la coopérative Biomonde Solidarité le 26 avril dernier, pouvez-vous vous présenter ?
Raphaël Faucheux : J’ai 44 ans, je suis Lillois et je dirige Harmonie Nature depuis plus de vingt ans. C’est une entreprise familiale qui a été créée par mes parents en 1998. Mon magasin occupe 300 m2 dans un quartier du nord-ouest de Lille. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 1,5 million hors-taxes avec un effectif de 10 personnes et. Nos priorités sont l’ancrage local, le travail avec les petits producteurs et le zéro déchet, notamment via le vrac.
LMBG – Vous êtes aussi vice-président du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) de Lille Métropole. Être patron de magasin bio et membre d’une association patronale, c’est peu courant, non ?
R.F. : Détrompez vous ! Nous sommes plusieurs au CJD ou dans d’autres réseaux patronaux à diriger des magasins bio, dont quelques Biomonde. Être dans son magasin c’est bien. Ne pas rester seul dans son métier de chef d’entreprise, c’est mieux… Cela fait dix ans que je fais partie du CJD à Lille, cela m’a beaucoup apporté en termes de partage entre pairs, de formation, d’information et d’expérimentations sur de nouveaux modèles d’entreprises, etc. Cette ouverture est aussi l’atout d’une coopérative comme Biomonde.
LMBG – Depuis quand êtes-vous adhérent Biomonde ?
R.F. : Depuis le 1er janvier 2021… Notre arrivée a été préparée pendant une année environ. Le temps de faire les choses dans les règles et de préparer l’équipe et nos clients.
LMBG – Concrètement, qu’est-ce que cette adhésion a changé ?
R.F. : Notre intention en rejoignant Biomonde est de partager une vision de commune de la bio, locale et qualitative et de participer à la vie d’un groupement en faisant avancer différents sujets au niveau des achats, de la communication, de l’informatique, etc. Il y a une dimension extrêmement importante d’engagement. Une coopérative ne peut vivre que par la contribution de ses adhérents, qui lui consacrent du temps et lui apportent leurs compétences.
LMBG – Philippe Poniewira, après avoir notamment déployé les Marchés Bio au sein des jardineries Botanic, vous avez rejoint Biomonde en 2019 comme directeur des achats, puis nommé directeur général le 1er juillet dernier. Vous avez donc plus d’ancienneté chez Biomonde que votre président…
Philippe Poniewira : En effet, je suis au service des magasins Biomonde depuis deux ans et demi et donc déjà un « ancien » au sein de la coopérative tout en étant jeune dans son histoire de la coopérative. Ma volonté est d’apporter mon expérience du commerce spécialisé et du marché de la bio au projet de Biomonde.
LMBG – En termes de chiffre d’affaires, Biomonde est un peu au coude à coude avec Naturalia et La Vie Claire, loin derrière Biocoop. Comment vous positionnez vous face à ces concurrents ?
P.P. : Sur notre marché, il y a un leader incontesté suivi par un noyau d’enseignes proches en taille mais avec des conceptions et philosophies très différentes. Si l’on compare les groupements coopératifs, nous sommes les seconds derrière Biocoop. Les autres ont des structures et des modes de fonctionnement qui ne s’inscrivent pas du tout dans ce scénario. Certes nous vendons tous des produits biologiques, certes nous travaillons tous avec les mêmes marques mais Biomonde a la particularité d’être un système coopératif et coopérant. Je préfère toutefois parler de confrères que de concurrents. Par rapport à la grande distribution généraliste, le réseau des magasins bio compte encore une multiplicité d’acteurs et c’est ça qui est intéressant. Le monde de la bio est riche des ses différents modèles.
R.F. : Une coopérative n’appartient pas à un actionnaire unique mais à ses adhérents qui sont tous associés. Notre modèle est démocratique, il repose sur le principe « un homme égale une voix ». Bien sûr, toute enseigne a besoin d’avancer, de grandir et de se régénérer. Mais nous avons le devoir d’être vigilants pour qu’il y ait un alignement de valeurs et de vision de nos adhérents. C’est un vrai sujet qui peut donner l’impression que nous allons moins vite que d’autres réseaux.
LMBG – De combien de magasins le réseau Biomonde a-t-il augmenté ces dernières années ?
P.P. : En moyenne nous avons enregistré un excédent net positif de 12 à 14 magasins par an depuis les cinq dernières années. Il y a des entrées et des sorties qui tiennent au fait que la durée d’engagement des adhérents auprès de la coopérative ne dure qu’une année. Nous avons donc un plan de créations, que la Covid-19 a bien ralenti. Le marché se tend. Ce n’est surtout pas le moment d’emmener des gens dans le mur. Je viens d’un groupe dont le patron de l’époque disait : « nous ne voulons pas être les plus gros mais être remarqués et remarquables ». Je pense que la coopérative Biomonde a beaucoup de choses à dire qui peuvent être remarquées.
LMBG – A propos de « remarquable », dans les mois qui ont précédé vos nominations, Biomonde a fermé en mars 2021 un entrepôt centralisé neuf mois seulement après l’avoir créé. Y a-t-il eu défaillance de votre gouvernance ?
R.F. Nous ne sommes pas habilités à nous exprimer sur le sujet de la plateforme pour des raisons de procédure, le dossier étant entre les mains d’un liquidateur judiciaire. Néanmoins, nous confirmons qu’un processus démocratique de réflexion a été mené en mars et avril 2021 dans nos 20 régions. Il nous a amené à voter en assemblée générale le 26 avril dernier, non seulement le nouveau conseil d’administration que je préside mais aussi les orientations venant des régions qui ont permis de définir une direction stratégique. Nous voulons renforcer cette régionalisation. Il est important que nos regroupements régionaux puissent faire émerger de réelles convergences et mettent en place des lignes de force et d’action pour le groupement.
LMBG – dans quels domaines avez-vous besoin de mieux « converger » ?
R.F. : Il est important que nos fournisseurs puissent avoir de la visibilité sur la façon dont nous achetons et mutualisons nos achats. Être indépendant dans son magasin au sein d’une coopérative veut dire respecter nos engagements vis-à-vis des fournisseurs.
« Le sujet du tronc commun d’assortiment est sur la table. »
Raphaël Faucheux
LMBG – Irez-vous jusqu’à définir des troncs communs d’assortiment ?
R.F. : Le sujet est sur la table. La logique de partenariat gagnant-gagnant est extrêmement importante. Nos fournisseurs doivent s’y retrouver.
P.P. : Depuis une bonne année déjà, nous travaillons lors de nos référencements à la mise en place de « fiches de parti pris ». Il est très important pour nos adhérents de travailler avec des fournisseurs qui ont eux aussi un caractère d’indépendance, qui maîtrisent leurs filières, leurs structures d’approvisionnement et leurs outils de production. Le processus de parti pris permet de commencer à identifier les fournisseurs les plus en phase avec les politiques de Biomonde et à écarter les simples « colleurs d’étiquettes » ou les majors qui viennent au bio uniquement pour des raisons marketing.
LMBG – cette préférence pour les fournisseurs engagés n’est pas une spécificité de Biomonde…
P.P. : c’est vrai mais cela ne doit pas nous empêcher d’apporter toute l’information nécessaire aux adhérents. Donner du sens à la sélection des produits permet de s’engager dans un cercle vertueux qui dépasse la notion du « combien ça coûte ? »
LMBG – un détaillant moderne peut-il se passer de produits à marques propres ?
P.P. : oui ! Nous n’avons pas la velléité de devenir producteurs ou de détenir des unités de production. La question a été tranchée il y a deux ans. J’ai le sentiment que la décision des adhérents Biomonde est la bonne.
LMBG – au risque de vous priver de produits accessibles en prix…
R.F. : Nous avons la capacité à sélectionner des produits prix compétitifs pour lesquels chacun – le magasin, la coopérative, le fournisseur -procède à des efforts de marge conscients et équilibrés, sans qu’il n’y ait de perdant ni que la qualité se perdre en cours de route au détriment du consommateur.
LMBG – La centrale Biomonde dispose-t-elle aujourd’hui de moyens humains suffisants ?
P.P. : Nous privilégions le travail en tandem, des commissions, en groupes de travail avec les adhérents. Dans chacun de nos magasins, il y a des experts de leur domaine. Cette richesse, nous devons l’orchestrer pour l’intégralité des coopérateurs.
R.F. : Avec les équipes magasins, on peut décupler nos forces vives. Notre régionalisation doit permettre des temps d’échanges entre pairs dans les magasins – directeurs, responsable d’achats, etc.- pour faire circuler les informations et les expériences. C’est aussi un moyen de valoriser l’engagement des collaborateurs et de donner du sens à leur travail.
LMBG – en clair, avez-vous besoin de rompre un certain isolement qui a pu s’installer entre magasins du réseau ?
R.F. : nous n’allons pas nous le cacher, nous avons traversé de grosses turbulences avec l’arrêt de la plateforme, sans compter la crise de la Covid-19 qui a tout désorganisé. Il faut qu’on reparte de l’avant, le mouvement est lancé.
P.P. : tout a fait d’accord, c’est le moment de nous réinventer en tant que coopérative, les coopérants, les salariés et les permanents !
« Ne nous coupons pas d’une clientèle ultraconnectée qui partage nos valeurs »
Philippe Poniewira
LMBG – où en est Biomonde en matière d’e-commerce et de digital ?
P.P. : la crise Covid nous a permis de tester des modèles. Nous avons déployés vingt magasins en click & collect en trois semaines grâce à nos partenaires AEM Softs et Kazo-Soft. Nous travaillons sur des scénarios de magasin augmenté avec la possibilité de livrer le consommateur sous 48 heures. Notre objectif est de trouver la bonne technologie et le bon interlocuteur et de les mettre en phase avec les besoins des magasins qui peuvent être très différents.
LMBG – quelle sera l’échéance ?
P.P. : Nous prévoyons de fournir les livrables à partir de 2022.
LMBG – Certains de vos « confrères » avaient 20 magasins en cliquer & emporter il y a un an et sont beaucoup plus avancé aujourd’hui… Êtes-vous en retard ?
R.F. : Je vais faire un peu de provocation : s’il y avait un spécialiste de la bio en avance, cela se saurait ! Nous ne sommes pas complètement en retard sur nos confrères mais les clients vont très-très vite. Opposer digital et proximité ne rime à rien aujourd’hui. Nous sommes confrontés à une clientèle extrêmement connectée qui partage complètement nos valeurs sur la proximité, le producteur, l’impact carbone… Ces gens qui consomment seconde main, économie circulaire et sites internet de réutilisation sont nos clients d’aujourd’hui et encore plus de demain. Le digital est leur porte d’entrée avant de pousser celle du magasin. On ne peut pas les ignorer mais cela ne nous empêchera pas de valoriser nos producteurs et nos circuits courts.
« Nous avons l’ambition de créer un socle d’engagements RSE pour les magasins »
Raphaël Faucheux
LMBG – les consommateurs changent très vite en effet, au point de délaisser un peu les rayons bio des grandes surfaces généralistes ces derniers mois. Est-ce une chance pour les spécialistes ou un risque pour la démocratisation de la bio ?
R.F. : le client n’appartient à personne et est multiréseau. Il va vers celui qui apporte la meilleure réponse à son envie d’achat du moment. Gardons-nous de changer de direction à chaque fois que le vent tourne !
P.P. : On retrouve toutefois chez nos consommateurs un socle commun autour des valeurs et de l’engagement. La régionalisation de l’offre, le magasin du commerçant indépendant qui a choisi lui-même les produits qu’il vend créent un affect et une relation. Biomonde a toutes les armes pour affronter cette mutation du marché.
R.F. Sur l’environnement et l’écologie, le réseau bio apporte des solutions. Les magasins Biomonde prennent énormément d’initiatives sur le zéro déchet, le local, la consommation d’énergie, la récupération de l’eau, la permaculture, etc. Nous avons l’intention de le faire savoir en allant vers une certification en termes de responsabilité sociale et environnementale sous le label Bioentreprisedurable (BioED) en lien avec le Synabio et le Synadis.
LMBG – D’autres enseignes spécialisées sont déjà labellisées BioED…
R.F. Quelques plateformes logistiques et sièges sont en effet labellisées. Notre ambition est d’aller jusqu’aux magasins en créant un tronc commun d’engagements RSE pour les magasins. Le projet a été confié en interne à un binôme référent représenté au conseil d’administration.
Zoom sur Biomonde
Année de création : 1992
Effectifs de la centrale : 12 personnes
Chiffre d’affaires : 240 M€ HT
Nombre de magasins : 220
(Source Biomonde, année 2020)