Avec plus de 47 millions de sacs* produits en 2017, le Brésil s’impose comme le plus grand producteur de café du monde. Un leadership qui dure depuis plus de 150 ans.
Développées sur un système de productivité de masse, royaume de la mécanisation, les fermes brésiliennes peuvent s’étendre sur plus de 10 000 hectares. Pourtant, chez ce géant du café, une révolution intérieure est en marche ; elle lie producteurs, scientifiques, torréfacteurs et baristas. C’est le constat que j’ai pu remarquer au cours de ces dix dernières années où j’ai voyagé au coeur des plantations brésiliennes et observé cette mutation vers une recherche de qualité à tous niveaux du café brésilien traditionnel.
Des pionniers convaincants
L’association du café de spécialité brésilienne (BSCA) fut créée en 1991 par une poignée de douze fermiers désireux de développer et diffuser un modèle plus qualitatif. Mais c’est en 1999 que cette association a pris véritablement son envol et s’est fait connaître au niveau international avec la création de championnats comme le Concours National de Qualité du Café et la création de la compétition internationale Cup of Excellence, dont les cafés primés font référence ; vendus aux enchères ils peuvent atteindre jusqu’à plus de soixante-dix fois le prix de l’arabica fixé à la bourse new-yorkaise.
Le rôle de cette compétition est capital puisqu’elle a permis de soutenir les agriculteurs et de générer un engouement médiatique pour le café de spécialité. Premier grand gagnant de la Coupe d’Excellence, Paulinho Almeida, un agriculteur biologique de Paraisópolis (État du Minas Gerais) dont la ferme s’appelle Sítio Santa Terezinha. Il a été l’un des premiers à faire de la cueillette sélective, à pratiquer la séparation des lots et terroirs et le séchage sur des lits surélevés.
Paulinho a ensuite joué un rôle important en enseignant l’esprit du café de spécialité à de nombreux agriculteurs et baristas dans toutes les régions. Parmi ces pionniers, on peut souligner l’implication en 2007 de Marcelo Vieira du Minas Gerais qui a aidé à moderniser la BSCA et de Silvio Leite d’AgriCafé à Bahia, consultant auprès de nombreux producteurs. Ces acteurs ont participé à l’émergence de groupes d’agriculteurs devenus des commerçants tels que Bourbon et Carmo Coffees. Très locales et basées sur des relations équitables avec les fermiers dans un premier temps, ces associations ont pu se faire racheter par la multinationale Ecom et devenir d’immenses fermes aux volumes abyssaux comme Daterra, l’une des premières à avoir expérimenté les techniques de séchage et fermentation. Désormais, cette exploitation de plus de 6 000 hectares dont la qualité est toujours stable, travaille avec des géants de l’agroalimentaire.
Une qualité étudiée
Les producteurs brésiliens peuvent aujourd’hui s’appuyer sur les trois principaux centres gouvernementaux pour les accompagner dans leur démarche qualitative, de la génétique à la post-récolte, à savoir les États de Paraná, São Paulo et Minas Gerais (IAPAR, IAC et IPAMIG). Certaines universités reconnues ayant même des scientifiques dédiés à l’étude du café comme l’Universidade de Lavras et l’Universidade Federal do Espírito Santo. Ces pionniers et chercheurs ont ouvert la voie et font référence auprès de nombreuses professionnels du café.
Au Brésil, le secteur a commencé sa révolution de l’intérieur grâce à l’investissement personnel de torréfacteurs et baristas dès les années 2000. Parmi les ambassadeurs de cette prise de conscience, on peut citer des personnalités comme Georgia Franco de Souza de Lucca Cafés à Curitiba et particulièrement Isabela Raposeiras à São Paolo, figure
médiatique réputée de la torréfaction, notamment à travers son Coffee Lab où les baristas préparent leurs cafés dans une ambiance de cuisine brésilienne qui fait référence. Les fermiers ont pu échanger avec ces précurseurs, apprendre aussi à déguster de bonnes torréfactions et extractions. Au Brésil, le café est toujours traditionnellement consommé très brûlé avec une grande quantité de sucre permettant de couvrir l’amertume de la boisson. Grâce un travail approfondi au niveau du traitement du grain, du terroir, de l’environnement et enfin de la torréfaction, ces nouveaux ambassadeurs ont su montrer l’importance de chacune des étapes nécessaires à la réalisation d’un café de qualité ; une évaluation qui était considérée comme acquise par la population.
Une ferme modèle d’inspiration FAF
Depuis près de six ans, je rends visite chaque année à mon ami Felipe Croce à la ferme Fazenda Ambiental Fortaleza, près de Mococa dans l’État de São Paulo. Cette exploitation est liée à un collectif de 35 fermes partenaires qui travaillent de concert pour une production de qualité en phase avec la protection de l’environnement. Felipe Croce est un jeune génie du café de spécialité, à la fois agronome, fermier, torréfacteur, dégustateur Q Grader, barista et entrepreneur. Chaque année, c’est un plaisir de le retrouver autour de ses dernières expérimentations et d’échanger avec lui. Une année de tests portant sur l’impact de l’écosystème sur les caféiers et les différences de résultats en tasse (tests en bio passif, actif, biodynamie…), une autre année sur d’étranges fermentations avec des levures indigènes… C’est toujours intéressant, car on l’oublie trop souvent, le café vient d’une graine de fruit fermentée et nombreux sont les producteurs à travers le monde qui lancent actuellement de grandes expérimentations à ce sujet.
La ferme Fazenda Ambiental Fortaleza est née à partir de la vision holistique des parents de Felipe, Marcos et Silvia Croce, qui avaient décidé de reprendre la ferme traditionnelle des grands-parents en modernisant entièrement le modèle de production et de relations avec les travailleurs. Ils commencèrent par transformer l’exploitation en une ferme sans produits chimiques et respectant l’écosystème. Ils implémentèrent aussi d’autres cultures naturelles de fruits puis militèrent pour une union des producteurs voisins afin de protéger l’environnement et nettoyer les rivières polluées depuis des décennies par les pesticides.
Felipe les rejoindra après avoir terminé ses études et travaillé auprès des meilleurs torréfacteurs et cafés de spécialité à travers le monde. Il se liera d’amitié très rapidement avec un petit groupe de producteurs locaux auxquels il prodiguera des conseils avisés, les aidant à trouver des torréfacteurs intéressés par la qualité. Depuis, ces producteurs sont devenus des stars du café dans le monde entier, plus
particulièrement Joao Hamilton de Sítio Canaã qui a rendu très populaire une variété de caféier au profil organoleptique très floral : l’Obatã rouge. Tout d’abord pris pour des illuminés par une majorité de producteurs, ils ont vite été rejoints par un grand nombre d’entre eux quand, une fois la qualité de leur travail avérée au niveau local, ils furent enfin reconnus par des acheteurs du monde entier.
Fermier c’est sexy
Depuis ces trois dernières années, le café de spécialité profite d’un véritable engouement à travers le pays avec l’ouverture de coffee shops où l’on prend le temps de déguster et de tout apprendre sur les bons cafés. Tels le très branché Isso é Café de Felipe Croce, proche du musée d’art moderne de São Paulo, l’illustre Academia do Café abritant café, atelier de torréfaction et de formation à Belo Horizonte, ou encore le discret Café Secreto installé dans une ruelle cachée de Rio de Janeiro. Les réseaux sociaux accompagnent cette révolution et montrent le café sous un nouvel angle plus séduisant : baristas et torréfacteurs suivant les fermiers stars sur la scène de la reconnaissance.
Clayton Monteiro, producteur de Ninho da Águia, dans une ferme située à Alto Caparaó dans le Minas Gerais, est la parfaite illustration de ce succès. Je l’ai rencontré en 2013- 2014 alors qu’il travaillait avec Felipe sur de nouveaux projets. J’ai été très vite impressionné par la précision de son travail et l’élégance de ses cafés. Surfeur reconverti depuis maintenant plus de dix ans, il a su établir une ferme extrêmement moderne, écologique, en harmonie avec son terroir, en appliquant des process de sélection et séchage des fruits très pointus. Vainqueur en 2014 de la compétition nationale brésilienne, il est devenu la figure du fermier moderne et sexy inspirant aujourd’hui les jeunes générations et les coffee shops s’arrachent ses cafés. En 2016, lors de mon voyage chez Clayton et sa famille, j’ai pu observer qu’il recevait des amis producteurs venus du nord du Brésil qui lui apportaient leurs lots de cafés. Ensemble, ils discutaient longuement de techniques et décrivaient avec passion leurs profils en tasse. J’ai vu alors ce que j’espère voir grandir à travers le monde, à savoir une vision noble du café noble, des producteurs qui tels des vignerons artisans s’échangent en toute camaraderie leurs plus précieux nectars.
Le festival international du café de Belo Horizonte
En parallèle à la compétition brésilienne Cup of Excellence, un festival a su concentrer toute cette nouvelle énergie. Côtoyant de grands producteurs, on retrouve à Belo Horizonte toute la communauté de petits fermiers, baristas et torréfacteurs. Ce festival s’adresse à tous les acteurs du café brésilien mais aussi clairement à une ouverture
et communication internationale. En novembre 2018 se tiendront là-bas les championnats du monde de Latte Art et Coffee in Good Spirit. L’événement qui a accueilli 10 000 visiteurs en 2017, n’a cessé de croître depuis sa création. Et c’est passionnant ! Au coeur des thématiques débattues par les ténors du café de spécialité brésilien, on a pu aborder la question des challenges face à l’héritage des fermes de masse, la façon de créer des modèles plus durables
et valorisants.
Face aux problèmes de changements climatiques, avec une sécheresse récurrente ces trois dernières années, face aux conséquences de la mécanisation et d’une pollution intensive, le Brésil repense enfin son avenir. C’est désormais une certitude : le café de spécialité mondial pourra puiser à travers le Brésil, un puissant moteur pour le futur.
Antoine Nétien