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Comment créer sa propre marque en épicerie fine ?

Portés par la forte valeur ajoutée que leur confèrent la confiance et la fidélité de leur clientèle, certains commerçants s’interrogent sur l’utilité de créer une marque à leur nom ou à celle de leur enseigne. Impliqué dans cette démarche depuis quelques années, Pascal Mièvre* nous apporte dans cet article « vécu », les éléments de réponse. 

« Il y a quelques années, je me suis demandé – comme vous peut-être aujourd’hui – ce que pourrait m’apporter la création d’une marque au nom de mon commerce : « L’Épicerie Fine Rive Gauche ». J’avais derrière moi une dizaine d’années d’expérience, mon chiffre d’affaires était en progression constante et je connaissais les attentes de mes clients. Mais le monde de l’épicerie fine était en ébullition – c’est toujours le cas – et je voyais chaque jour apparaître de nouveaux producteurs, plus ou moins bons ! Ma gamme (1 500 références) commençait à devenir imposante pour un espace de vente d’une quarantaine de mètres carrés et je ressentais le besoin de me différencier et surtout – quête commune à presque tous les épiciers fins – de proposer des produits exclusifs vraiment exclusifs, c’est-à-dire en vente uniquement chez moi.

Les premières démarches : L’Épicerie Fine Rive Gauche commençait à être connue au-delà du septième arrondissement et ma première démarche a été d’en faire une marque en déposant le nom à l’INPI (recherche d’antériorité pour s’assurer que la marque n’est pas déposée et le cas échéant, en devenir propriétaire – en France – pour une durée de dix ans renouvelable ; le prix d’un dépôt de marque varie entre 200 et 245 € pour trois « classes » : familles, produits ou activités préétablies par l’Administration). En parallèle, j’ai demandé à un ami, créatif dans le domaine de la communication, d’imaginer un logo (caractères, code couleurs).

Cette démarche est importante puisque ce logo destiné à être visible sur des milliers d’étiquettes, de sacs ou de boîtes, portera l’image de votre maison. Fort de ces deux éléments fondateurs, j’ai cherché parmi mes fournisseurs lequel pouvait produire sous ma marque. J’avais identifié deux ou trois familles de produits auxquelles je pensais pouvoir légitimement apporter ma signature. J’ai débuté par les moutardes – cela aurait pu être les confitures – et après quelques essais, je me suis rapidement lancé dans l’aventure.

Un budget à intégrer : Le premier « problème » fut l’impression d’étiquettes, un investissement relativement important pour un commerçant indépendant. Il a fallu trouver le bon format d’étiquette standardisé pouvant s’adapter aussi bien au pot de moutarde de 100 g qu’au pot de confiture de 350 g ou encore à la bouteille d’huile d’olive et définir également la taille du logo, sa couleur et l’espace nécessaire à la contre-impression, chaque produit étant différent au niveau de la composition, des informations légales et de la DLV.

Ce sont ces informations que mon « producteur partenaire de moutarde » imprimera sur les étiquettes à ma marque qui seront collées sur les pots au fur et à mesure de mes commandes. J’ai interrogé plusieurs imprimeurs en leur expliquant mon projet et à titre informatif, un rouleau de 1 000 étiquettes coûte entre 200 et 300 €.

Comme je vendais déjà les moutardes de quelques grandes maisons et que le principe était de compléter ma gamme mais pas de la concurrencer, s’est posée la question du choix des moutardes. Je pouvais jouer sur deux tableaux : le contenant et la recette. J’ai commencé par commander une moutarde au Bleu, une autre aux noix… Ma gamme s’est élargie au fur et à mesure des retours de mes clients et j’en propose aujourd’hui une vingtaine.

J’avais un impératif qui sera le vôtre demain : assurer dans le temps l’excellence des produits labellisés. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas toujours le cas… Je travaillais avec un très bon fournisseur de confitures avec lequel j’avais entamé une démarche légèrement différente puisqu’il ajoutait sur ses étiquettes : « Sélectionné par l’Épicerie Fine Rive Gauche ». Il me fournissait notamment une confiture à l’abricot dont j’étais assez fier, mais il a vendu, il a modifié son approvisionnement, ses méthodes de fabrication et j’ai rapidement eu des retours négatifs sur ces confitures : « Votre confiture à la fraise des bois, ce n’est plus ça… Celle à l’abricot a un drôle de goût ». J’ai dû changer de producteur rapidement car on doit être irréprochable, surtout si l’on vend un produit à sa marque. Notre réputation et notre compétence sont en jeu et je ne trompe jamais un client qui m’interroge sur un article vendu sous ma marque : « c’est un produit fait pour moi par un très bon artisan ». 

Bien gérer ses gammes : L’implantation d’une marque doit être la résultante d’une sélection particulièrement rigoureuse, elle doit se positionner en complément de gamme et s’installer progressivement mais avec certaines limites. Si après les moutardes, les confitures, certaines épices, de délicieuses huiles de noix ou de noisettes, vos clients vous suivent, il est naturellement possible d’aller plus loin, tout en restant modéré. Je propose par exemple dans ma boutique, pas moins de 120 confitures différentes mais seules 20 % sont à ma marque. Et je prends garde de ne pas les présenter en concurrence frontale.

Autrement dit, on ne trouvera pas deux pots de confiture d’orange de même origine en pot de 450 g. Si je choisi de mettre mon étiquette sur le pot de 450 g, la confiture comparable que je proposerai en pot de 350 g sera au nom d’un producteur. Si je propose quatre confitures de mandarine différentes, un seul pot – deux tout au plus – portera ma marque. Il est important de toujours laisser une liberté de choix au client, d’autant que certaines marques de producteur sont des références et par leur notoriété, elles contribuent à crédibiliser les produits que j’ai décidé de labelliser.

Des recettes exclusives : L’une des questions récurrentes lorsque j’évoque ce sujet avec des confrères porte sur la gestion des stocks. Ce n’est justement pas un problème car en dehors des rouleaux d’étiquettes que vous devrez répartir auprès de vos fournisseurs, il n’y a pas plus de stock à faire que lorsque l’on achète un produit marqué. Lorsque je passe commande d’une variété de moutarde, je peux en commander six ou douze pots sur lesquels mon fournisseur (qui les a déjà en stock) n’aura qu’à coller mon étiquette. C’est bien sûr l’un des points à vérifier avant de s’engager.

Ce serait différent si j’étais à l’initiative d’une recette exclusive. Dans ce cas, en restant sur l’exemple de la moutarde, je devrais en produire cinq ou litres, soit une quantité importante de pots. Comme les DLV sont relativement longues (deux à trois ans pour la moutarde), c’est un projet sur lequel je travaille actuellement. J’étudie en effet la meilleure façon de préparer une moutarde à la truffe sans arôme artificiel, mais avec un excellent jus de truffe première cuisson et des brisures que me propose mon producteur de truffe. Ce sont ce jus et ces brisures que je fournirais à mon producteur de moutarde. Il s’agirait donc d’un produit 100 % exclusif puisque j’aurais moi-même fourni l’ingrédient original.

L’investissement serait plus important mais à plus forte valeur ajoutée. Avec un investissement (jus + brisure) autour de 50 €, je pourrais lancer la production de 100 ou 120 pots. Je pense que c’est quelque chose que l’on peut faire dans un deuxième temps, une fois que la clientèle s’est familiarisée avec votre propre marque et uniquement si l’on est certain de pouvoir revendre. Une deuxième question se greffe sur celle-ci : puisque je fais un produit 100 % exclusif, est-il intéressant de le diffuser ailleurs que dans ma boutique ? Je ne le pense pas. D’abord parce que c’est vraiment un autre métier (il faut trouver des grossistes, des commerciaux), ensuite parce que les marges – en général identiques aux autres produits du magasin (coefficient 2 environ) ne seraient pas suffisantes. Enfin, cela irait en contradiction avec la notion de différenciation. En effet, un produit de votre marque vendu uniquement dans votre commerce, ne peut pas être comparé par la clientèle en termes de prix de vente. Ce qui n’est pas le cas pour ceux qui garnissent les rayons des épiceries fines et que vos clients pourront retrouver à des prix sensiblement différents chez vous ou ailleurs.

Quels produits choisir ? Pour être bref, je dirais des produits essentiellement français et pour les épiciers fins de province, des spécialités régionales.Tout simplement parce que la force du label sera moins forte si l’on pose – à moins d’être soi-même d’origine italienne ! – sa marque sur un paquet de pâtes au blé dur « made in Italie ». C’est une question de légitimité. Il est possible pourtant de faire une exception pour les épices, au cœur de notre métier. Dans ma boutique, j’en propose 80 sortes en vrac, le choix est donc vaste mais il arrive souvent qu’un client me demande l’épice que je n’ai pas !

Pour les demandes récurrentes en petites quantités, j’ai choisi des conditionnements dans des pots en verre sur lesquels je colle mon étiquette. Cela permet de stocker de petites quantités et de proposer à votre nom des raretés comme – c’est mon cas – de la graine de moutarde ou d’anis, du carvi ou du fenugrec qui donne de l’amertume au curry. Autant de produits que je ne vendrais pas suffisamment en vrac.

Comment est-ce accueilli par la clientèle ? Plutôt bien, parce que dans la mesure où vous avez choisi de mettre votre marque ou votre nom sur un produit, c’est automatiquement perçu comme un gage de qualité et le produit doit le mériter ! D’autant qu’il n’y a aucune raison de vendre ces produits (qui vous coûteront au final le même prix que les autres) moins chers. Vous pouvez choisir de les valoriser en les vendant légèrement plus chers – votre engagement sur la qualité le permet – mais il faut rester cohérent en ramenant le prix au kilo. Car bien que les temps soient plus durs, ce n’est pas la notion de prix qui est prioritaire mais la qualité. Les clients qui poussent nos portes ne sont pas dans une démarche d’achat contrainte, ils viennent pour se faire plaisir avec ce qu’il y a de meilleur sur le marché. Et ce ne sont pas un ou deux euros de plus qui les freineront dans leur achat.

Si mon producteur refuse de faire des produits à ma marque ? Cela arrive et il faut aussi respecter le savoir-faire d’un producteur. Il peut avoir des raisons légitimes : il se donne du mal, il a une notoriété… C’est son libre choix, comme c’est le vôtre de continuer avec lui ou non.

Quels sont les autres moyens d’apposer sa marque ? Le sac imprimé avec votre logo est un bon vecteur de communication. Cela coûte assez cher à l’année et pour ma part j’en commande entre 10 000 et 15 000 pièces (environ 50 centimes/l’unité). C’est un engagement sur un an ou plus et il faut en tenir compte mais il est possible de combiner. J’appose par exemple sur certains emballages (café, pots pour épices), de petites étiquettes façon « étiquettes d’écolier » sur lesquelles est imprimé mon logo entouré d’un cadre rouge. Lorsque je vends un pot de curry ou un sac de café, j’inscris le nom du produit et la date de la vente sur cette étiquette. C’est une prolongation de ma marque qui s’adapte à la vente en vrac. L’étiquette va coûter dix centimes, le petit pot et son couvercle quinze centimes mais c’est un plus indéniable. Je dispose par ailleurs d’étiquettes autocollantes avec le logo sur fond crème que je peux coller sur des sacs en kraft de couleur rouge.

C’est sobre et cela plait. J’ai aussi fait fabriquer un petit tampon façon « sceau » (1,5 cm de côté) de couleur rouge que j’applique sur l’étiquette de certains produits comme des boîtes de foie gras ou des terrines. Cela reste discret mais c’est une façon de s’approprier  le produit en le labélisant. Enfin, certains fournisseurs peuvent vous proposer d’imprimer votre logo sur leurs étiquettes, ce qui peut être intéressant dans la mesure où vous n’avez que le document technique à fournir pour l’impression. Visuellement, à marques différentes, les pots se ressemblent davantage que si vous aviez fourni votre propre étiquette, mais c’est déjà une étape dans la différenciation de votre gamme.

Pascal Mièvre

* Familier du Monde de l’Épicerie Fine dont il a illustré une des couvertures, Pascal Mièvre fait partie des références de la profession. Située à Paris dans le 7ème arrondissement, son Épicerie Fine Rive Gauche est un modèle du genre. 

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