La pâtisserie “objet de luxe” a ses limites

Chef de file de la pâtisserie française à travers le monde, Pierre Hermé est désormais, à l’instar de Gaston Lenôtre, une référence incontestée dans cette discipline qu’il a largement contribué à faire évoluer. Le Monde de l’Épicerie Fine évoque avec lui son actualité et celle d’une profession où sa parole est d’Évangile.

Le Monde de l’Épicerie Fine – Vous avez inauguré en décembre dernier sur les Champs-Elysées, une adresse inattendue en association avec L’Occitane, le 86Champs. Comment est né ce projet ?

Pierre Hermé – C’est l’histoire d’une rencontre. En fait, je suis ami de longue date avec le fondateur de L’Occitane, Olivier Baussan ; il m’a présenté le propriétaire de cette entreprise, Adrien Geiger, avec qui je suis également devenu ami. Fin 2016, il m’a parlé de cette adresse sur les Champs-Élysées – il en rêvait depuis longtemps – et comme il la trouvait un peu grande pour lui, il m’a proposé d’imaginer un projet en commun. Ce genre d’opportunité ne se refuse pas et l’aventure a été menée à la vitesse de l’éclair : les travaux ont été réalisés en l’espace de trois mois ! C’est vraiment un projet où tout a été pensé en commun. L’activité Pierre Hermé représente 70 % du chiffre d’affaires avec une partie restauration et vente à emporter.

LMEF – Quel lien peut-on faire entre la pâtisserie et le monde de la cosmétique ?

P.H – Le parfum qui a toujours été l’un de mes centres d’intérêt… Il y a trois ans, j’ai créé pour L’Occitane des parfums éphémères qui ont rencontré un joli succès… J’avais conçu les fragrances et mon associé Charles Znaty en a dessiné le flacon et le packaging. C’estquelque chose qui m’a vraiment plu. Cette collection a d’ailleurs été rééditée pour l’ouverture du 86Champs ; elle est désormais diffusée partout dans le monde.

LMEF – Quand on parle de parfums en pâtisserie, on pense plutôt saveurs.

P.H – Pas seulement, parce que la pâtisserie fait appel à tous les sens et notamment au nez. Je pense qu’intellectuellement, c’est le même jeu de construction. Cette expérience a d’ailleurs une suite puisque cet été, nous présentons une collection de huit parfums haut de gamme, cosignée avec L’Occitane.

LMEF – Ces dernières semaines ont été riches pour vous puisque vous avez ouvert fin août, le premier Café Pierre Hermé à Beaupassage dans le 7e arrondissement de Paris…

P.H – En effet, c’est un espace que j’ai imaginé avec Laura Gonzalez, l’architecte d’intérieur qui a imaginé le 86Champs. On y retrouve, dans un esprit salon, tout mon univers avec des desserts à consommer sur place ou à emporter, nos macarons, nos chocolats… Mais c’est aussi un lieu de vie qui permet de partager une expérience gourmande, du petit déjeuner jusqu’à l’heure de l’apéritif en soirée. On y trouve également une carte de petite restauration à l’heure du déjeuner… Et bien entendu, une collection de thés et cafés à déguster tout au long de la journée. La carte des cafés compte plus d’une quinzaine de préparations autour du café que j’ai choisi avec Hippolyte Courty, fondateur de L’Arbre à Café.

LMEF – La pâtisserie a plus que jamais le vent en poupe et son évolution sur les vingt années qui viennent de s’écouler est impressionnante. Elle n’a d’ailleurs pas cessé de s’embellir. N’y a-t-il pas un risque, une dérive dans cette quête d’esthétisme ?

P.H – La pâtisserie a évolué à différents niveaux et pour parler de sa progression esthétique, mieux vaut garder une vision d’ensemble. Si vous regardez l’environnement des boutiques, il s’est modernisé de façon positive. On peut en dire tout autant de la manière de présenter les gâteaux. Autrefois, les vitrines étaient présentées sur plusieurs niveaux et il fallait se baisser pour découvrir l’ensemble de l’offre.

Il y a vingt-deux ans, j’ai proposé un seul niveau de lecture pour la présentation des gâteaux dans la vitrine de Ladurée sur les Champs… Cette façon de faire fait désormais partie des codes. Enfin, la pâtisserie s’est inspirée des codes du luxe dans le choix des emballages, le service, la diversité des concepts – je pense au mono-produit – et il était important que ce métier évolue. La beauté d’un gâteau, puisque c’est le sens de votre question, c’est son appétence. Il faut qu’un gâteau donne envie, simplement envie. Et pour cela, il n’y a pas besoin d’artifice de décoration. Personnellement, je n’aime pas ça. Cela dit, je m’autorise quelques exceptions dans la mesure où cela peut ajouter une touche d’humour ou de poésie.

LMEF – Que vient chercher le gourmand dans des pâtisseries telles que les vôtres ?

P.H – Une expérience client différente. Quand il vient acheter un gâteau, il veut d’abord être bien accueilli et que la personne qui le sert sache parler du gâteau qui lui fait envie, des ingrédients qui le constitue… C’est un peu ce que j’ai voulu faire avec le bar à gâteaux au 86Champs. Je souhaite que le public puisse voir le pâtissier réaliser en direct des desserts minute et qu’ils puissent échanger autour de cette réalisation. En lui faisant par exemple goûter une fraise gariguette, une crème à la menthe…

LMEF – En vingt ans, votre développement à l’international n’a cessé de se confirmer. Dans combien de pays vous retrouve-t-on ?

P.H – L’entreprise emploie environ 750 personnes déployées dans douze pays. Mais il faut relativiser, 85 % de notre chiffre d’affaires est réalisé en France et au Japon. Ensuite viennent Hong Kong et Londres où nous nous sommes développés en propre, puis la Thaïlande, la Corée, Macao, l’Arabie saoudite, le Qatar, Dubaï et le Maroc où nous avons repris récemment la pâtisserie de la Mamounia. Pas de nouveaux projets d’ouverture à l’étranger pour 2018, mais il se pourrait que l’on nous retrouve bientôt à Singapour…

LMEF – Comment s’organisent vos journées ?

P.H – Je vis et travaille à Paris. Ce matin par exemple, ma journée a commencé à 8 heures ; j’avais rendezvous avec l’équipe France chocolat et notre chef  exécutif au Japon. L’idée était de lancer un groupe de travail autour des snacks au chocolat pour lesquels nous avons beaucoup de demandes. Ensuite, réunion d’une heure avec notre chef de Macao pour finaliser nos manuels de formation, puis avec Charles mon associé, nous avons rencontré le patron de la Mamounia afin de faire un premier point après les six premiers mois d’ouverture et ainsi de suite… Réunions avec nos chefs, réflexions autour du Prix d’Excellence de la pâtisserie avec les Relais Desserts…

LMEF – Trouvez-vous encore le temps de passer en cuisine pour essayer une nouvelle recette ?

P.H – Je ne le fais plus, sauf sur le papier ! J’écris les recettes, je les dessine, j’en parle avec l’équipe qui travaille sur ces questions rue Fortuny ; nous échangeons sur la technique, le choix des ingrédients… S’ils ont des idées différentes des miennes, elles sont les bienvenues et ensuite je les laisse travailler. Au final, je goûte et je valide : c’est indispensable.

LMEF – Tout le monde vous présente comme le pape de la pâtisserie française. Que pensez-vous, de votre côté, avoir apporté à la pâtisserie ?

P.H – Le goût ! (rires) Pourquoi je dis ça ? Ce n’est pas méprisant, au contraire. Mais il faut se souvenir que dans les années 80, alors que j’étais un jeune chef pâtissier qui commençait à embaucher pour Fauchon, les jeunes postulants venaient me voir avec des books dans lesquels ils présentaient des pièces montées, des pièces en sucre et en chocolat…

Quand je leur demandais : et les gâteaux, vous savez faire aussi ? Ils n’avaient aucune photo à me montrer ! Ce que je veux dire pas là, c’est qu’auparavant le pâtissier s’illustrait d’abord par son adresse, notamment dans le travail du sucre. Aujourd’hui, cela reste bien sûr une discipline dans le métier, mais quand on vient nous voir, on nous parle de gâteaux ! C’est en ça que je dis avoir apporté le goût et la prise de conscience qui fait qu’aujourd’hui on parle plus du goût que de l’aspect décoratif de la pâtisserie.

LMEF – Une des grandes attentes des consommateurs en matière d’alimentation, c’est la transparence. Quand on sait la chimie que contiennent certains gâteaux, on peut se demander comment la pâtisserie va répondre à cette attente ?

P.H – Mais nous y répondons ! Depuis sept ans par exemple, nous n’utilisons plus que des colorants naturels… On nous parle de sans gluten ? Soixante-dix pour cent de ce que nous vendons est sans gluten : le macaron. Nous réfléchissons cependant aux points perfectibles… En travaillant par exemple sur le lactose.

LMEF – À propos de macaron, votre succès sur ce créneau a créé bien des vocations. Est-ce que cette concurrence booste aujourd’hui votre créativité ?

P.H – Je n’ai pas besoin de ça pour booster ma créativité et celle de mes équipes. En revanche, que d’autres se soient intéressés au macaron a permis de créer une attirance pour ce produit qui ne se dément pas. À périmètre constant, l’an passé nos ventes de macarons ont augmenté de 11 %.

LMEF – La pâtisserie peut-elle encore monter en gamme ?

P.H C’est un exercice qui pour moi a ses limites. Le fait d’avoir emprunté les codes du luxe a permis de donner une autre dimension à la pâtisserie, c’est ce que j’appelle la “pâtisserie haute couture”. Mais attention : à partir du moment où l’on muséifie quelque chose qui se mange, à partir du moment où l’on considère cela comme un objet d’art, on atteint un point de nonretour. Il faut raison garder et se dire que la pâtisserie est d’abord faite pour être mangée et donner du plaisir.

LMEF – Nous vous avions rencontré il y a cinq ans pour vous parler d’épicerie fine. Est-ce un secteur que vous continuez à observer ?

P.H – Certainement, car c’est un secteur où les ingrédients de base sont intéressants et peuvent me servir. Prenons l’exemple du citron noir. J’en avais déjà entendu parler sans que cela ne provoque en moi une curiosité particulière. Et puis j’ai eu l’occasion d’en trouver chez Lucette, une petite épicerie située sur le port de Bonifacio et j’ai commencé à travailler cet ingrédient. Quand je pousse la porte d’une épicerie fine, je cherche toujours l’ingrédient rare, à découvrir…

Plus globalement, ce qui m’intéresse ce sont les épiceries fines disposant d’un espace de dégustation. Si vous avez la chance de vous trouver en face d’un professionnel qui sait mettre en avant les produits qu’il propose à la vente, cela devient vite formidable.

Propos recueillis par Bruno Lecoq

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