Familières des palais asiatiques, les algues s’invitent dans les rayons d’épicerie fine. Et pas seulement pour donner des couleurs aux ingrédients tels que les pâtes. Utilisées par quelques grands chefs (principalement bretons) elles ont séduit un public d’initiés dont le cercle pourrait bien s’agrandir dans les années qui viennent.
Manger des algues ? Si cela vous semble original, il faut savoir que ces plantes aquatiques, qu’elles soient d’eau douce ou marines, font d’ores et déjà partie de l’alimentation de millions de personnes, essentiellement en Asie.
Elles entrent aussi dans la composition de nombreuses préparations industrielles, cachées sous des noms de code assez peu poétiques : E401 et E405 pour les algues brunes qui épaississent les yaourts, E406 pour améliorer la consistance de la mayonnaise industrielle et E407 pour les algues rouges gélifiant les produits lactés. Jusqu’à présent cantonnées essentiellement aux produits industriels, les algues entrent aujourd’hui dans la composition de nombreux produits dans des secteurs aussi divers que la cosmétique ou l’alimentation. Et cette fois, en précisant clairement leurs noms car les propriétés sont nombreuses.
Carole Dougoud Chavannes, auteur du livre « Les algues de A à Z » (Editions Jouvence) parle même des « légumes du IIIe millénaire ». Riches en fibres et en minéraux, elles sont une excellente source de vitamines et selon les variétés, elles représentent un apport en protéines végétales, en général bien tolérées par l’organisme.
Autres atouts : elles sont une dizaine de fois plus dosées en calcium que le lait et présentent une faible teneur calorique. Ingrédient miracle alors ? Peut-être pas, même si les Japonais en font une grosse consommation puisque les algues représenteraient 10 % de leur ration alimentaire quotidienne, consommées en salade, en condiment ou comme herbe aromatique. « Les algues peuvent être utilisées dans de nombreuses applications tout au long de la chaîne de valeur agroalimentaire et de plus en plus d’acteurs, grands groupes ou start-up se positionnent sur ce marché », confirme Anne-Claire Lapie, responsable de mission agroalimentaire à la société de conseil en innovation Alcimed.
Plaisir des yeux et régal des papilles.
Habitudes alimentaires obligent, c’est essentiellement en Asie que la plupart des algues utilisées dans le monde sont cultivées. Car oui, ce sont des produits de culture !
Premier pays producteur au monde, la Chine fournit les deux tiers des quinze millions de tonnes d’algues consommées chaque année, suivie par l’Indonésie, la Corée du Sud et le Japon. Le quasi-monopole des Chinois fait d’ailleurs peser une épée de Damoclès sur les approvisionnements mondiaux d’autant que les conditions de culture sont parfois remises en cause, même au sein de l’Empire du Milieu. La France, n’arrive qu’en dixième position puisque les algues sont essentiellement récoltées sur les côtes bretonnes. Scarlette Le Corre, pionnière en la matière, récolte kombu breton ou kombu royal, wakamé et dulse sur les plages autour du Guilvinec où elle s’est lancée, dès 1992, dans l’algoculture. Elle commercialise aujourd’hui une petite gamme de produits dont un court-bouillon marin : une cuillerée à café par litre d’eau suffit pour pocher un poisson ou un crustacé et lui donner un petit côté « retour de la pêche ».
Un peu plus au nord de la Bretagne, « Bord à Bord » se présente comme un « maraîcher de la mer » qui exploite, récolte et cuisine quelques-unes des algues présentes le long des côtes de Roscoff. La marque, labellisée bio, propose des bocaux d’algues cuisinées, des algues fraîches ou séchées, des conserves et autres épices de la mer. Une foule de produits originaux permettant une initiation en douceur à la cuisine des algues, mais qui séduisent aussi les plus grands chefs.
Christine Le Tennier, PDG de Globe Export- Algues de Bretagne commercialise les algues de sa Bretagne natale dans le monde entier et a consacré un très beau livre de recettes à ces produits naturels : Algues & Gastronomie (Editions Palémon). Avec le chef Bruno Matignon (spécialiste des végétaux marins alimentaires) elle révèle la diversité des algues et des préparations auxquelles elles s’associent. De l’entrée au dessert, de nombreux chefs de Bretagne se sont prêtés à l’exercice et proposent quantité de recettes, toutes plus originales les unes que les autres et toujours savoureuses. Autre atout des algues qu’apprécient les cuisiniers professionnels ou amateurs : la diversité des couleurs, passant du vert électrique de la laitue de mer au pourpre de la dulse ou au noir du wakamé, que l’on retrouve habituellement autour des makis japonais.
Déclinées pour tous les goûts. En rayons, les algues déclinent une incroyable diversité de produits pour permettre à chacun de se faire une idée de leurs différents goûts, plus ou moins iodés, plus ou moins marqués. Des sels aromatisés pour les plus frileux aux algues fraîches sous vide, la palette des possibilités est très large.
Bord à Bord propose ainsi une déclinaison de tartares réalisés avec des algues assaisonnées puis marinées avec une huile d’olive vierge extra biologique. Natures ou parfumées aux herbes de Provence, accompagnées de citron confit ou assaisonnées avec du vinaigre de vin rouge et de l’échalote, ces préparations se marient idéalement avec un poisson cru, des huîtres ou des coquilles saint-jacques, mais aussi tout simplement dégustées sur un toast.
Dans les produits secs, les algues multiplient aussi les associations. Christine Le Tennier propose ainsi toute une gamme de produits à base d’algues dont des aromates de la mer. S’ils se marient idéalement avec les produits de la mer, leur association avec du riz change tout. Quant aux pâtes, là encore, les fabricants font assaut d’imagination. Christine Le Tennier, encore elle, commercialise, en association avec la maison de maille Armor Lux, des petites pâtes colorées (dont une à base de spiruline qui donne une jolie couleur bleutée) en forme de l’emblématique marinière.
Plus luxueuses, les pâtes « haute couture » de chez Cornand associent deux algues (dulse et spiruline d’Ouessant) dans des coffrets de tagliatelles.
À l’arrivée, les algues donnent aux pâtes des tons beige taupé et céladon éteint qui étonnent les convives, mais accompagnent aussi parfaitement un beau homard ou un filet de bar au sel en apportant une touche design à l’assiette.
Et pour les accompagner, rien de tel qu’un beurre Bordier… aux algues bien sûr !
Mais ce sont évidemment les produits de la mer qui se marient le mieux avec les algues. Si quelques excursions sur terre existent, comme « les amandes bord de mer » – primées aux Épicures du Monde de L’Épicerie Fine – la Compagnie Bretonne du Poisson s’en est fait une spécialité : thon germon aux algues et maquereaux au kombu ont ainsi intégré leur gamme de produits phares, mais aussi une étonnante soupe de poissons aux algues. La douceur des uns s’accordant parfaitement à la texture des autres pour une préparation originale et réussie. Pas facile pour autant de proposer ce type de produits. Il y a ceux qui connaissent… et les autres !
À L’Air du temps à Morlaix, Eliane Sévère propose une sélection de tartares d’algues, natures, aux huîtres et même associées à des cornichons. « Nous avons des clients qui viennent spécialement pour acheter ces produits, raconte-t-elle. Ils ont découvert les algues au restaurant et ont envie d’en consommer à la maison. Du coup, c’est une clientèle fidèle et qui apprécie les nouveautés. » Mais il est plus difficile de proposer ce type de produits à Paris où Pascal Mièvre de L’Épicerie Fine Rive Gauche, reconnaît qu’il a une clientèle de connaisseurs amateurs d’algues déshydratées pour préparer des salades, mais qu’il s’agit d’une minorité.
Béatrice Delamotte