Érigé au Moyen Âge, le moulin alsacien a été relancé par Édouard Meckert qui s’est engagé dans le bio plus d’un demi-siècle avant l’officialisation du label AB et a redécouvert une céréale emblématique, le petit épeautre.
L’aventure de Moulin des Moines débute aux alentours du XIIIe siècle avec la création d’un moulin à Krautwiller (Alsace) par les moines cisterciens. Elle se poursuit sous la Révolution avec l’acquisition du moulin par la famille Diemer en 1791. Elle rebondit près de deux siècles plus tard, en 1970, quand Édouard Meckert épouse Huguette, issue de la neuvième génération des Diemer, et fait le pari de relancer “le moulin des moines”, comme l’appelait sa belle-famille.
“Ceux qui croient que le bio n’est qu’un nouvel eldorado se trompent. Le but est aussi de faire travailler les entreprises et habitants de nos vallées.”
Édouard Meckert
Lemaire, le contestataire
D’emblée, le couple choisit de se lancer dans la farine bio. “C’était un peu fou, pas du tout dans l’air du temps. Mes collègues meuniers ont bien ricané…” raconte, 49 ans plus tard, Édouard Meckert. Quelle mouche avait bien pu piquer ce jeune – il a 28 ans en 1970 – fils de vignerons alsaciens, de retour au pays après quatre années à diriger des domaines viticoles en Afrique ? Une rencontre au Salon de l’agriculture avec Raoul Lemaire a été décisive. Agrobiologiste mais aussi meunier et boulanger, ce dernier préconisait de cultiver des semences rustiques, amendées d’une variété d’algues marines en substitution aux engrais. Il produisait un pain au levain qu’Édouard Meckert, allergique aux levures chimiques, pouvait digérer !
Bénie soit Sainte Hildegarde
“Les premières années ont été difficiles, admet le meunier. Je me suis rapidement heurté à des difficultés d’approvisionnement, alors qu’il n’y avait pas de certification bio à l’époque. Nous étions soutenus par des acteurs de la biodynamie et des consommateurs un peu extrémistes de la bio.” Un premier déclic est venu en 1986. Influencé par les écrits scientifiques d’Hildegarde de Bingen, abbesse bénédictine du XIe siècle – canonisée par Benoît XVI en 2012 – il décide de “reprendre le flambeau du petit épeautre.” Une céréale riche en fibres et protéines, pauvre en gluten et rétive aux engrais et pollutions. Mais pour convaincre les clients, il faut des produits finis. “Nous nous sommes mis à fabriquer du pain”, poursuit le meunier. Il le vendra dans un premier temps sur les foires, faute de véritable circuit de distribution bio…
1996, année sinistre et faste
Il faudra attendre la reconnaissance officielle du logo AB, en 1996, pour que le bio décolle vraiment. La même année, le moulin de Krautwiller est ravagé par un incendie accidentel. Édouard Meckert en reconstruit un autre, décide de ne produire que des farines bio et se tourne en partie vers la grande distribution. “On ne peut pas ignorer les grandes surfaces qui pèsent aujourd’hui la moitié des ventes bio, déclare le patron du Moulin des Moines. La seule limite, c’est de ne pas tomber dans le discount. Nous sommes encore en position de dire non quand ce n’est pas jouable.” L’entreprise a continué de miser sur la qualité en créant en 2012 un nouveau moulin ultramoderne, doté de meules en pierre volcanique pour les farines haut de gamme et de moulins à cylindres pour la transformation.
Sauver les savoir-faire locaux
Depuis 1998, la famille a aussi acquis une poignée de producteurs alimentaires locaux (bretzels, biscuits, eau minérale, chocolats) en dépôt de bilan. Le groupe emploie ainsi quelque 250 personnes pour un chiffre d’affaires annuel de plus de 60 millions d’euros, dont 26 millions au titre de Moulin des Moines. “En reprenant leur personnel, nous sauvons leur savoir-faire et le transmettons au bio. Mais le but est aussi de faire travailler les entreprises et habitants de nos vallées. Ceux qui croient que le bio n’est qu’un nouvel eldorado se trompent. L’avenir du bio passe par plus de sens, de valeurs et par le respect de la biodiversité”, conclut le meunier.