L’enseigne bio du Groupe Casino réagit à la crise en ouvrant ses rayons à des produits conventionnels et des marques présentes en grande distribution. Cette remise en cause des canons de la distribution bio traduit paradoxalement une recentrage de l’enseigne.
Drôle d’anniversaire ! Créé en 1973, Naturalia a cinquante ans cette année. Mais l’ambiance n’est plus vraiment à la fête. Comme ses concurrents, l’enseigne bio fait les frais du retournement du marché. Son chiffre d’affaires est passé de 385 millions d’euros en 2021 à 355 millions en 2022. Le nombre de magasins s’est réduit, de 259 à 245 unités, malgré plusieurs rachats et ralliements de franchisés.
Pour rebondir, Naturalia a décidé de ne plus se revendiquer de l’agriculture biologique. La chaîne se présente désormais comme « le spécialiste du plaisir sain », explique Allon Zeitoun. Au cours de sa conférence de presse annuelle, le 6 avril dernier, le directeur général de Naturalia a même déclaré : « notre sujet n’est pas le bio, il est de relancer notre enseigne ». Il affirmait pourtant il y a un an que « le bio est la seule solution aux enjeux essentiels » de l’agro-alimentaire…
Reconquérir les occasionnels
L’objectif affiché de ce changement de cap est de reconquérir les clients occasionnels de la bio. L’actuelle baisse de pouvoir d’achat a eu pour effet de les éloigner des produits bio. La plupart de ces consommateurs n’en comprennent plus l’intérêt : 69 % de ceux qui ne mangent pas bio assimilent la certification AB à un label « marketing ». Même si l’activité est repartie à la hausse depuis février dernier (+ 5 % chez Naturalia), « 95 % des consommateurs français n’osent pas entrer dans un magasin bio », affirme Allon Zeitoun.
« On nous reproche le prix des produits bio, leur qualité et leur compréhension. Le label AB ne suffit pas à justifier le supplément de valeur de la bio. Quand on fait de la croissance à deux chiffres, c’est un bruit de fond que l’on n’entend pas », constate le directeur général de Naturalia. La croissance s’étant évaporée, il faut désormais traiter la question de l’insatisfaction par rapport aux produits bio.
« Le label bio n’est plus un prérequis »
Pour séduire à nouveau ces clients perdus, Naturalia se recentre sur l’alimentation santé et le goût. En matière d’alimentation, la santé est en effet un sujet majeur pour 69 % des Français, tandis que 79 % d’entre eux se disent prêts à consommer autrement s’ils conservent leurs repères et du plaisir.
C’est pourquoi Naturalia a troqué son précédent slogan, « Soyez libre d’être nature » contre un nouveau : « C’est bon de manger sain ». Sur le terrain, ce nouveau cap se traduit par trois décisions fortes. Les deux premières concernent les achats, la troisième le concept magasin.
En premier lieu, « le label bio ne sera plus forcément un prérequis » pour être référencé chez Naturalia. En second lieu, l’enseigne ouvrira ses rayons à certaines marques bio également présentes en grande distribution. Deux orientations qui rompent avec les usages de la distribution spécialisée bio.
Un cahier des charges propre à Naturalia
En fait, ces décisions iconoclastes sont moins radicales qu’il n’y paraît. Les produits bio resteront en effet dominants dans les rayons de la chaîne. De l’objectif 100 % bio, Naturalia passe en effet à celui d’un engagement pour une alimentation « 100 % zéro pesticides et à 95 % bio ». Ce qui est presqu’un retour aux sources, laisse entendre le patron de Naturalia. Positionnée sur la santé et le bien-être à l’origine, l’enseigne n’a opté pour le tout bio qu’en 2010.
Par ailleurs, les labels concurrents de l’AB devraient rester exclus des magasins. La marque Zéro Résidus de Pesticides, en particulier, « ne nous intéresse pas car elle promet zéro pesticide dans les produits mais pas dans les champs », a répondu Allon Zeitoun à une question du Monde de l’Épicerie Fine.
« Nous privilégierons des produits qui répondent à notre cahier des charges, notamment dans quelques catégories où nous interdirons certaines substances (les nitrites, l’huile de palme) », annonce le directeur général. Le sans pesticide, les produits non ultra transformés, les aliments santé (tisanes…) et le végétal sont les piliers de l’offre.
Des fournisseurs à dimension humaine
L’ouverture aux marques présentes en grande distribution a quant à elle été diversement commentée sur les réseaux sociaux. Mais là encore, Naturalia prend soin de limiter les risques de confusion des genres en s’engageant à ne se fournir qu’auprès de PME et TPE, dont 90 % d’entreprises françaises. Et de fait, les premiers nouveaux entrants n’ont pas le profil de multinationales de la grande consommation. À l’image de Hari&Co, une start-up de produits traiteurs et plats cuisinés à base de légumineuses.
Plus généralement, l’enseigne est en train de passer son offre au crible pour « être sûre que les produits proposés en magasins soient bons. C’est par le goût que l’on va reconquérir les consommateurs », assure Allon Zeitoun. Une stratégie qui, là encore, a un petit… goût de déjà-vu. Cela fait dix ans que Naturalia a associé la thématique de la gourmandise à celle de la santé.
La Ferme Parisienne, enveloppe d’une bio « joyeuse et ouverte »
Naturalia a cherché à cristalliser tous ses objectifs au sein d’un nouveau concept déployé dans son magasin de la rue d’Aligre à Paris. Baptisé « La Ferme Parisienne », ce point de vente cherche à se distinguer de l’austérité supposée des points de vente bio traditionnels. Le décor joue sur la nostalgie paysanne avec moultes cagettes et palettes et un grand espace primeur d’esprit ”marché rural”. Des couleurs acidulées et une fresque réalisée par l’acheteur fruits & légumes, graffeur à ses heures perdues, apportent de la de la bonne humeur.
Le magasin est par ailleurs moderne dans son approche consommateur avec des rayons organisés par besoins (espace petit déjeuner…) associant produits vrac et emballés. La diversité des produits (99 huiles différentes, 200 thés et tisanes, 50 recettes de pâtes à tartiner…) est valorisée par une abondante information sur leur usage. Un nouveau magasin pilote qui pousse un peu plus loins les modèles esquissés sur les derniers prototypes du réseau, à savoir Naturalia Enfants Rouges et Italik, décrit dans le Dossier Bio du Monde de l’Épicerie Fine n°59.