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Pour l’épicerie fine : la tablette de chocolat toujours réinventée

C’est à la fois le produit le plus emblématique et le plus vendu de tout l’univers chocolat. Mais si la tablette est indétrônable à maints égards, elle n’est pas pour autant immuable. Et le carré que l’on croquait hier avec bonheur n’a plus rien à voir avec celui que l’on déguste aujourd’hui avec un bonheur intact, mais avec en plus, le plein de sensations inédites. L’innovation est passée par là, et elle ne s’arrêtera visiblement pas de sitôt.

Nous sommes en 1836 à Noisiel en Seine-et-Marne. Antoine Brutus Menier vient d’avoir une idée de génie : il a réuni en un seul et même bloc, 6 barres de chocolat semi-cylindriques puis emballé le tout sous un papier jaune qui fera ensuite beaucoup parler de lui. La tablette de chocolat est née et, sans que son concepteur ait pu lui-même envisager pareil destin, elle va partir à la conquête du monde entier et bouleverser du même coup la donne sur le marché du cacao.

Quelque 180 ans plus tard, la success story reste d’actualité. La fameuse tablette a certes connu moult évolutions, mais elle est toujours là, qui plus est dans une forme resplendissante. Tel est ainsi le cas en France où quatre millions d’unités sont achetées chaque jour par les « chocophiles » et autres accros de la fève. La tablette représente ici le 1er segment du marché chocolat (voir Repères ci-après) et c’est la forme de produit qui affiche le plus fort taux de croissance catégorielle sur le moyen terme (+ 5 % en volume sur la période 2011-2013). 

Amplifiée par une tendance globale « chocolat », elle-même particulièrement favorable, la bonne santé de la tablette est un avantage incontestable dans le contexte économique actuel, mais elle a sa contrepartie : une compétitivité accrue entre les circuits de commercialisation d’un côté, et les acteurs d’un même circuit de l’autre. D’où l’obligation d’une veille concurrentielle large à laquelle n’échappe pas le commerce sélectif, ce que confirme Nicolas Desmartins, responsable commercial du Comptoir du Cacao : « Il nous faut avoir l’œil partout, explique-t-il depuis le siège de cette PME artisanale du Loiret. Y compris sur l’offre de la grande distribution où certaines marques industrielles sont passées à la vitesse supérieure en faisant appel à des MOF* pour concevoir leurs collections. L’objectif n’est pas seulement d’aller au-devant des consommateurs avec des propositions adaptées, il faut surtout savoir les garder. »

LE MAÎTRE-MOT, C’EST « INNOVER » !

Aux commandes de la jeune marque belge Café-Tasse (créée en 1991), Philippe Lellouche réalise 20 % de ses ventes en France via un réseau de 1 000 détaillants. Il ressent lui aussi la dureté du climat ambiant : « Le marché de la tablette est de plus en plus bataillé et la pression des magasins est constante : il leur faut des nouveautés, toujours plus de nouveautés. » Cette surenchère apparaît à ses yeux parfois d’autant plus vaine, qu’au-delà de la curiosité initiale pour telle ou telle recette annoncée exclusive, le consommateur revient très souvent vers les grands classiques du chocolat. « Chez nous comme chez nos principaux concurrents, ils s’adjugent 80 % des ventes et rares sont les nouveaux produits – exemple type : la variété spéculoos – à pouvoir intégrer le fond de catalogue. Mais on nous demande d’innover, alors nous innovons… » Et comme Café-Tasse, tous les autres acteurs du commerce haut de gamme font de même puisque tel est le passage obligé. 

« Le mouvement de sophistication est inéluctable, constate Dominique Renault, directeur général de Monbana. Nous sommes passés de la trilogie noir – lait – blanc à des créations toujours plus originales incluant des ingrédients toujours plus surprenants, des fourrages toujours plus gourmands, des aromatisations toujours plus inattendues… » Bref, tout est bon pour sortir du lot sur ce segment hyper stratégique et Monbana n’entend pas être en reste. Pour preuve, son programme de lancement immédiat : une collection autour des spécialités de nos régions, des tablettes géantes avec maillet, une génération new-look de tablettes dégustation avec des inclusions de fruits et de fruits secs. Le tout servi par des approches packaging qui se veulent elles aussi, distinctives.

« L’attente de nouveauté des consommateurs est réelle, mais elle est dans le même temps ambivalente. Avec d’une part un vrai désir d’exotisme, d’autre part le souhait de pas trop bousculer la tradition. En clair, il nous faut rester sur des goûts accessibles au plus grand nombre. » Olivier Cheere, responsable commercial de la maison Dufoux.

Le fond de l’air est le même chez le Bourguignon Bernard Dufoux, réputé d’une grande maîtrise dans l’art d’allier les saveurs. Olivier Cheere, responsable commercial, apporte néanmoins une nuance dans l’analyse : « Les grands noms du chocolat ont projeté au fil des ans, une image de créativité dont ils ne peuvent plus se soustraire. La surenchère dans la sophistication est leur réalité, mais elle relève souvent d’un exercice de style qui leur est propre. Nous cherchons pour notre part à ne pas nous éloigner des consommateurs, notamment en terme d’accessibilité. La quête d’exotisme et de modernité est une chose, celle de tradition en est une autre qui agit comme une réassurance. Il faut savoir naviguer avec subtilité entre ces deux pôles… » La tablette aux fruits garnie de gaufrette mâconnaise que vient de créer justement la maison Dufoux, en est une expression parmi d’autres.

LE GOÛT RETROUVÉ DE L’AUTHENTICITÉ 

Qu’elle soit plus ou moins sage le cas échéant, qu’elle concerne l’approche visuelle du produit, celle de son format (la mini-tablette de 9 grammes a le vent en poupe) ou sa recette même, qu’elle soit ou non d’inspiration asiatique – et pour cause, les créateurs japonais ont été particulièrement remarqués lors du dernier Salon du Chocolat… – l’innovation est omniprésente (cf La synthèse des lancements 2014). Et l’objectif des chocolatiers étant aussi de n’exclure personne, elle s’immisce même avec bonheur sur le terrain du diététique gourmet, à l’exemple de la belle gamme de 8 tablettes « spécial diabète » signée Valter Bovetti ou d’une offre sans gluten qui fait son entrée en force dans divers catalogues. 

Avec toujours et encore le plaisir comme fil rouge, il est enfin une tendance qui, portée par des ambassadeurs de renom (Pralus, Nihant, Bernachon, Hermé, Bonnat, Marcolini, Cluizel, Marou…), permet aux maîtres chocolatiers de renouer avec l’essence même de leur métier. Destinée plus particulièrement à ceux que l’on nomme les « vrais » amateurs, elle a comme point d’ancrage, les notions de naturalité, d’authenticité mais aussi d’éthique. 

« L’idée est de travailler sur des chocolats d’origine au plus près des plantations et de rechercher, cru par cru, les notes aromatiques les plus proches du fruit en optimisant le couple torréfaction – fermentation, confie Marc Cluizel, directeur général de la Manufacture Michel Cluizel.Du Mexique à Madagascar en passant par Saint-Domingue ou la Nouvelle-Guinée, cette démarche de cacao – févier est celle qui respecte et sublime véritablement la matière première et elle met parallèlement en exergue l’étroitesse du lien chocolatier – planteur. Le produit haut de gamme de demain sera à cette image. » 

ENCORE DES PLACES À PRENDRE

Plus vivante que jamais, l’emblématique tablette est donc loin d’avoir révélé tous ses secrets. En terme de créativité, le champ du possible apparaît effectivement sans limites et le fait intéressant est que, s’agissant notamment de l’offre premium, elle offre des perspectives intéressantes à tous ceux qui savent faire valoir leur différence, leur originalité ou leur valeur ajoutée, nouveaux prétendants inclus.

Nature & Expression, qui distribue en France la marque autrichienne Zotter – classée par l’expert Georg Bernardini comme l’un des 8 meilleurs fabricants de chocolat au monde – a fait à cet égard, des premiers pas prometteurs. Consacrée « Espoir du Chocolat » lors du Salon du Chocolat 2013, la société Carré Suisse, implantée dans le Tessin et créée de toutes pièces il y a 18 mois par un « team » franco-suisse, semble suivre le même chemin. « Nous proposons aux consommateurs l’avant-goût du luxe », commente Cyrille Jacques, cofondateur de l’entreprise. Sa gamme de 11 tablettes 100 % naturelles (sans gluten, sans huile de palme, sans conservateur) cultive l’art du démarquage via une approche graphique résolument contemporaine, et visiblement le courant passe : auprès des détaillants haut de gamme d’une part (déjà plusieurs dizaines de points de vente en France), auprès de Monoprix d’autre part qui vient de rentrer la collection dans son rayon Épicerie Fine. 

Carré Suisse ne refera sans doute pas l’histoire du chocolat, telle n’est d’ailleurs pas l’ambition de ses dirigeants, mais sa seule présence montre qu’il y a encore des places à prendre sur ce marché très convoité. Et comme toujours, c’est le consommateur qui croquera. Et qui tranchera.

Guy Leray

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