En marge du Salon du Chocolat, une dizaine de coopératives de producteurs de cacao bio et équitable ont exprimé leurs inquiétudes sur les conséquences du nouveau réglement européen interdisant l’importation de produits dont la culture serait facteur de déforestation.
Le Cacao Zéro Déforestation va devenir obligatoire en Europe. Un nouveau règlement européen adopté en juin 2023 interdit en effet l’importation dans l’Union européenne (UE) de produits de base dont la culture aurait causé le déboisement de forêts primaires. Il s’appliquera à partir du début 2025 pour les grandes entreprises, de juillet 2025 pour les PME.
Le cacao, responsable de 7,5 % de la déforestation mondiale, fait partie des denrées concernées. En marge du Salon du Chocolat de Paris, la marque de commerce équitable Éthiquable et l’ONG Agronomes et Vétérinaires sans Frontières (AVSF) ont réuni à Paris, le 31 octobre 2023, une dizaine de coopératives de producteurs de cacao dont ils sont partenaires, afin qu’elles expriment leur point de vue sur cette nouvelle donne.
Qu’est-ce que le « cacao zéro déforestation » ?
En préambule, Christophe Boscher, chargé de programmes chez ASVF France, a rappelé les grandes lignes du nouveau règlement : « Pour entrer dans l’Union européenne, le cacao devra être traçable de la parcelle au consommateur, « zéro déforestation » et en conformité avec les réglementations locales. » Par « zéro déforestation », l’UE entend que les terres où le cacao a été cultivé ne devront pas avoir été déboisées après le 31 décembre 2020.
Devoir de vigilance pour les marques
Concrètement, les metteurs en marché devront produire des informations démontrant l’origine du cacao. Chaque parcelle de production devra avoir été identifiée par ses points ou polygones GPS afin de permettre de vérifier si elles ont ou non été déboisées. L’identité des fournisseurs et acheteurs devra également être répertoriée. « Si le règlement met l’accent sur le devoir de vigilance des marques et de la distribution, les coopératives de producteurs auront un rôle important à jouer », souligne Christophe Boscher.
Contraintes pour les producteurs
S’ils approuvent le nouveau règlement sur le principe, les responsables de coopératives de producteurs émettent de sérieuses réserves sur les conditions de sa mise en oeuvre. « C’est une très belle initiative parce qu’elle devrait permettre de sauver le peu de forêt primaire qu’il nous reste, déclare Awa Traore, directrice de la coopérative Cayat (3 000 producteurs et 12 000 parcelles en Côte d’Ivoire). Mais la loi ne prévoit pas qui va supporter les coûts de mise en conformité. Nous pensons que les producteurs en auront la charge. Or nous n’arrivons déjà pas à vivre de nos cultures ! Nous sommes très inquiets ».
Le coût de la géolocalisation
Son compatriote Paul Maizan, président coopérative CAKF, confirme : « Dans la mesure où les responsabilités ne sont pas définies dans la loi, tout va reposer sur nos producteurs. Cela ponctionnera leurs revenus car, n’ayant pas les compétences internes, nous devrons faire appel à des prestataires extérieurs pour géolocaliser les parcelles. »
Salomon Boateng, directeur de la coopérative Kuapa Kokoo, au Ghana, a fait ses calculs : « notre coopérative regroupe 100 000 cultivateurs de cacao qui ont chacun en moyenne deux parcelles de 2,2 hectares chacune. Pour nous mettre en conformité, il faut relever les points GPS de chaque parcelle, analyser le risque de déforestation et mettre en place des mesures correctives. Cela fait beaucoup de travail. Actuellement, 60 % des points GPS des parcelles et 30 % des polygones ont été relevés mais il nous reste peu de temps. Cela demande des ressources et il faut acquérir les logiciels et les terminaux GPS. »
Le cacao bio déjà « tracé »
Pour les producteurs certifiés bio et équitables, comme ceux qui témoignaient ce 31 octobre, une partie du chemin est fait. La traçabilité est en effet nécessaire s’assurer qu’un produit est bien issu de l’agriculture biologique. Et les prix payés aux producteurs par les marques de commerce équitable, supérieurs aux prix du marché, leur permettent de financer au moins en partie les technologies capables de garantir que leur cacao est « zéro déforestation ». « Les prix auxquels nous vendons notre cacao a permis de réaliser ce travail de traçabilité », convient ainsi Cezar Paz, de la coopérative péruvienne Norandino. Celle-ci exporte des fèves de cacaos bio équitables de variétés aromatiques nobles mieux payées que le cacao destiné à la grande consommation.
La part de responsabilité des multinationales
Mais le cacao bio équitable reste une exception dans la production mondiale. Quid des producteurs qui vendent au prix du marché ? Pour Cezar Paz, « les grandes entreprises qui achètent le cacao ont une part de responsabilité. Quand le prix payé au producteur est trop bas, son seul moyen de survie est d’aller défricher des terres vierges pour y cultiver du cacao ou d’autres produits. Les prix très bas des multinationales favorisent la déforestation. Ne serait-ce pas plutôt à ces grandes entreprises de supporter les coûts de la géolocalisation ? »
Les États soutiendront-ils la transition ?
Responsable commercial de la petite coopérative haïtienne Feccano, Guito Gilot plaide, lui, en faveur d’un soutien des États pour « payer la géolocalisation et le géoréférencement. » On peut imaginer qu’une telle aide passe par une coopération entre les pays d’Europe et les pays producteurs. Si de tels programmes existent (habituellement en partenariat avec les ONG et acteurs du commerce équitable), le règlement Zéro Déforestation ne prévoit pas explicitement d’aide financière ad hoc.
Quid des producteurs évincés ?
Une autre question est celle des producteurs qui se verront exclus du marché européen. Exemple avec la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao (45 % du marché) : « on pense que 600 000 à 700 000 tonnes de cacao ivoirien seront éjectées du marché, c’est l’équivalent de la production du Ghana ! », s’exclame Edem Komlan, responsable ASVF Côte d’Ivoire. Le devenir des paysans qui ne pourront plus exporter vers l’Europe est un vrai sujet pour les pays producteurs. Et pour les coopératives de cacaoculteurs, il nécessitera un accompagnement.
Un marché très spéculatif
Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que les cours mondiaux du cacao sont fixés à la Bourse de New York. Les prix de vente échappent donc aux producteurs. Les cours sont sujets à une spéculation décorrélée des revenus des producteurs. Sur les dix dernières années, ils ont ainsi monté de 2013 à 2016 avant de perdre d’un coup 35 % de leur valeur et de rester scotchés autour de 2 000 $ par tonne. Jusqu’en juin 2023 où, suite à la décision de la Côte d’Ivoire de suspendre des ventes à terme de son cacao par crainte d’une mauvaise récolte, la spéculation s’est emballée pour atteindre un prix de marché jamais vu de 3 800 $.
La hausse des cours ne rassure pas
Mais cette hausse aussi soudaine que récente ne rassure pas les producteurs. Ceux-ci pensent en effet qu’elle s’effacera dès que l’État ivoirien (qui exerce un monopole sur les exportations de cacao) décidera de mettre sur le marché les volumes qu’il a gelés. En attendant, les cacaoculteurs ivoiriens restent rémunérés aux tarifs d’avant la hausse.
Au dernières nouvelles, on prévoit une récolte 2023-2024 inférieure de 20 % en Côte d’Ivoire, à 1,8 million de tonnes. Au niveau mondial, les estimations varient. La production pourrait être équivalente à l’an dernier selon les uns ou pâtir d’un déficit record de 279 000 tonnes selon d’autres. Sur le long terme, nul n’est capable de prévoir l’évolution des prix. Une instabilité chronique qui ne facilite pas la transition du marché du cacao vers la déforestation zéro.
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