Avec un long retard sur ses voisins européens, la France redécouvre le gin. L’offre était hier réduite à quelques marques, elle est devenue foisonnante ; elle était jusqu’alors très basique, elle se sophistique désormais de plus en plus. Raison de plus pour que le commerce sélectif regarde cela d’un peu plus près.
250 ans après le tout début, les fabricants de gin touchent du bois : ils sont peut-être (enfin) en passe de conquérir la clientèle française. 250 ans ou presque, car c’est effectivement en 1761 qu’est réinterprétée pour la première fois la recette originelle – et de fait, hollandaise – de l’eau-de-vie de genièvre. La distillerie Greenall ouvre alors le bal dans le nord-ouest de l’Angleterre et en 1769, au sud de Londres, le maître distillateur Alexander Gordon prend le relais pour jeter les bases de ce que l’on nommera ensuite le style London Dry. L’histoire du gin est lancée, bien lancée même puisque cet alcool va devenir rapidement l’une des références du très élégant british way of life.
Au fil du temps, le monde entier se met au diapason avec aujourd’hui comme principaux pays consommateurs (et producteurs) : l’Angleterre bien sûr avec ses 30 millions de litres, mais aussi l’Inde, les Etats-Unis, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas ou encore l’Espagne, devenue curieusement le premier marché européen du gin avec plus de 300 marques en présence.
À ce jour, seule la France fait finalement de la résistance avec à la clé, une consommation globalement basique et scotchée depuis de longues années sous la barre des cinq millions de litres. La méconnaissance du produit et de ses utilisations possibles y est probablement pour beaucoup, mais sous l’impulsion d’une nouvelle génération de gins premium, les choses sont probablement appelées à bouger.
UNE IMAGE DE PLUS EN PLUS QUALITATIVE
« La culture cocktail s’affirme, notamment chez les jeunes, et d’un autre côté le gin d’esprit « craft » suscite la curiosité et fait évoluer l’image de la catégorie vers le haut, explique Thomas Vigouroux, brand manager de la maison Camus. Le phénomène est certes encore très urbain, voire concentré sur Paris – Région Parisienne, mais les conditions semblent réunies pour permettre à ce marché de décoller véritablement. » Comme beaucoup d’autres, la société cognaçaise fait partie de celles qui n’entendent donc pas rater le coche et qui « s’équipent » en conséquence, en misant le plus souvent sur des produits à personnalité forte et distinctive.
Camus a ainsi jeté son dévolu sur le gin canadien Ungava (Domaine Pinnacle), dont la couleur jaune exclusive est due à l’ajout de baies d’églantines sauvages dans la recette. L’aspiration est la même pour le normand Château du Breuil avec la marque suisse Xellent et son gin à base de fleurs d’edelweiss, pour les Ets Dugas qui distribuent le gin catalan Mare, riche en notes méditerranéennes (olive, romarin, basilic, thym) ou pour le gin belge Filliers dont la production artisanale (400 000 bouteilles) se démarque par son goût floral et fruité.
Résultat, l’offre de gins est en plein boom en France et un simple coup d’œil dans le catalogue de la Maison du Whisky suffit pour se convaincre que ce qui est vendu en GMS n’est décidément plus à la hauteur de la situation. 150 références sont proposées : tous les niveaux de prix y sont représentés dans une fourchette allant de 30 à 80 €, toutes les teneurs en alcool (de 37,5 %, minimum légal en Europe à 57 %) ainsi que l’ensemble de la palette d’aromatisations. Idem enfin en termes d’origine : Colombie, Sri Lanka, Australie, Finlande, Pays de Galles, Albanie, Taïwan, Bulgarie…
Ungava pour le Canada, Mare pour l’Espagne, Filliers pour la Belgique, Bombay Sapphire East pour l’Angleterre, Xellent pour la Suisse ou l’exotique Saffron pour la France : en version haut de gamme,
le gin n’a définitivement plus de frontières.
QUATRE STYLES DISTINCTS
Réglementée depuis 1920, l’appellation London Dry Gin est de loin la catégorie la plus importante. Elle fait référence à un style d’expression anglaise, non à un pays d’origine et les London Dry Gins sont de fait produits partout dans le monde. La palette gustative est vaste, avec des recettes globalement aromatiques marquées par la présence du genièvre et du poivre, l’ajout de sucre n’étant permis que sur un mode confidentiel. Exemples : Tanqueray, Beefeater, Bombay Sapphire ou encore Greenall’s, fabriqué dans la plus ancienne distillerie du Royaume-Uni.
Protégée par une IGP, l’appellation Plymouth n’est produite que dans la ville éponyme du sud-ouest de l’Angleterre. Inchangée depuis 1793 et très prisée en son temps par les officiers de la Marine royale, cette recette offre un goût plus doux et plus rond que le classique London Dry Gin. La marque Plymouth Gin est désormais la seule à la représenter, sous 2 versions : 41,2° et 57°(Navy Strength).
Plus ancien que le London Dry Gin, le style Old Tom eut son heure de gloire au 18e siècle avant de s’effacer progressivement. Il produit des gins légèrement sucrés et forts en arômes, le tout servant à masquer une base alcool plus dure que d’ordinaire. Ses caractéristiques sont appréciées pour la réalisation de cocktails. Les marques anglaises Jensen’s, Ransom et autres Hayman’s sont ses derniers représentants.
Venu des Etats-Unis via les micro-distilleries, le style New Western illustre une nouvelle façon de concevoir le gin. La moindre importance de baies de genièvre est compensée par l’apport de cannelle et autres arômes ou épices exotiques. Résultat : des gins bien équilibrés, ronds et riches en saveurs inédites qui font le bonheur des fans de mixologie. Les marques Aviation, Alkkemist, Vørding’s… sont à cette image.
LE MADE IN FRANCE S’INSTALLE AUSSI
Bref, on fait du gin partout dans le monde, y compris en France, chacun s’efforçant ici d’apporter sa différence. C’est le cas en Bourgogne via le liquoriste Gabriel Boudier et son gin Saffron à l’étonnante couleur orange, en raison du safran et du bouquet d’agrumes présents dans la recette.
Dans la région de Cognac, le G’Vine est élaboré à partir d’alcool de raisin et infusé avec 10 plantes aromatiques ; le gin Citadelle de la Maison Ferrand, fabriqué à partir de 19 herbes botaniques différentes est (a priori), le seul à être distillé dans un alambic à feu nu.
En Normandie, le domaine Christian Drouin a pour sa part conçu son gin (Le Gin) à partir d’un distillat de pommes à cidre, de genièvre et de 7 aromates issus de l’univers du calvados, avec au final une production de moins de 3 000 bouteilles fleurant bon l’esprit du terroir.
À Paris enfin, dans le 10e arrondissement, la micro-distillerie fondée par Nicolas et Sébastien Julhès produit depuis un an un gin atypique, frais et élégant, formulé autour d’une architecture bergamote – genièvre (Gin Batch 1).
La liste n’est évidemment pas exhaustive et ce foisonnement montre bien qu’à l’exemple du rhum qui a connu récemment une évolution du même ordre, le gin doit faire désormais l’objet d’un autre regard, d’un autre intérêt.
Pour peu que le (nécessaire) travail d’éducation soit de la partie et arrive à sortir le produit de son mode de consommation le plus convenu (gin + tonic), voilà les prémices d’une tendance que l’épicerie fine devrait prendre en compte pour étoffer et valoriser son assortiment de spiritueux. Inutile d’être trop ambitieux : une simple gamme de trois références (un gin accessible en goût de type Mare pour les non avertis, un français pour la touche d’originalité et un ultra premium pour les grands amateurs) est l’occasion de s’inscrire opportunément dans un mouvement qui, tous les professionnels l’assurent, semble cette fois bien amorcé.
Guy Leray
Gin artisanal de renommée mondiale, l’allemand Monkey 47 est passé en janvier 2016 dans le giron de Pernod Ricard, signe de l’intérêt croissant des grands groupes pour l’offre ultra premium.
REPÈRES
> Marché total du gin : 6,7 millions de bouteilles (base 70 cl), soit 1,3 % des ventes de spiritueux en France tous circuits confondus.
> 75 % des ventes en grande distribution, 25 % pour les autres circuits.
> Le gin représente 2,1 % des ventes de spiritueux en CHR.
> En grande distribution, les marques de distributeurs et la marque d’entrée de gamme Gibson’s (12 € environ) s’adjugent plus de 60 % des ventes.
Sources : Gira Foodservice (base année 2014), FFS, étude CGA-Nielsen 2014, panel de distributeurs