Les puristes disaient “le rosé, ça n’est pas du vin !” Chacun a pourtant le souvenir de rosés vifs, fringants, légers, aux délicats arômes de fruits gourmands. Aujourd’hui, les Français sont les premiers producteurs et les premiers consommateurs ; surtout les femmes et les jeunes.
Des rosés, il en est de toutes les couleurs, du rose pâle au fuchsia, de la pelure d’oignon à l’oeil de perdrix. Aucune définition et pas la moindre règlementation spécifique ne s’appliquent aux vins rosés. Le vigneron a même le choix de la méthode d’élaboration, par prélèvement d’une partie des jus lors de l’encuvage des baies rouges pour augmenter leur concentration – c’est la saignée -, ou bien par pressurage direct, en douceur, de la vendange. La première technique peut donner des vins alcooleux et brûlants. La seconde, aujourd’hui la plus répandue, permet en principe de mieux maîtriser la netteté aromatique des rosés. Longtemps, les rosés ont eu mauvaise réputation. Ils étaient parfois obtenus à partir de résidus de mauvais raisins rouges, immatures ou attaqués par la pourriture.
Certains allaient jusqu’à faire macérer des jus blancs sur des marcs de rouge ! Trop alcoolisés, sulfités à outrance, ils provoquaient céphalées et brûlures d’estomac, alors qu’ils devaient faire partager la fraîcheur de leurs arômes de fruit. Le coup fatal a failli venir de Bruxelles en 2009, lorsque la Commission a proposé d’autoriser le coupage entre rouges et blancs, sous la pression de la grande industrie pinardière, soucieuse d’écouler ses stocks dans les deux couleurs !
La production s’est beaucoup améliorée depuis dix ans mais le choix n’est pas simple. Attention aux rosés trop “marketés”, aux bouteilles et étiquettes toujours plus insolites, aux habillages intempestifs. La couleur peut porter à croire que l’oenologue est assisté d’un coloriste. Certains rouges d’Alsace seraient classés parmi les rosés dans d’autres régions, car le législateur, si prodigue parfois, est resté daltonien ! Le cépage influe sur la couleur des rosés. Certains sont pauvres en pigments colorés comme le “gris” ou le poulsard. Alors, difficile de s’y retrouver !
La dégustation fera la différence : ici, la maigreur des tanins laissera s’exprimer le fruit et la légèreté ; là c’est l’acidité soutenue par une trace de gaz carbonique qui imposera sa nuance… En Languedoc, les rosés seront plus vineux. En Anjou, on recherchera le moelleux des sucres résiduels. En Provence, le délicat tibouren est une rareté (Clos Cibonne). Aux confins de la Champagne et de la Bourgogne, le rosé des Riceys est bonifié en fût de chêne. Tavel depuis longtemps, produit un célèbre rosé d’assemblage de cépages rouges et blancs. Mon coup de coeur va vers un assemblage de grenache et carignan centenaires, bichonné par Michaël Georget au domaine Le Temps Retrouvé à Laroque-des-Albères. Vineux, structuré, gourmand et d’une intense complexité, il se prête à tous les accords : barbecue, crudités, poissons, fromages, desserts.
Jean-Claude Ribaut