Lancée en 1985, l’entreprise et marque de produits alimentaires bio équitable Solidar’monde a quarante ans cette année. Pas de quoi pavoiser, nous confient son DG André du Sartel et son responsable des achats Yannick Chambon. Le modèle du commerce équitable Sud-Nord, fondé sur une plus juste rémunération des producteurs est perturbé en amont par la hausse des cours du café et du cacao et en aval par la frilosité des consommateurs. Le redécollage des ventes de Solidar’Monde depuis le début de l’année rallument toutefois l’espoir d’un avenir meilleur. Interview.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Solidar’Monde fête a 40 ans cette année. Quelle est l’histoire de la marque ?
André du Sartel : L’association Artisans du Monde a été créée en réaction à la famine de 1974 qui a frappé le Bengladesh, suite à d’énormes inondations quelques années après la guerre d’indépendance du pays. Des citoyens français ont voulu venir en aide aux coopératives de femmes bengladaises en leur achetant au juste prix les produits d’artisanat qu’elles fabriquaient, pour les revendre en France. Ce commerce équitable s’est étendu à l’alimentaire avec la création de la filière d’importation de café du Chiapas au Mexique en 1984. L’année suivante, la centrale d’achats Solidar’Monde était créée sous forme de société anonyme, avec comme actionnaires principaux la Fédération Artisans du Monde, la Communauté Emmaüs et le CCFD .
LMEF – Quels sont les produits aujourd’hui distribués par Solidar’Monde ?
« Le café, les céréales, le sucre et le chocolat pèsent 80 % de nos ventes alimentaires »
AdS – Notre activité se répartit en cinq grandes catégories. En premier lieu l’artisanat non alimentaire avec 800 articles au catalogue. Ils sont prioritairement destiné à notre réseau de boutiques Artisans du Monde mais peuvent également être vendus dans d’autres magasins. En alimentaire, nous avons 260 produits. Le café, les céréales, le sucre et le chocolat pèsent ensemble 80 % de nos ventes alimentaires.
Yannick Chambon – S’y ajoutent une gamme assez large de jus de fruits et soft drinks et une vaste gamme de produits transformés, tels que fruits secs, gâteaux, etc. Ainsi qu’une gamme de cosmétiques sous la marque Native. Notre spécificité, inscrite dans nos statut, est que Solidar’Monde ne commercialise que des produits du commerce équitable.
LMEF – Quel est l’objectif de la nouvelle gamme que vous qualifiez de « produits innovants » ?
YC – L’objectif est de suivre les tendances actuelles du marché. Lancée au mois de mars, cette gamme compte actuellement deux références, un café latte et un chocolat latte. Un curcuma latte et un chaï latte seront lancés en septembre. La catégorie des boissons chaudes est importante pour nous. Nous essayons de lui insuffler un peu d’innovation notamment pour les magasins bio, qui sont notre réseau de distribution privilégié outre les boutiques Artisans du Monde. Ces produits innovants sont fabriqués par une coopérative artisanale autrichienne détenue par les producteurs du lait bio qui entre dans sa composition. C’est donc aussi un projet social.
LMEF – Comme pour le chocolat Fairafric, fabriqué au Ghana, que vous distribuez depuis deux ans ?
YC – Le composant vraiment spécifique de notre ADN de commerce équitable d’essayer au maximum d’apporter la valeur ajoutée à la source. Fairafric est un chocolaterie qui emploie 250 Ghanéens sur place pour fabriquer un chocolat avec un niveau de qualité, un savoir-faire et des machines aux standard européens. Ce qui est très rare en Afrique. Les chocolats sont vendus au sur le marché domestique et à l’export. Nous en sommes les distributeurs exclusifs pour la France.
Cette chocolaterie ghanéenne est à la fois un modèle et une exception. Habituellement, nos produits valorisent plutôt des savoir-faire traditionnels locaux. Notre sucre mascobado en est l’exemple le plus connu. C’est un sucre de canne non raffiné complet fabriqué aux Philippines par simple ébullition du jus de canne sans traitement ni lavage. Très intéressant sur le plan nutritionnel, il est apprécié des magasins bio.
LMEF – Quel pourcentage de vos produits est bio ?
AdS – En alimentaire, le bio représente 95 % de notre offre. Quelques filières, de moins en moins nombreuses, ne sont pas certifiées. On peut donc dire que nous sommes quasiment 100 % bio. En général, les manières de produire en commerce équitable sont directement associées à l’agriculture biologique. Pour nous, il est important d’associer les mode de fonctionnement des coopératives, du commerce équitable et l’agroécologie.
« L’agroforesterie est l’un des piliers de notre engagement environnemental »
YC – L’agroforesterie est un des piliers de notre engagement environnemental. Nos cafés par exemple, sont cultivés sur des territoires où cohabitent de cultures vivrières, des arbres fruitiers, etc. Nous allons même jusqu’à soutenir des projets plus pointus comme le café de forêt en Éthiopie, cultivé dans des zones de protection de la biodiversité.
LMEF – Le réchauffement climatique est-il le principal défi que doivent relever les acteurs du commerce équitable ?
YC – Les enjeux du commerce équitable sont multiples car notre approche est assez holistique. Le but premier du commerce équitable est de permettre aux petits producteurs de vivre de leurs revenus. C’est notre premier enjeu. Cela passe par un prix plus rémunérateur et des primes de développement qui permettent de soutenir les infrastructures des coopératives agricoles au niveau de la production, en termes d’agronomie, d’économie sociale, etc.
AdS – La bio équitable est une des réponses durable à l’enjeu du réchauffement climatique. L’agroforesterie et l’agroécologie respectent la fertilité des sols, la biodiversité et le cycle de l’eau que la monoculture intensive épuise.
LMEF – L’explosion des cours mondiaux des matières premières menace-t-elle le commerce équitable ?
YC – Les hausse historique des cours du café et du cacao réduit le différentiel entre les prix du commerce équitable et ceux du marché. Ce qui permet à des traders « coyotes » d’acheter directement leur production à des agriculteurs en mal de liquidités en payant cash. Cela fragilise les coopératives agricoles qui sont privées d’une partie de leur production. Notre réaction consiste à pré-financer de manière assez significative les coopératives de manière à leur permettre de payer comptant leurs adhérents producteurs. C’est un premier enjeu pour la filière du commerce équitable.
LMEF – Quels sont les autres enjeux ?
YC – Il y a celui de la nouvelle réglementation bio européenne entrée en application depuis le 1er janvier dernier, qui vise à aligner aligner les normes et les contrôles sur les produits bio importés sur le réglement bio européen. Cela implique des coûts de certification et des contraintes organisationnelles beaucoup plus importants. L’autre enjeu est celui du « réglement « zéro déforestation importée » ». Nous sommes ravis de le respecter mais là aussi, cela entraîne des coûts supplémentaires, notamment pour enregistrer les coordonnées satellites de chaque producteur et vérifier qu’ils ne déforestent pas. Nous intervenons en appui des coopérative en jouant un rôle d’information, de mises à jour documentaires et de recherche de solutions.
« Nous sommes à jour sur le zéro déforestation. Verdict à la fin de l’année pour la bio »
LMEF – Quel est leur état de préparation sur le réglement « Zéro Déforestation » ?
YC – Sur le réglement zéro déforestation, la quasi-totalité de nos coopératives sont à jour. Nous sommes à l’aise avec ce sujet car nous travaillons en direct avec elles et nous les connaissons bien depuis longtemps. Et la plupart sont engagées dans une démarche d’agroforesterie, de préservation de la biodiversité et de l’environnement. Ce qui limite les risques de déforestation. Le plus gros enjeu au niveau des coopératives est plutôt que certaines arrêtent le bio européen, car trop complexe et trop coûteux, pour privilégier l’Asie ou l’Amérique du Nord. Donc il y a des enjeux de disponibilité des matières première bio.
LMEF – Les coopératives avec lesquelles vous travaillez restent-elles fidèles à la bio ?
YC – Pour l’heure, toutes celles qui sont certifiées le sont restées bien que cela crée des surcoûts non négligeables. Sachant que le règlement s’applique depuis cette année seulement, il faudra toutefois attendre la fin 2025 pour y voir plus clair.
LMEF – Vous intéressez-vous au commerce équitable en France ?
YC – Nous avions lancé une gamme de bières il y a quelques années. Nous l’avons arrêtée parce qu’elle ne marchait pas. Nous ne nous interdisons pas d’autres tests en France mais ce n’est pas notre coeur de métier.
« Notre vrai défi est d’accélérer la croissance du commerce équitable Sud-Nord en France »
AdS – L’ADN de Solidar’Monde est d’apporter aux producteurs du Sud une juste rémunération. Il est important de comprendre que le commerce équitable reste faiblement développé en France : 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 1 milliard pour le Sud-Nord. Le bio atteint 12 milliards alors qu’elle ne pèse que 5 % de la consommation alimentaire. Notre vrai enjeu est d’accélérer la croissance du commerce équitable Sud-Nord en sensibilisant au travers de l’éducation et des plaidoyers. Dans un contexte défavorable où la hausse des cours des principales catégories incite les consommateurs à se retenir, nous devons reconquérir les consommateurs.
LMEF – Comment allez-vous célébrer les quarante ans de Solidar’Monde ?
AdS – Nous allons rester humble et continuer à communiquer avec nos petits moyens sur les réseaux sociaux. Nous sortons d’une situation qui a été compliquée ces dernières années. Malheureusement notre trésorerie reste extrêmement tendue. Nous manquons de visibilité sur l’année concernant les cours du café et du cacao. Nous verrons donc à la fin de l’année s’il y a matière à mener d’autres actions.
LMEF – L’activité de Solidar’Monde est-elle en croissance ?
AdS – Après une année 2024 difficile, nous avons renoué avec la croissance en 2025. À fin juin, notre chiffre d’affaires était en progression de 18 %. Nous restons compétitifs sur un marché tendu avec des belles offres produit sur nos coeurs de gamme et des innovations qui peuvent nous aider à rajeunir notre clientèle.