À la tête de quatre points de vente (dont deux boucheries à Paris) Alexandre Polmard est, à 29 ans, l’un des bouchers les plus médiatisés de France. Boucher, éleveur mais aussi restaurateur, il s’est fait connaître pour la qualité de sa viande et son mode de conservation atypique : l’hibernation.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Vous faites partie depuis quelques années maintenant, de la jeune génération des bouchers dont on parle. Est-ce que cette notoriété vous est utile ?
Alexandre Polmard – C’est forcément utile parce que cela permet de faire passer des messages sur des sujets qui nous concernent, comme par exemple la réforme des petits abattoirs. Et puis cela permet de faire connaître notre savoir-faire : quand on est comme moi installé à Saint-Mihiel, un petit village de 4 000 habitants situé dans la Meuse, c’est vraiment important. À ce sujet, je peux remercier le boucher Hugo Desnoyer qui m’a permis d’être mis en avant en me faisant inviter sur Canal+.
LMEF – Vous êtes issu d’une famille de bouchers éleveurs dont vous représentez la sixième génération. Faut-il comprendre que vous ne vendez que des produits de votre ferme ?
AP – C’est vrai pour toute la viande de boeuf qui vient d’animaux élevés à 100 % chez nous. Le reste vient d’éleveurs avec lesquels nous partageons la même philosophie et un savoir-faire bien particulier. Une bonne partie d’entre eux travaillait déjà avec mon père il y a trente ans.
LMEF – Concernant votre élevage, vous évoquez souvent la nécessité de tout maîtriser. Qu’entendez-vous par là ?
AP – Je crois que ce qui a fait le succès de notre viande, c’est qu’elle peut être identifiée à l’aveugle grâce à son grain très fin. C’est justement pour obtenir cette viande identifiable qu’il nous faut tout maîtriser, à commencer par la sélection génétique et génomique des veaux que nous achetons, l’équilibre alimentaire que nous leur assurons, la gestion du stress avant l’abattage, la maturation et pour nous l’hibernation. Tout cela pour arriver à une viande offrant beaucoup de longueur en bouche, pas d’oxydation ni de goût rance qui normalement, ne devrait pas être associé à de la viande française comme la blonde d’Aquitaine, la limousine ou la normande qui sont des races à maturité tardive, moins grasses que certaines espèces américaines ou anglo-saxonnes.
LMEF – Quelle est l’importance de l’alimentation ?
AP – Elle est énorme. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ça n’a aucun impact sur le goût de la viande parce que l’animal synthétise ce qu’il mange. En revanche, l’alimentation permet d’influer sur des caractéristiques essentielles que sont l’acidité, le pH et la quantité et la qualité du gras intramusculaire. Ces éléments sont importants parce que ce sont eux qui vont définir le temps de maturation de chacune des bêtes après abattage.
LMEF – Pensez-vous que le palais de l’amateur de viande a évolué ces dernières années ?
AP – Certainement. Quand je suis allé vendre ma viande à Hong Kong en 2013, on m’a dit que je n’y arriverais jamais parce qu’elle n’avait pas de gras intramusculaire, autrement dit pas de goût de gras. Aujourd’hui, je dois être le boucher qui sert le plus de restaurants étoilés à Hong Kong ! En France, je note qu’il y a de plus en plus de clients qui viennent manger ou acheter de la viande chez nous alors qu’ils n’en mangeaient pratiquement plus depuis des années. C’est en tout cas ce qu’ils nous disent ! Et ce n’est pas seulement parce que nous sommes en filière directe, mais parce que l’on trouve chez nous une viande qui a un goût particulier, une tendreté rappelant la viande que l’on connaissait dans le passé… C’est le résultat d’un choix : je ne suis pas un adepte des maturations trop longues qui, selon moi, masquent l’identité de la viande.
LMEF – Votre autre caractéristique c’est l’hibernation. De quoi s’agit-il ?
AP – Comme la surgélation ou la congélation, l’hibernation c’est la transformation de l’eau de l’état liquide à l’état solide. Avec une différence : plus on descend en température négative rapidement, plus le cristal d’eau va être petit. Nous avons fait le choix d’une cristallisation intercellulaire qui permet de préserver les cellules : avec notre process, la viande placée sous vide est privée d’humidité et d’oxygène, tant et si bien qu’il n’y a plus d’oxydation du gras, ni de changement du goût. Quand elle est conservée à moins 18° dans un congélateur, elle ne bouge plus et conserve toutes ses qualités gustatives et sa tendreté.
LMEF – L’actualité s’est faite l’écho de différents mouvements anti-viande, voire anti-boucherie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
AP – Ce qui m’interpelle, ce sont surtout les mouvements anti-souffrance animale parce qu’ils sont justes. À un moment donné, il faut que les dérapages que l’on a pu voir ici et là s’arrêtent. L’animal doit être respecté jusqu’au bout et je suis favorable à la réouverture des abattoirs privés comme il y en avait un peu partout dans nos campagnes autrefois. Après, sur l’idée que l’homme ne mange plus du tout de viande, cela me paraît improbable. L’homme est un omnivore qui a besoin et qui peut trouver du plaisir à manger un peu de tout, de façon équilibrée. Mais il a surtout besoin de savoir ce qu’il mange.
LMEF – Comment évolue l’univers de la boucherie en tant que commerce de détail ?
AP – On constate que les gens vont de moins en moins dans les boucheries traditionnelles. Quand la génération de ceux qui ont aujourd’hui entre 60 et 80 ans disparaîtra, ça va être difficile. On le voit, ce qui marche, ce sont les produits transformés, prêts à être consommés. Par exemple, notre best-seller, c’est le tartare préparé. Et il se vend trop peu de bourguignon ou de viande à pot-au-feu pour faire tourner une boucherie, c’est pourquoi de plus en plus de ces commerces s’ouvrent aux plats traiteurs, à la restauration et même à l’épicerie fine.
Propos recueillis par Bruno Lecoq