VODKA PREMIUM
LE MADE IN FRANCE FAIT LE SHOW
Si la vodka reste le premier marché mondial de spiritueux, ses ventes en France ont toujours du mal à décoller. Mais, bonne nouvelle pour le commerce spécialisé, une tendance premium s’affirme de plus en plus, qui fait évoluer favorablement tant l’image de la vodka que la façon de la consommer. Et ce sont les marques tricolores qui mènent le bal.
Ses racines historiques sont en Europe de l’Est mais c’est désormais à l’ouest du Vieux Continent que se construit une part de l’avenir de la vodka. La plus porteuse peut-être, l’histoire le dira, la plus novatrice assurément. Et la France est aux premières loges puisque c’est justement là que fut initié dans les années 1990 un mouvement qui n’a cessé depuis de s’amplifier. Retour en 1997 du côté de Cognac. François Thibault, l’un des distillateurs les plus réputés de la région, vient de mettre la touche finale à la mission que lui a confiée Sydney Franck, un riche distributeur de vins et spiritueux aux États-Unis. Objectif : créer une vodka française sur-mesure et d’une qualité “sans compromis” (sic) qui devienne la référence du positionnement premium à l’échelle mondiale. François Thibault a oeuvré en ce sens : sélection pointue des ingrédients (blé tendre d’hiver de Picardie, eau de source de Gensac-la-Pallue naturellement filtrée), mode d’élaboration unique (fermentation en cascade de 6 cuves, une seule distillation à colonne)… La marque Grey Goose est née1 et à travers elle, c’est un néosegment qui sous le signe de l’excellence, voit alors le jour au sein de la catégorie vodka. Le tout, last but not least en termes d’impact, est griffé made in France. La communication aidant, le succès est immédiat et surtout exponentiel. Plus de vingt ans après le lancement et après s’être ouverte dès 2000 aux versions aromatisées (citron, orange, poire et maintenant vanille), Grey Goose – qui s’affiche en France dans la fourchette 40/45 € -, pointe dans le top 5 des marques de vodkas les plus vendues dans le monde2.
Un effet d’entraînement multirégional
L’esprit pionnier et le parti pris du prestige ont payé, le goût de la perfection et la French touch aussi. Nombreux sont dès lors ceux qui vont suivre cette voie, à commencer par le groupe britannique Diageo, n° 1 mondial des spiritueux. En 2001, soit trois ans avant le rachat de Grey Goose par Bacardi-Martini, il propulse ainsi la vodka Cîroc sur le marché international. Même volonté d’incarner le luxe à la française, même sourcing rigoureux, même image de pureté et de modernité… mais grosse différence tout de même : le produit pensé et conçu par Jean-Sébastien Robicquet, par ailleurs propriétaire de la Maison Villevert aux abords de Cognac, innove avec une base raisin inédite. C’est une première pour la catégorie3 qui, servie par une législation européenne ayant ouvert entre-temps l’appellation vodka à d’autres matières premières, connaît dans la foulée des déclinaisons diverses et, pour certaines, improbables (voir encadré). De fait, derrière Cîroc, devenue rapidement la marque n° 2 des vodkas ultra premium à l’international (environ 24 millions de bouteilles), les lancements se multiplient.
Les deux dernières éditions limitées de Cîroc – pastèque, raisin blanc -, la nouvelle variété La Vanille de Grey Goose ou la vodka au génépi de Cherry Rocher sont à l’image d’un segment des vodkas aromatisées nourri par la créativité.
Jolis effets packagings à l’appui, Pyla (2009), Viche Pitia (2011), Tigre Blanc (2012), la champenoise Cobalte (2014), Nadé ou Guillotine (2018), qui signent les premières vodkas de raisin vieillies en fût de chêne, sont de ceux-là, parmi beaucoup d’autres en l’occurrence comme l’ont montré en septembre dernier les exposants du 5e salon France Quintessence, 100 % dédié aux spiritueux français. De la Distillerie de Gayant dans le nord de la France à la Liquoristerie de Provence en passant par les distilleries Bows à Montauban, Erika, Rétha Spiritueux ou Naud en Charente-Maritime, par la Maison Daucourt à Angoulême ou par la Distillerie de Paris des frères Julhès, la vodka nouvelle génération prend ainsi position partout en France. Et partout également c’est le positionnement haut de gamme qui sert de fil rouge, mais avec désormais l’esprit craft aux commandes.
La “petite eau”
aux 100 visages
À l’inverse de la tequila, obligatoirement d’origine 100 % mexicaine, mais tout comme le gin, la vodka est un alcool blanc dont l’appellation n’est pas protégée sur le plan géographique. Elle peut donc être produite sous ce nom partout dans le monde et tel est le cas : les quelque 5 000 marques répertoriées proviennent de plus d’une vingtaine de pays. L’usage du mot est néanmoins bien encadré puisque pour être ainsi dénommée, la “petite eau” (traduction du russe “vodka”) doit répondre à plusieurs critères : 37,5 % minimum pour le titrage alcoométrique au terme d’un processus qui inclut une phase de fermentation de céréales ou d’autres matières premières, une distillation le plus souvent continue dans un alambic dit “à colonne”, avec le cas échéant jusqu’à 5 ou 6 passages selon le résultat souhaité, une filtration pour optimiser la pureté du produit et enfin une étape d’assemblage où l’eau de source est ajoutée progressivement au distillat pour atteindre le degré réglementaire qui, pour la vodka haut de gamme, est dans les faits rarement inférieur à 40°. Outre la palette des aromatisations, presque sans limite, le choix et la qualité de la matière première (sa nature doit être mentionnée sur l’étiquette) constituent donc un espace de liberté grâce auquel les fabricants de vodka affirment leur style et leur spécificité. Le champ du possible est dès lors très vaste, comme en témoigne l’offre made in France : pomme de terre pour Rétha La Blanche ou Faronville ; blé, orge ou seigle pour Grey Goose, Vodka Bistro, Ar-Òc, Citadelle, Pyla ou Tigre Blanc ; quinoa pour Fair ou Madame Vodka ; maïs pour Blue Frog ; raisin pour les marques Cîroc, Nadé, Guillotine, Cobalte ou GM (Grappe de Montpellier) et même cumin des prés ou carvi pour Carvia (Maison de la Vodka à Cognac). Ajoutons à cela Lactalium, une vodka d’inspiration mongole à base de lait des montagnes fermenté produite dans le Gers par la distillerie Gimet, celle au sarrasin de la Distillerie du Golfe dans le Morbihan, celle aux noix vertes bio qu’a créée la Franquette en Dordogne ou celle aux châtaignes de la distillerie briviste Bellet… Liste non exhaustive bien sûr, a fortiori dans le contexte d’une actualité de plus en plus débridée.
Le savoir-faire artisanal fait mouche
À l’exemple de sa dernière cuvée vendue en édition très très limitée – 212 bouteilles d’une vodka de vigneron, récolte 2018, vieillie 4 mois en fût de Fronsac au prix public d’environ 90 € ! -, Cedrik Nadé fait justement partie des artisans qui portent haut le message de l’ultra premium. Il explique les raisons de son engagement : “La fabrication de la vodka implique un haut niveau de technicité et un affinage d’une extrême précision. À l’inverse du gin, on ne peut pas masquer la réalité du produit, ce qui rend le travail du distillateur d’autant plus intéressant et exigeant. Nous voulons redorer le blason de la vodka en l’amenant sur le terrain de la dégustation.” Sous la marque Madame Vodka, Cyrielle Arnold (ARSpirits) a pour sa part, lancé cette année une vodka 100 % française 100 % bio à base de quinoa charentais, avec un 1er lot de 5 284 bouteilles numérotées (de 36 à 38 €). Pour elle également, il n’était pas question d’aborder autrement ce marché : “Il n’est pas simple d’émerger dans un environnement aussi encombré, à moins d’avoir une approche distinctive de grande qualité et qui plus est, riche de sens et de valeurs. Le quinoa français offre cette possibilité avec au final un produit inédit aux arômes bien marqués, rond et souple à la fois, et qui suscite en outre beaucoup de curiosité.”
Repères
18 % : part de la vodka dans la consommation mondiale de spiritueux. Soit l’équivalent de 4,54 milliards de litres.
6,5 % : part de la vodka dans la consommation de spiritueux en France. Soit l’équivalent de 28 millions de litres, tous circuits confondus.
85 % : part des GMS sur le marché de la vodka en France (en volume), les 3/4 des ventes se faisant sous la barre des 15 € la bouteille. Les autres circuits, CHR inclus, s’adjugent les 15 % restants, soit l’équivalent de 4,3 millions de litres.
23,1 % : en volume, part de la vodka dans les exportations françaises de spiritueux, soit près de 103 millions de litres. C’est la 2e catégorie la plus exportée derrière le cognac (31,5 %).
Sources : FFS, FEVS, Nielsen, Iri, OGA Nielsen. Chiffres base 2018.
Le goût de la différence et la quête de typicité sont aussi les arguments qui ont amené Jérôme Rigaud et Morgan Guilloto à innover en 2016 dans leur distillerie de l’Île de Ré, avec Rétha La Blanche. Leur spécificité : une base pomme de terre jusqu’alors délaissée en France. Mais pas n’importe quelle pomme de terre : “Nous voulons faire rimer vodka avec terroir, commente Morgan Guilloto, d’où le choix de la variété locale Alcmaria, AOP Île de Ré qui, après double distillation, se distingue par des notes sucrées amande – noisette peu courantes.” Et ils poussent même un cran plus loin la démonstration en sortant en 2019 une série limitée vintage vieillie en fût de chêne (38 €).
Pomme de terre primeur de l’Île de Ré pour Rétha La Blanche, quinoa bio de Charente pour Madame Vodka, raisins du bordelais pour Nadé, blé de Champagne-Ardenne pour Tigre Blanc Alambic : la production artisanale s’exprime dans la diversité avec une matière première d’origine 100 % française et le plus souvent, 100 % locale.
Franciser son assortiment
L’approche terroir et locavore est enfin celle prisée par Benoît Garcia, à la tête de la distillerie Bows dans le Sud-Ouest. Depuis 2017, il propose Ar-Òc, une vodka à la fibre occitane bien trempée et pleinement revendiquée (orge + blé des champs voisins, eau de source du Languedoc). Commercialisée autour de 40 €, “le prix de la qualité” (sic), elle séduit de plus en plus le consommateur local : “Là où nous sommes présents, les cavistes et épiceries fines de la région qui ne vendaient pas de vodka auparavant, écoulent jusqu’à six bouteilles par mois.”
Avec deux ou trois grandes marques étendards d’un côté, avec des acteurs “craft” novateurs, talentueux et de plus en plus nombreux de l’autre, avec enfin une tendance mixologie qui lui est durablement favorable, la vodka made in France a de beaux jours devant elle. Car si l’on reste dans le cadre d’un marché globalement stabilisé et de taille modeste dans l’Hexagone (voir encadré Repères), c’est l’approche ultra premium en version pure ou aromatisée, qui est actuellement la plus porteuse avec une croissance annuelle moyenne d’environ 3 % et même plus encore hors GMS. L’offre franco-française, on l’a compris, est le moteur de ce mouvement. Au commerce spécialisé de savoir maintenant ouvrir son assortiment en conséquence et prendre du même coup sa juste place dans le trafic.
Guy Leray
1 Littéralement “oie cendrée”. Cela fait référence à ces oiseaux sauvages qui, en route vers le sud espagnol, survolent la région Aquitaine.
2 Loin de l’intouchable duo Smirnoff – Absolut qui à tous points de vue, ne joue pas dans la même cour. Les trois quarts des ventes de Grey Goose se font aux États-Unis.
3 Plus de 90 % de la production française de vodka sont issus de céréales.
2 questions à
Jean-Cyrill
LECOINTRE,
Directeur
Marketing
QUAI SUD
Globalement, que faut-il poser comme questions à un client qui s’interroge sur le bon mélange pour cocktail avec de la vodka ?
On peut orienter son choix vers les cocktails classiques pour commencer son initiation et suivre ses goûts. Du très vintage Bloody Mary en passant par le Cosmopolitan, le fameux Sex on the beach ou le très tendance Moscow Mule. Il y en a pour tous les goûts.
Quels sont vos best-sellers à base de vodka parmi vos préparations pour cocktails ?
Ceux cités ci-dessus sont dans le top 10 de nos ventes en sachant que nous avons une cinquantaine de mélanges pour cocktails. Le phénomène de mode joue un grand rôle dans la consommation des cocktails. Aujourd’hui nos ventes de préparations pour vodka explosent avec le Moscow Mule…