Après de longs mois de décroissance liée aux contre-effets de la crise sanitaire, les ventes de friandises reprennent des couleurs en France. Notamment dans le commerce indépendant où, entre tradition et modernité, une nouvelle génération de confiseurs prend position aux côtés des acteurs historiques du secteur. L’esprit gourmet – gourmand est là, l’innovation à valeur ajoutée et la prise en compte des nouvelles tendances aussi. La bonne recette peut-être pour repartir durablement de l’avant.
C’est un petit événement qui a valeur de grande reconnaissance, et il est signé Dalloyau. En décembre 2021, l’emblématique enseigne gastronomique aborde les fêtes de fin d’année sur le thème “Bonbon Noël”, invitant entre autres notre “âme d’enfant à (re)découvrir les confiseries d’antan remises au goût du jour par des artisans français” (sic). Incluant des références iconiques de cet univers (sucettes à l’ancienne, berlingots de Nantes, violettes, oursons guimauve, calissons d’Aix…), la collection ainsi constituée par Dalloyau réinjecte d’un coup une dimension patrimoniale à tout un pan – parfois ignoré, souvent sous-évalué – de notre culture alimentaire.
L’initiative est d’autant plus légitime que la confiserie française, historiquement et quantitativement parlant, ce n’est pas rien. Avec quelque 600 spécialités recensées d’une région à l’autre, ce secteur peut se prévaloir à juste titre d’une diversité qui sur le fond n’a rien à envier à celle du fromage ou de nos vignobles. La perception de cette réalité par le grand public est en revanche plus aléatoire, pour ne pas dire péjorative en ces temps de nutrition bien-pensante, et l’évolution à moyen terme du marché est à l’avenant : plutôt déclinante avec en toile de fond une difficulté chronique à séduire la nouvelle génération.
Un sentiment de redémarrage
La crise sanitaire n’a évidemment rien arrangé. Privées depuis deux ans d’événements qui sont autant de sources de revenus substantiels (mariages, goûters d’anniversaires, baptêmes…), pénalisées également par le coup d’arrêt porté à des circuits tels que le duty-free, les parcs d’attractions, les cinémas, le CHR et autres fêtes foraines, les ventes de confiseries (chewing-gums inclus) ont vu s’accélérer à la fin 2020 (- 8,5 %) une baisse structurelle effective depuis plusieurs années. Par rapport à 2018, ce sont en tout cas près de 150 M€ qui se sont envolés sous l’effet Covid, dont quasiment la moitié pour les seuls bonbons, sucettes, fruits confits et spécialités régionales.
Aujourd’hui pourtant, l’embellie est peut-être en vue : “Le réflexe friandise relève à 100 % d’un achat d’impulsion porté par le goût du plaisir et de la fête, par le tourisme de passage et les beaux magasins de centre-ville, constate Pascal Zundel, président des Confiseurs de France. En 2020, les contraintes voire les interdits liés au climat ambiant ont plombé les occasions de consommer nos produits, d’où un résultat global exceptionnellement bas. Au printemps 2021, la situation s’étant un peu assouplie, des signes encourageants sont réapparus et ils semblent se confirmer depuis.”
Si la performance du deuxième trimestre 2021 (+ 4 % versus 2020) a été ainsi perçue comme un début de rééquilibrage, celle du troisième a en effet renforcé chez les professionnels un sentiment de reprise : + 2,2 % en valeur pour les bonbons à la fin septembre (Nielsen, cumul annuel mobile), + 10,6 % pour les sucettes, + 3,9 % pour les spécialités. Pascal Zundel, par ailleurs aux commandes en Normandie de la très réputée maison Bonbons Barnier, s’en félicite d’autant plus que le rebond s’effectue par le haut : “Le fait marquant est que ce sont les produits traditionnels à forte valeur ajoutée qui tirent la demande et c’est donc le commerce de proximité qui en bénéficie.” Vincent Tourtiller, directeur commercial de Monbana, partage cet avis : “Nous ressentons chez le consommateur l’envie, voire le besoin de se refaire plaisir et d’en finir avec les frustrations. Parallèlement, il est évident qu’au-delà même de la crise qu’on traverse, il y a un retour vers le beau, le bon et le local que le seul commerce indépendant est capable de satisfaire puisque telle est sa vraie nature. Il s’agit maintenant d’optimiser le mouvement et de ne rien lâcher en termes d’animation et de communication. C’est notre volonté.”
À l’inverse d’une grande distribution qui est ici comme ailleurs, fidèle à sa logique de volume – bien servie au demeurant par les gros industriels du secteur (1) –, l’objectif des artisans confiseurs est donc d’installer une stratégie de réenchantement qui passe notamment par de l’innovation distinctive, inventive et pertinente, et ce, avec plus particulièrement la cible adulte dans le viseur. D’après Confiseurs de France, 35 % des adultes sont en effet accros aux sucreries et les deux-tiers en consomment, ne serait-ce qu’occasionnellement ; ils restent de toute façon les premiers prescripteurs en termes d’achats, a fortiori dans les circuits traditionnels.
Symboles de notre patrimoine gourmand national, les grands classiques restent des points de repères solides qui se transmettent de génération en génération.
Entre classicisme et modernité
Innover donc. Plusieurs pistes sont potentiellement ouvertes ; elles s’inscrivent dans la lignée des grandes tendances alimentaires du moment, du bio au locavore en passant par la naturalité et l’authenticité, par le sans gluten et le moins sucré, voire le sans sucre. Mais le point de départ, globalement partagé d’un fabricant à l’autre, c’est la confiserie traditionnelle et l’idée de gourmandise qui lui est indissociable : “Ma démarche vise à revisiter les produits incontournables de notre enfance, à s’approprier les recettes et à les réinterpréter pour aller vers plus de plaisir gustatif, plus de surprise, plus d’audace, plus d’émotion”, explique Thierry Court, autoproclamé “créateur de Petits Bonheurs” (sic) dans son atelier grenoblois. “Il ne s’agit pas de tout balayer mais de s’appuyer au contraire sur les fondamentaux, de les moderniser, de les sublimer, ajoute Ashvin Verdier qui représente la quatrième génération à la tête de la maison familiale éponyme, dans les Pyrénées-Atlantiques. En termes d’innovation, la réflexion initiale s’appuie donc sur l’existant, sur la spécialité régionale notamment.” Ne rien s’interdire et avoir un œil neuf sur tout, ok, mais ne pas être pour autant dans la rupture ou dans l’extravagance : c’est là que se situe grosso modo, côté créativité, le terrain de jeu de la confiserie du 21e siècle.
“Comme avant, mais d’aujourd’hui”, résume ainsi Stéphane Boublil, fondateur en 2016 de la société Le Bonbon Français. Le positionnement est clair et l’assortiment est à l’avenant, 100 % bleu – blanc – rouge, le tout servi par un sourcing axé sur la haute qualité et par un merchandising à vocation pédagogique (flyers, PLV informative…) à destination des épiceries fines, concept-stores et autres boutiques d’aéroports : “Notre marque raconte à sa façon, du nord au sud du pays, l’aventure propre à la confiserie française. C’est ce qui intéresse nos détaillants et c’est ce qui touche les consommateurs, poursuit-il. Le clin d’œil au patrimoine est évident mais cela ne nous empêche pas de le faire évoluer via des saveurs ou des recettes originales.”
Faire bouger les lignes
Moins “raisonnables” que Stéphane Boublil, d’autres acteurs pour le moins inspirés se chargent de faire bouger les lignes sur un mode encore plus tranché, encore plus novateur, mais toujours avec la même passion du bon. Depuis 2019, dans le Morbihan, Florian Giraud (Le Bonheur des Ogres) a ainsi mis le nougat dans son collimateur : “Un produit hyper-formaté auquel je souhaite donner une identité à la fois bretonne et toute personnelle, à mi-chemin entre le classique nougat de Montélimar et le touron espagnol, explique-t-il. Je ne fais pas d’étude de marché, c’est l’intuitif qui me guide. Je crois tout simplement à ce que je fais en allant vers des choses qui n’existaient pas auparavant.” Pour preuve, fabriqués avec du miel de châtaignier… breton bien sûr, ses nougats de dégustation au poivre de Sichuan, aux baies de la passion, au citron confit, à l’orge torréfiée, au combava et poivre de Kampot… tous produits qui ouvrent des territoires gustatifs inédits en ce domaine. Tous produits qui sont dans le même temps le fruit d’une éthique très vertueuse : dans la sélection des ingrédients, dans les partenariats mis en place, dans la naturalité des recettes (sans colorant, sans additif, sans sirop de glucose), dans le choix d’emballages écoresponsables. Et le tout fait mouche auprès des plus de trente ans : l’an passé, Le Bonheur des Ogres a vu ses ventes progresser de 77 % !
Drapeau français à la une, le fond de l’air est le même pour les gélifiés BonsBecs “100 % végétal” de la start-up francilienne TinyBird, alliances atypiques à l’appui (poire & graines de lin bio, citron & graines de chia bio…), pour les nouveaux bonbons fourrés au vin de Jurançon et piment d’Espelette que la Maison Verdier a concoctés en affirmant un peu plus au passage son ancrage basco-béarnais, ou pour les créations “alternatives” de Thierry Court (Criiiks et ses billes de céréales soufflées enrobées, Bom’bom et ses bonbons guimauve new-look…). Idem dans la Loire, non loin de Saint-Etienne, avec Les Bonbons de Julien où à l’exemple de sa guimauve à la verveine, Julien Taboury cultive depuis 2009, avec la même volonté de dépoussiérer l’univers de la confiserie, “le sens du fait maison, du produit gourmet et du travail artisanal sans compromis.” Bien vu, car là aussi le résultat est payant : + 40 % de croissance en 2021.
Autre exemple, François Doucet Confiseur. Spécialiste connu et reconnu de la pâte de fruits depuis plus de 50 ans, l’entreprise provençale sait aussi sortir de son registre originel pour apporter des idées neuves au marché, succès à la clé. Kara’fruité est à cette image ; cette gamme de céréales sans gluten croustillantes nappées de chocolat blanc et de poudre de fruit (banane, framboise, citron vert, passion) a remporté le 3e prix des innovations mondiales phares lors du concours ISM 2021, une première depuis 2009 pour le label France. Programmée à la rentrée 2022, la prochaine actualité de la maison sera du même calibre : une confiserie turbinée gourmande et sophistiquée qui, sur un axe caramel, sera l’occasion d’un process annoncé révolutionnaire. À suivre donc.
Stéphane Boublil (Le Bonbon Français), Lise Mailliard et Juliette Sabatier (TinyBird), Florian Giraud (Au Bonheur des Ogres), Ashvin Verdier (Maison Verdier) ici aux côtés de sa grand-mère : des personnalités qui parmi d’autres, illustrent sur des registres divers, la relève du marché.
Faire bouger les lignes
Moins “raisonnables” que Stéphane Boublil, d’autres acteurs pour le moins inspirés se chargent de faire bouger les lignes sur un mode encore plus tranché, encore plus novateur, mais toujours avec la même passion du bon. Depuis 2019, dans le Morbihan, Florian Giraud (Le Bonheur des Ogres) a ainsi mis le nougat dans son collimateur : “Un produit hyper-formaté auquel je souhaite donner une identité à la fois bretonne et toute personnelle, à mi-chemin entre le classique nougat de Montélimar et le touron espagnol, explique-t-il. Je ne fais pas d’étude de marché, c’est l’intuitif qui me guide. Je crois tout simplement à ce que je fais en allant vers des choses qui n’existaient pas auparavant.” Pour preuve, fabriqués avec du miel de châtaignier… breton bien sûr, ses nougats de dégustation au poivre de Sichuan, aux baies de la passion, au citron confit, à l’orge torréfiée, au combava et poivre de Kampot… tous produits qui ouvrent des territoires gustatifs inédits en ce domaine. Tous produits qui sont dans le même temps le fruit d’une éthique très vertueuse : dans la sélection des ingrédients, dans les partenariats mis en place, dans la naturalité des recettes (sans colorant, sans additif, sans sirop de glucose), dans le choix d’emballages écoresponsables. Et le tout fait mouche auprès des plus de trente ans : l’an passé, Le Bonheur des Ogres a vu ses ventes progresser de 77 % !
Drapeau français à la une, le fond de l’air est le même pour les gélifiés BonsBecs “100 % végétal” de la start-up francilienne TinyBird, alliances atypiques à l’appui (poire & graines de lin bio, citron & graines de chia bio…), pour les nouveaux bonbons fourrés au vin de Jurançon et piment d’Espelette que la Maison Verdier a concoctés en affirmant un peu plus au passage son ancrage basco-béarnais, ou pour les créations “alternatives” de Thierry Court (Criiiks et ses billes de céréales soufflées enrobées, Bom’bom et ses bonbons guimauve new-look…). Idem dans la Loire, non loin de Saint-Etienne, avec Les Bonbons de Julien où à l’exemple de sa guimauve à la verveine, Julien Taboury cultive depuis 2009, avec la même volonté de dépoussiérer l’univers de la confiserie, “le sens du fait maison, du produit gourmet et du travail artisanal sans compromis.” Bien vu, car là aussi le résultat est payant : + 40 % de croissance en 2021.
Autre exemple, François Doucet Confiseur. Spécialiste connu et reconnu de la pâte de fruits depuis plus de 50 ans, l’entreprise provençale sait aussi sortir de son registre originel pour apporter des idées neuves au marché, succès à la clé. Kara’fruité est à cette image ; cette gamme de céréales sans gluten croustillantes nappées de chocolat blanc et de poudre de fruit (banane, framboise, citron vert, passion) a remporté le 3e prix des innovations mondiales phares lors du concours ISM 2021, une première depuis 2009 pour le label France. Programmée à la rentrée 2022, la prochaine actualité de la maison sera du même calibre : une confiserie turbinée gourmande et sophistiquée qui, sur un axe caramel, sera l’occasion d’un process annoncé révolutionnaire. À suivre donc.
Place à la confiserie du futur !
D’autres perspectives enfin font débat, tels le sans sucre ou le bio. Comme nombre de confrères artisans, Pascal Zundel évoque rapidement le premier nommé qu’il estime pratiquement hors sujet : “L’essence même de la confiserie, le constituant physique de nos produits, le fondement même du plaisir de consommer, c’est le sucre. Vouloir le supprimer n’a pas de sens, ou alors on ne parle plus de confiserie. Tout en réalité est affaire d’équilibre.”
Sur le bio, les avis divergent davantage. Il y a d’abord les sceptiques : “J’ai fait plusieurs essais il y a quatre ou cinq ans, dit Julien Taboury. Mais j’ai été déçu autant par le résultat final que par le prix prohibitif où j’aurais dû me positionner. Je préfère sortir de bons produits en conventionnel plutôt que des moins bons en bio.” Il y a ensuite les adeptes, de longue date parfois à l’instar des Anis de Flavigny dont la gamme biologique au sucre de canne a été lancée dès 2002 et qui ne cesse depuis de s’étoffer. Plus récemment, François Doucet Confiseur s’est impliqué à son tour avec une offre AB de fruits secs enrobés (amande, noisette) : “L’association bio – épicerie fine n’est pas forcément la plus convaincante dans l’esprit des consommateurs mais une demande existe et nous ne pouvons pas l’ignorer, constate Marie Gouillod, responsable marketing et communication. Même si ce n’est pas le cœur de nos ventes, nous croyons en ces produits et en 2022, le but est d’asseoir la gamme avec des nouveautés.”
Créée en 2019 dans le Berry, la société Cocoripop est presque un cas d’espèce dans le paysage puisque 100 % dédiée à la confiserie bio, qui plus est premium : “J’ai senti qu’il y avait un créneau à prendre en travaillant de la même façon qu’une confiserie traditionnelle, explique Emmanuel Dupuis, son fondateur. Autrement dit, avec la même rigueur dans la sélection des matières premières, avec le même sens du produit gourmet, avec le même savoir-faire artisanal.” Normal quoi, mais bio ! Une démonstration réussie puisque les tout premiers-nés de son atelier, des popcorns au caramel beurre salé, ont été couronnés d’argent lors des prix Épicures 2021 : “Il faut expliquer le projet, faire déguster, tout cela prend du temps. Mais je sens un réel intérêt de la part des épiceries fines qui, sur le bio aussi sont demandeuses de nouveautés, de valorisation et de haute qualité.”
Totalement décomplexée et d’une inventivité débridée, la confiserie contemporaine prend peu à peu sa place au sein des assortiments. Qui plus est, sans pour autant mordre sur les terres de “la confiserie d’avant”. Un double effet fort en gourmandise qui, si la relance se confirme, est de bon augure pour la suite des événements.
Guy Leray
(1) Le groupe allemand Haribo, qui place cinq références dans le top 5 du marché français (Fraise Tagada en n° 1 devant les Dragibus et Les Schtroumpfs pour le podium), est leader devant Carambar & Co, devenu n° 2 depuis le rachat de Lamy Lutti à la fin 2018.
Repères
Sources : Nielsen, Iri CAM à 06/21, Kantar 2020, Confiseurs de France.
– 1022 M€ (- 0,2 %) : CA annuel de la confiserie, hors chewing-gums, en GMS dont la part tous circuits est estimée entre 80 % et 85 %. Ce qui, par extension, attribue un CA d’environ 180 M€ aux ventes hors GMS.
– 76 % : part des sucettes + bonbons en GMS sur le total confiserie, hors chewing-gums. Les petites confiseries de sucre sont à 13,5 % et les spécialités à 9,8 % (pâtes de fruits, nougats, dragées, calissons…).
– 88,4 % tous circuits confondus : taux de pénétration de la confiserie dans les foyers français en 2020 (- 1,1 % vs 2019).
– 10,2 fois/an : fréquence d’achat de confiseries/foyer acheteur (- 1,9 %).
– 33,80 € : dépense moyenne/an/foyer acheteur.
– 1,9 % : part de la confiserie dans la consommation de sucre alimentaire en France.
– 37 % : part des TPE dans la fabrication de confiseries. Les PME représentent 57 % et les grandes entreprises, seulement 1 %.
– 600 spécialités régionales et traditionnelles en France. Créé en 1638 avec une recette inchangée depuis, le sucre d’orge des religieuses de Moret-sur-Loing est souvent réputé être le plus vieux bonbon français. Mais les faits sont contestés par le berlingot de Carpentras dont l’histoire remonterait, dit-on, au 14e siècle, et par la dragée de Verdun qui revendique pour sa part 800 ans d’histoire. Plus fort encore, les premières traces de ce qu’on nommera par la suite l’Anis de Flavigny auraient été enregistrées sous Charlemagne !