Le 28 février 2024 au Salon de l’Agriculture, des producteurs de noix originaires de différentes régions de production françaises ont discrètement rendu visite à des producteurs de fruits sans coque. « Nous avons rencontré les interprofessions de la pêche, de l’abricot, de la poire, de la pomme, du kiwi et du pruneau afin de savoir comment ils étaient organisés », relate Alexandre Escoffier, vice-président de la Chambre d’Agriculture de l’Isère, où il exploite 45 hectares de noyeraies en monoproduction.
Jeter les bases d’une AOP noix de France
L’objectif de cette démarche est de préparer le terrain en vue de créer une Association d’organisation de producteurs de noix de France et de structurer une filière hexagonale. En effet, la noix française ne dispose pas d’organisation nationale, bien que son verger soit le deuxième en France après les pommeraies. En croissance depuis 25 ans, la noyeraie française (27 000 hectares) se répartit en plusieurs régions dispersées et deux AOP régionales.
Le Sud-Ouest (Dordogne, Lot, Corrèze) produit 55 % des noix françaises. Le reste provient du Dauphiné (Isère, Drôme, Savoie). L’appellation Noix de Grenoble, qui date de 1938, regroupe environ 70 % des producteurs du Dauphiné. Plus récente, l’appellation Noix du Périgord (2002) représente un cinquième de la production du Sud-Ouest. Dans les deux cas, les vergers bio génèrent 30 % de la production. De nouveaux vergers ont été créés récemment dans le Loir-et-Cher, en Lorraine et dans les Charentes.
Faire taire les dissensions régionales
En 2010, une première structure nationale, Dynamic Noix, avait déjà été initiée. Elle était censée regrouper les AOP françaises. Mais elle restée une coquille vide dénuée moyen d’action, faute de cotisations… Sa reconnaissance comme organisation de producteurs lui a finalement été retirée par l’État en 2022. L’Interprofession Noix de Grenoble reste aujourd’hui la plus active, tandis qu’une interprofession du Sud-Ouest créée en 2021 a été mise en sommeil pour privilégier la structuration nationale en cours.
« Cette histoire illustre les difficultés d’organisation de la filière : dominée par l’opportunisme commercial, morcelée entre les deux bassins et tiraillée entre les intérêts divergents des opérateurs et les désaccords entre personnes (y compris au sein des mêmes structures) », cingle l’inspecteur général Jérôme Burq dans le rapport « Accompagnement à la structuration de la filière Noix » du Conseil général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces ruraux qu’il a remis au ministère de l’Agriculture en novembre 2023.
Rompre avec trois décennies d’insouciance
Il faut admettre que pendant des décennies, la profession nucicole française ne voyait guère de raison de chercher à s’organiser. Le marché mondial est en effet resté porteur pendant plus de 30 ans, alimenté par une augmentation de la consommation et des échanges mondiaux. Pendant 17 ans, la production mondiale de noix a ainsi régulièrement progressé, de 6 % par an en moyenne, pour atteindre 2,6 millions de tonnes en 2022.
Mais l’année 2022 a été celle d’une guerre commerciale entre États-Unis et Chili, prolongée par une récolte exceptionnelle, en hausse de 17 %. Les noix françaises en ont été les victimes collatérales. Aujourd’hui, la crise est mondiale. Les cours mondiaux ont chuté jusqu’à devenir inférieurs aux coûts de production californiens.
La production française est surtout destinée à l’international (70 % vers l’Europe). Neuvième pays producteur, la France a pour principaux concurrents les États-Unis et le Chili. Ce dernier pays est arrivé sur le marché européen en septembre 2023. Or la noix chilienne, qui utilise beaucoup plus d’intrants, a un rendement deux fois supérieur à l’hectare que son homologue française… Début 2023, notre filière a été officiellement déclarée en état de crise par l’État français. Celui-ci a incité les producteurs à se structurer pour relever le défi.
Reprendre pied sur le créneau du cerneau
Au fil des décennies, la filière française est devenue moins adaptée au marché mondial. Nos noix s’exportent principalement sous forme de noix avec coques. En volume, notre balance commerciale de noix coquille reste très positive (24 000 tonnes par an en moyenne 2016-2021) avec une très faible proportion d’importation (autour de 600 tonnes).
Mais pour les cerneaux, c’est l’inverse. La France en est importatrice nette, avec un déficit de 7 800 tonnes par an. La profession de « noisilleur à façon » dont l’activité consiste à extraire à la main les cerneaux des coques a en effet disparu après la suppression en 2016 de son avantageux forfait sur les charges sociales. Les cerneaux sont depuis soit directement importés, soit produits en sous-traitance, notamment en Moldavie.
Investir dans la mécanisation et les variétés
De plus, l’énoisage mécanique des variétés dominantes en France, comme la franquette, est moins productif que pour les variétés américaines. C’est notamment dû au fait que les noix françaises ont des cloisons internes. « Sur le cassage et l’énoisage, nous ne savons pas faire un produit fini de même qualité que les Américains et les Chiliens », admet Alexandre Escoffier. Atteindre par la mécanisation le niveau de qualité de l’énoisage manuel appelle un investissement en R&D sur les variétés et machines, souligne le rapport Burq. Un effort de longue haleine qui ne peut être que collectif.
La reconquête du marché français est un autre enjeu pour la filière. Les Français consomment 500 grammes de noix par habitant et par an, soit cinq fois mois que les Autrichiens, Espagnols ou Grecs. « Si les Français mangeaient autant de noix que les Italiens, la production nationale ne suffirait pas à les satisfaire », invoque pour sa part Alexandre Escoffier. Une récente étude du CTIFL montre que les consommateurs reconnaissent l’intérêt nutritionnel des noix. Mais suggère aussi que celles-ci souffrent d’une absence criante de communication et d’une présence insuffisante dans les rayons des magasins…
Mettre au pot commun pour communiquer
Là encore, relancer les ventes sur le marché domestique demandera « des moyens nationaux dédiés à la communication générique sur la noix et ses vertus » et « une stratégie commerciale collective visant à segmenter le marché », préconise le rapport Burq. Son appel semble avoir été entendu. « Il faut que tous les acteurs cotisent pour relancer la noix de France. Individuellement, cela ne représentera pas de grosses sommes, de l’ordre de 5 ou 10 euros à l’hectare probablement. Mais collectivement, cela nous donnera les moyens de faire de la publicité, de reprendre l’initiative en terme de commercialisation et d’être entendus dans les ministères et les instances européennes », argumente Alexandre Escoffier.
Avec les encouragements de Sophie Marceau !
En novembre 2023, la filière en difficulté a eu la surprise de recueillir le soutien spontané d’une influenceuse de choc. Sur son compte Instagram, la très populaire actrice Sophie Marceau avait en effet appelé à manger des noix du Périgord ou françaises. Il s’agirait de ne pas la décevoir !