La fédération européenne de l’agriculture biologique Ifoam Organics Europe et ses adhérents français ont saisi le tribunal judiciaire de Paris pour demander l’interdiction de l’usage de l’Éco-score. Ils le considèrent comme « déloyal à l’égard de la production biologique ». Cette action en Justice intervient peu de temps après une conférence du collectif français En Vérité favorable au dispositif concurrent, le Planet-Score. Alors que le gouvernement doit définir une méthode d’affichage environnemental d’ici la fin de l’année 2023, la controverse sur la méthode de l’Analyse du Cycle de Vie rebondit.
Dans un communiqué de presse daté du 25 janvier, l’Ifoam rappelle que « les acteurs engagés dans la transition écologique attendent beaucoup des dispositifs d’information tels que les affichages relatifs aux impacts environnementaux des produits et services » et que « les mouvements de l’agriculture biologique défendent le déploiement de tels indicateurs. En revanche, ils s’opposent à ce qu’ils puissent être déloyaux ou trompeurs pour les consommateurs. »
Un procès contre l’Ademe, Yuca, Etiquettable et Open Food Facts
L’Ifoam et l’Association qui regroupe ses 13 adhérents français (la Fnab, Nature & Progrès, Synabio, etc.) ont saisi le Tribunal Judiciaire de Paris pour « demander la cessation de l’usage » de l’Éco-score. Ce faisant, ils n’hésitent pas à mettre directement en cause une belle brochette d’acteurs peu suspects d’écoblanchiment. À commencer par la très officielle Ademe, établissement public sous tutelle du ministère de la Transition écologique… L’Agence est propriétaire de la marque Éco-score.
Les autres organisations visées sont les membres du consortium privé à qui l’Ademe a concédé la licence d’utilisation temporaire d’Éco-score (sous forme d’étiquetage sur les produits ou d’affichage en ligne). À savoir : l’application d’évaluation de la qualité des produits alimentaires Yuka, la société de conseil Éco2 Initiative et sa plateforme d’information sur l’alimentation durable Étiquettable, ainsi que l’association Open Food Facts qui gère une base de données collaborative de référence sur la composition des produits alimentaires… Autant de partenaires qui font pourtant figure de leaders en matière de transition alimentaire !
Recours en annulation de marque
Pour boucler la boucle, l’Ifoam a complété la saisine du tribunal de Paris par une action en nullité de la marque Éco-score devant l’Inpi. Elle a également lancé une action auprès de l’EUIPO, équivalent européen de l’Inpi, pour participer à l’examen de la demande d’enregistrement de la marque Eco Impact par la Foundation Earth. Celle-ci est conseillée par plusieurs multinationales de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Elle promeut un système comparable à celui de l’Éco-score.
L’Ifoam reproche à l’Éco-score de contrevenir aux dispositions du règlement européen de la production biologique et à ses règles d’étiquetage et d’être « possiblement constitutifs d’une pratique commerciale trompeuse au détriment des consommateurs et du marché ». Sur la forme, la fédération désigne comme « illicite » le fait d’associer le diminutif « Éco » à des produits non certifiés biologiques. Ce qui pourrait selon elle créer la confusion entre conventionnel et AB à l’échelle européenne…
Un même base, deux méthodes de calcul
Sur le fonds, l’Ifoam conteste la pertinence de la méthodologie de notation environnementale employée. Celle-ci s’appuie en effet principalement sur l’Analyse du Cycle de Vie des produits alimentaires (ACV) développée par l’Ademe à partir de la base de données Agribalyse. On fait grief à cette dernière de trop sous-estimer les externalités environnementales négatives de l’agriculture conventionnelle. L’Ifoam rapporte d’ailleurs que la Commission européenne a récemment remis en question l’ACV dans le cadre du projet de Directive relative aux allégations environnementales.
On sait que les organisations professionnelles françaises de la bio soutiennent pour leur part le Planet-score. Ce dispositif d’affichage environnemental concurrent de l’Éco-score est développé par l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique (Itab). Il a également Agribalyse pour point de départ. Mais il s’enrichit d’autres indicateurs comme la prise en compte de la biodiversité, des pesticides, des impacts climatiques… Ces derniers sont formalisés par autant de curseurs sous une note alphabétique globale.
Contactés par courriel, les chefs de file du consortium d’utilisateurs de l’Éco-score n’ont pas répondu à ce jour. Vincent Colomb, ingénieur en charge du dossier de l’affichage environnemental à l’Ademe, précise pour sa part que l’Agence « ne partage pas l’analyse de l’Ifoam et s’en expliquera » devant le juge. Certains éléments de réponse sont connus : l’Agence les avait déjà donnés dès 2021.
Le Collectif En Vérité sort son étude
Même si les deux événements ne semblent pas liés, l’offensive judiciaire de l’Ifoam imprime un relief particulier aux propos échangés le 12 janvier dernier lors d’une conférence organisée par le Collectif En Vérité dans les locaux de l’Assemblée Nationale. Cette association regroupe une soixantaine de marques alimentaires grandes et petites qui militent pour des règles d’étiquetage communes à tous les produits alimentaires en matière de type de production, d’origine, d’additifs et de qualité nutritionnelle.
Ce jour-là, En Vérité a rendu publique une étude consommateurs sur l’affichage environnemental orchestrée par BVA. À cette occasion, le responsable du dossier auprès du gouvernement français et la porte-parole de Planet-score ont été conviés pour faire le point sur l’avancement du projet.
Les consommateurs attendent une information claire
Le sondage BVA témoigne d’une insatisfaction des consommateurs vis-à-vis de l’information environnementale sur les produits. Ils lui attribuent en effet une note tout juste supérieure à la moyenne : 5,8/10. Pour compléter, BVA a testé l’accueil du Planet-score, auprès des consommateurs. Celui-ci est encourageant. « On a globalement un fléchage du choix vers des produits plus environnementaux et donc les plus vertueux », constate Régis Olagne, vice-président de BVA en charge du Département Agriculture-Énergie-Environnement.
Les indicateurs les plus attendus sont les plus concrets. Il s’agit de « l’absence d’utilisation de pesticides, le respect des conditions de culture et d’élevage et une origine du produit garantie ». En revanche, des indicateurs sur la préservation de la biodiversité, du climat ou des ressources paraissent plus flous aux consommateurs.
Le Planet-score va intégrer l’origine et le social
Le dispositif continue de se perfectionner. « L’étiquette Planet-score incluera d’ici peu la transparence sur l’origine et le social », annonce Sabine Bonnot, présidente de l’Itab et porte-parole du Planet-score. Quelque 190 marques et enseignes bio ou non collaborent actuellement avec Planet-score. Ce qui en fait l’initiative d’affichage environnemental actuellement « la plus développée au niveau français mais également européen », affirme Sabine Bonnot. Selon elle, les premières campagnes publicitaires de produits affichant le label devraient prochainement apparaître.
Une urgence très politique
Cet activisme doublé d’une bataille d’influence entre les dispositifs s’explique par le calendrier politique. La loi Climat et Résilience promulguée en août 2021 prévoit d’expérimenter différents systèmes « d’affichage environnemental et social » sur la base du volontariat pendant cinq ans au maximum. Mais le gouvernement a fixé une étape intermédiaire au terme de laquelle il désignera une méthode unique pour tous.
Au cours de la conférence En Vérité, Pascal Dagras, représentant du ministère de la Transition écologique en charge de l’affichage environnemental, a confirmé l’objectif de définir « une méthode d’affichage environnemental avant la fin de l’année 2023. Pour ce faire, il est nécessaire qu’une première proposition de méthodologie soit d’abord partagée avec tous pour un maximum de transparence, pour que chacun puisse le critiquer, l’améliorer, etc. », a-t-il ajouté. La concertation se poursuivra donc encore pendant quelques mois avant définition d’une règle commune.
De son côté, la porte-parole du Planet-score a pour sa part rappelé que les méthodes de calcul de l’impact environnemental des produits alimentaires « sont très, très loin d’être abouties. Espérons que le gouvernement tirera profit des trois ans et demi qui restent dans le cadre de la loi Résilience Climat pour élaborer un affichage en concertation avec toutes les parties prenantes. Il n’y a pas besoin de boucler en 2023. »
Les pouvoirs publics plus ou moins conciliants
Sur le fond, Pascal Dagras s’est toutefois montré conciliant. « Il faudra s’appuyer sur l’analyse de cycle de vie, mais il faut aussi être lucide sur ses limites et proposer des compléments. Agribalyse n’est pas aujourd’hui la proposition de technologie portée par les pouvoirs publics. », complète le Monsieur Affichage environnemental du gouvernement.
Mais une autre ambition gouvernementale est moins bien accueillie par les professionnels de la bio. Les pouvoirs publics veulent un affichage permettant de comparer les produits au sein d’une même catégorie mais aussi avec les alternatives appartenant à une autre catégorie (steak de viande et steak végétal par exemple). Objectif : encourager les régimes alimentaires ayant un moindre impact sur le climat. Cette option n’a pas la faveur des marques du Collectif en Vérité, qui la jugent irréaliste, objecte Sébastien Loctin, fondateur de l’association et président du fabricant Biofuture.
En attendant un « cadrage » européen
Une fois la méthode adoptée, celle-ci s’imposera aux marques volontaires pour mener l’expérimentation à son terme. Enfin, un « cadrage européen » est annoncé, selon Sabine Bonnot, pour l’horizon 2025-2026. Échéances réglementaires multiples, procès, méthodes d’évaluation à peaufiner… Le dossier de l’affichage environnemental n’a pas fini de passionner.