Caviar

Caviar : Une demande croissante de petites boîtes

Que les amateurs de caviar se réjouissent : les petites boîtes ont le vent en poupe. Raison de plus pour inciter les consommateurs à se faire plaisir en leur suggérant d’intégrer ce mets raffiné à leurs préparations culinaires. Quels sont ses meilleurs alliés ? Y a-t-il des règles à observer ? Nous sommes allés interroger quelques chefs. Vos clients n’auront plus qu’une envie : en faire tout un plat !

Un mets légendaire

Symbole de faste depuis des siècles, le caviar porte en lui la magie des moments uniques. Serait-ce parce qu’il trônait jadis à la table des tsars, à l’époque où il était encore sauvage, ou parce qu’on le servait à la louche (en or) à la grande époque de Maxim’s et qu’il reste intimement lié à la fulgurance des Années folles ? Pour toutes ces raisons et bien d’autres, le caviar reste un mets hautement sensoriel dont beaucoup ignorent qu’il requiert de longs soins intensifs. “Quand on achète une boîte, on déguste une quête d’excellence qui a duré dix ans” rappelle Tigrane Petrossian, ambassadeur du caviar français Prunier, référence mondiale depuis 1921. À l’instar du maître de chai qui veille jalousement sur le bon vieillissement d’un vin, les opérations nécessaires à la transformation des œufs d’esturgeon (salage, affinage, maturation…) sont en effet le fruit d’un savoir-faire aussi artisanal qu’ancestral.

Mini-boîtes, maxi-plaisir

Avec une consommation annuelle d’environ 50 tonnes, la France est l’un des plus grands consommateurs de caviar au monde. Et même si 80 % de la population n’y ont encore jamais exposé leurs papilles, il attire de plus en plus de non-initiés. Une tendance que les marques ont bien comprise puisqu’elles font tout pour en décomplexer l’approche.

 

“Le marché du caviar bénéficie d’une vraie dynamique, confirme Carelle Combaut-Bétille, responsable commerciale Retail France de caviar Sturia, premier producteur de caviar exclusivement français.” Et l’on assiste à une demande croissante en faveur des petits grammages (10 et 15 g). Ils permettent à l’épicier de maintenir un stock facile à gérer, mais constitue surtout une clé d’entrée pour le consommateur qui peut explorer les spécificités du produit à un prix plus abordable.” Les petits conditionnements seraient donc une invitation à ouvrir son palais ? Pour Tigrane Petrossian, cela ne fait aucun doute : “Les clients s’autorisent plus facilement à acheter une boîte supplémentaire afin de comparer les variétés, surtout hors période de fêtes – Noël étant plus propice aux grands formats. À noter que plus celui-ci est petit, plus le caviar est fragile et doit être consommé rapidement. Mais une fois qu’on a ouvert une boîte, il est rare de ne pas lui faire un sort ! Ce qu’il y a de magique avec le caviar, c’est que le palais l’apprécie spontanément.”

Dans les règles de l’art

Se faire plaisir sans se ruiner, oui, mais avec un produit irréprochable, insiste Karin Nebot, directrice générale de Kaviari, une entreprise familiale française qui importe du caviar depuis plus de 50 ans. “Un grain digne de ce nom doit être brillant, se détacher aisément, ne dégager aucune odeur à l’ouverture de la boîte et ne pas être trop salé – le sel masquant parfois des caviars douteux.” Ensuite ? Eh bien, à chacun de choisir son camp. Il y a deux écoles : soit on le déguste bien frais, en puriste, en prélevant les grains à même la boîte avec une cuillère (en bois, en bambou, en nacre… mais jamais en métal), soit on choisit de le travailler. “Il faut alors respecter quelques règles et toujours choisir sa variété de caviar en fonction de la recette” prévient le chef Maximin Hellio (1 étoile Michelin). Dans son restaurant éponyme situé au cœur de Deauville, ce fils de cuisinier breton qui a fait ses classes au Pré Catelan, propose une “Balade en mer” où le caviar monte systématiquement à bord, de l’entrée au dessert. “Le caviar est un grain de sel doté d’un arôme spécifique. D’où l’importance de laisser chaque variété apporter son croquant et son parfum.”

 

Le rôle du caviar est clair : exaucer, parfumer, sublimer. Et dès qu’il prend le chaud, il diffuse instantanément ses arômes au plat… à condition de surveiller la température comme le lait sur le feu. “Si l’on se contente de déposer quelques grains sur un poisson cuit que l’on déguste aussitôt, aucun problème. En cas de liaison dans une sauce ou un bouillon, il faudra en revanche savoir qu’au-delà de 50 degrés, les œufs de caviar durcissent et deviennent immangeables” souligne Sylvestre Wahid (2 étoiles Michelin) qui officie au restaurant Les Grandes Alpes à Courchevel, après avoir brillé aux pianos de L’Oustau de Baumanière (Les Baux-de-Provence), puis à ceux de Thoumieux (Paris 7e).

 

On peut toujours s’exercer sur une préparation froide – un tartare de poisson par exemple. “Les notes de noisette du caviar y feront merveille, dit Karin Nebot. Quelques lamelles de bar ou de saumon, par exemple, agrémentées d’avocat et surmontées d’une quenelle de 7 g de caviar, c’est fantastique !” Avec un carpaccio de saint-jacques aussi, nous apprend le chef Maximin Hellio. “Je vous recommande d’utiliser une belle huile d’olive, des zestes de citron vert et d’avoir la main légère sur le caviar. Il doit juste venir transcender la saint-jacques. C’est elle, le produit phare.”

La simplicité avant tout

De plus en plus sollicités pour mettre du caviar à leur carte, les chefs sont unanimes : quelques grammes sur un plat suffisent à révéler ses saveurs iodées. “Marilyn Monroe en consommait quotidiennement sur une pomme de terre qu’elle accompagnait de crème aigre, dit Carelle Combaut-Bétille. Mais sur une excellente burrata avec un filet d’huile d’olive, c’est également délicieux. En fait, le caviar est l’ingrédient idéal de la cuisine créative.” D’autant qu’aucun (ou presque) ne semble lui résister.

“J’ai essayé toutes les combinaisons imaginables” avoue Hendry Angwe Mezah, chef exécutif du restaurant Prunier, une institution plus que centenaire où l’on magnifie “tout ce qui vient de la mer”, et dont Yannick Alléno (3 étoiles Michelin) a brillamment repris les rênes. Pourquoi ne pas s’inspirer d’une de ses entrées en faisant toaster un pain de mie que l’on recouvrira de ventrèche de thon gras préalablement snacké d’un seul côté ? Un peu de chiffonnade de thon par-dessus, quelques points de caviar Tradition, de la ciboulette, une pointe d’ail, et voilà un repas qui commence sous les meilleurs auspices.

 

“Avec le caviar, il ne faut jamais se compliquer la vie en lui associant dix saveurs différentes, mais aller à l’essentiel, affirme le chef Franck Putelat (2 étoiles Michelin – La Table de Franck Putelat à Carcassonne). Mariez-le tout simplement à un œuf (coque, poché, mollet, mimosa, au plat ou brouillé). Je ne connais pas meilleur accord.” Bien sûr, l’œuf doit toujours être à température ambiante, jamais sorti du réfrigérateur. Un conseil que Sylvestre Wahid nous invite à respecter à la lettre avant d’entrer dans le vif du sujet : “L’œuf coque, c’est 3 à 4 minutes dans une eau frémissante. On découpe sa tête, on dépose une belle cuillère de caviar dessus et on n’a plus qu’à y tremper des mouillettes. Pour un œuf au plat, il suffit de beurrer légèrement le poêlon, d’ajouter du poivre (uniquement du poivre, pas de sel !) et de faire frémir. On débarrasse ensuite dans une assiette, on parsème de grains de caviar et le tour est joué. L’œuf poché, lui, se cuit 3 à 4 minutes dans de l’eau vinaigrée avant d’être coiffé de caviar et dégusté tel quel, sans autre garniture.”

 

Pour un résultat haute couture, on peut s’inspirer de l’emblématique “Œuf Christian Dior” que Yannick Alléno a érigé en plat signature chez Prunier. Compliquée la gelée de jambon ? Adaptez la recette en vous concentrant d’abord sur la cuisson de l’œuf (3,30 min, pas davantage). Son cœur doit être coulant. Intéressez-vous ensuite à la sauce, à base de crème liquide et de crème double, que vous agrémenterez de grains de caviar avant d’en déposer une quenelle sur l’œuf préalablement dressé dans une assiette.

Le saviez-vous ? Les pâtes aussi lui font les yeux doux. Et ce n’est pas Maximin Hellio qui dira le contraire, lui qui enrobe volontiers ses spaghettis d’une sauce simplissime, légèrement moutardée : “Je fais réduire de la crème, j’incorpore une cuillère de moutarde en grains et en dernier, un peu de caviar osciètre.”

La mer sur un plateau

Dire que la mer est l’alliée privilégiée du caviar est une évidence tant coquillages, huîtres, mollusques et crustacés en pincent pour lui. “Une belle saint-jacques légèrement tiédie au caviar avec un beurre citronné, quelle émotion !” s’exclame le chef Sylvestre Wahid. Lorsqu’il s’agit de travailler le violet de Méditerranée, aussi appelé “biju” en Occitanie, Franck Putelat ne jure que par l’osciètre. “Son grain blond, roulant sous la langue, me permet d’apporter de la texture à ce fruit de mer savoureux. Je fais suer un peu d’échalote que je déglace avec du vin blanc, je verse tout le jus du biju et une fois que l’ensemble a réduit, je crème légèrement avant de mixer l’ensemble. Une pomme purée légèrement fumée tempérera l’iode de cette crème épaisse. Un peu de salicorne pour la fraîcheur, des petites coques justes ouvertes… et il n’y a plus qu’à recouvrir d’une dizaine de grammes de caviar.”

 

Les filets de poissons (loup, bar, sole, dorade…) s’ennoblissent aussi au contact des précieux grains noirs. Surtout quand Sylvestre Wahid les nappe d’une sauce d’anthologie. Sa recette tient en peu de choses : “Dans une casserole, faites roussir sans trop de coloration de l’échalote hachée avec du beurre, ajoutez du vin blanc et portez à ébullition. Déposez votre filet de poisson et cuisez-le 3/4 minutes de chaque côté. Le temps de faire réduire la sauce, d’y ajouter, hors du feu, un trait de jus de citron, de la ciboulette ciselée, du caviar et là… vous pleurez ! Rien que d’en parler, j’ai l’eau qui me monte à la bouche ! Le résultat est également excellent avec de la truite ou du saumon. L’important c’est que le poisson ne soit pas trop épais.”

 

Vous êtes plutôt beurre blanc lorsque vous dégustez un filet de bar que vous avez cuit au four ou à la poêle avec un filet d’huile d’olive ? La version “Badaboum” de Hendry Angwe Mezah devrait vous plaire. “Attendez que le beurre blanc ait tiédi pour ajouter une grosse cuillère de caviar dedans et dès lors, veillez à ce qu’il ne reparte sous aucun prétexte en ébullition !” prévient le chef qui ne peut s’empêcher de nous livrer sa recette de moules de bouchot : “C’est la pleine saison, il serait dommage de s’en priver. Nous les préparons avec une sauce au safran. Il suffit de faire suer carottes, oignons et champignons, de les crémer avant d’ajouter un peu de caviar (Baeri). Son côté beurré et peu iodé se marie parfaitement au safran qui peut aussi être remplacé par du vin jaune.”

Caviar / viande : un terre mer réussi

Preuve que le caviar n’est pas sectaire, il ne boude jamais la viande qu’il assaisonne avantageusement. Si Franck Putelat, grand spécialiste du terre mer, avoue un faible pour le trio huître, tartare de bœuf et caviar, Maximin Hellio, lui, n’hésite pas à en mettre une quenelle sur un filet de bœuf qu’il saisit sur toutes les faces et qu’il déguste avec une délicieuse sauce au vin rouge. “C’est à la portée de tous. Utilisez un caviar peu iodé, à la texture relativement fine et au grain moyen.” Les amateurs de viande blanche, eux, s’en donneront à cœur joie avec un ris ou une côte de veau ainsi qu’une volaille. Les suprêmes de poulet que le chef Sylvestre Wahid fait pocher dans un bouillon de volaille pendant 8 à 9 minutes en sont la preuve gourmande : “Dès que le bouillon a réduit je le crème jusqu’à obtenir une belle liaison puis je monte le tout avec une noisette de beurre. J’ajoute du citron, du vin jaune d’Arbois et j’introduis le caviar une fois que la température a été abaissée à 45 degrés.”

Vous prendrez bien un petit dessert ?

Si certains chefs poussent l’audace jusqu’à nous proposer de terminer un repas sur du caviar, c’est parce qu’ils savent que sa touche iodée va jouer, au même titre qu’une fleur de sel dans du chocolat, les exhausteurs de goût. “La désormais célèbre tarte chocolat/caviar de Bruno Verjus prouve que ce duo a fait ses preuves, souligne Franck Putelat. Mais il ne fonctionne que s’il y a de l’onctuosité et du gras dans la ganache.”

 

Vos clients souhaiteraient tenter l’expérience ? Il va sans dire qu’ils devront choisir un chocolat d’excellente qualité. Ensuite, libre à eux de revisiter les classiques de leur enfance comme l’ont fait Hendry Angwe Mezah et Franck Putelat. Le premier avec une mousse au chocolat malicieusement servie dans une boîte de caviar et recouverte d’une opaline tartinée de… caviar. Le second avec un pain perdu ultra-gourmand dont la recette remporte un franc succès : “Il s’agit de faire sécher un morceau de brioche très beurrée que l’on trempe dans un appareil composé de jaune d’œuf, de lait entier et d’une cuillère de crème. On dépose ensuite au milieu de l’assiette quelques points de yuzu et de citron Meyer que l’on aura fait confire en saison, de la crème triple et trois points de caviar (6 à 8 g par personne). Pour déguster ce dessert, le convive n’a aucun couvert. Il est juste invité à saucer le mélange avec la brioche préalablement caramélisée dans un beurre clarifié. C’est détonant ! Le caviar joue exactement le rôle d’une fleur de sel. Celui que j’utilise bénéficie d’un affinage bref (1 mois). À la maison, vous pourrez vous régaler avec de belles tranches de brioche que vous achèterez chez votre boulanger. Quant aux confits de citron, vous les trouverez aisément en épicerie fine. Un peu de crème sur l’assiette, quelques grains de caviar et vous voilà prêt à saucer !”

Savourons, savourons…

On l’aura compris, le caviar est un diamant brut aux multiples facettes. Mais pour que ce mets mythique continue de nous procurer de belles émotions, gardons-nous d’en galvauder l’essence. “Si vous aviez devant vous 10 ou 15 cl de Château Yquem, vous viendrait-il à l’idée de le boire distraitement d’un coup ? demande Tigrane Petrossian. Non. Vous fermeriez les yeux et vivriez chaque gorgée en conscience. Avec 10 ou 15 g de caviar dégusté frais ou travaillé en cuisine, c’est pareil. Ajouter du caviar pour ajouter du caviar sur un plat, façon topping, n’a aucun sens. Dès lors que chaque paramètre a été soigneusement anticipé – température, cuisson, nature des chairs, choix du caviar… –, alors le nouvel assemblage est bien plus qu’une association de textures et de saveurs. C’est un voyage !”

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