Christian le Squer

Christian Le Squer : « Il faut s’ouvrir à l’innovation »

Sacré 3 étoiles par le guide Michelin en février dernier, Christian Le Squer, chef du Four Seasons Hotel George V Paris, a fait l’essentiel de son parcours dans des maisons prestigieuses et étoilées. Cela ne l’empêche pas de rester authentique et de porter dès qu’il le peut, les couleurs de sa région d’origine, la Bretagne.

LMEF – Vous avez marqué l’actualité gourmande de ce début d’année en décrochant une troisième étoile pour le restaurant Le V. Ce n’est pas une première puisque vous aviez déjà obtenu la même récompense en 2002 au Pavillon Ledoyen, mais en dehors de la satisfaction bien légitime qui doit être la vôtre, pouvez-vous nous dire en quoi ces trois étoiles vous obligent ?

Christian Le Squer – Effectivement, c’est une immense satisfaction pour mon équipe et moi. Je ne sais pas si cette reconnaissance des guides en général m’oblige à quelque chose en particulier, mais je la prends comme un indicateur. Je réalise une cuisine en mouvement qui s’inscrit dans l’actualité du monde culinaire. Elle plaît aux guides et colle surtout à la clientèle et c’est là l’essentiel car un chef doit d’abord cuisiner pour ses clients sans forcément chercher à plaire aux guides.

LMEF – Vous êtes le chef d’un des palaces les plus réputés du monde. On imagine que la sélection des produits doit y être encore plus rigoureuse qu’ailleurs. Comment gérez-vous ce poste ?

CLS – À mes côtés, le chef de cuisine Romain Mauduit est en charge de cette sélection et nous avons le privilège de pouvoir mettre le prix pour acheter l’excellence. Cela ne veut pas dire que tous les bons produits soient chers : une bonne carotte n’est pas forcément plus chère qu’une mauvaise ! D’autre part, nous avons la chance de recevoir chaque jour des fournisseurs et des artisans qui se déplacent pour nous proposer leurs meilleurs et plus beaux produits : cela va d’une belle farine de meule à une excellente viande. Nous faisons notre marché dans la haute couture de l’alimentaire et restons particulièrement vigilants car on ne peut pas élaborer de la grande cuisine sans de bons produits.

LMEF – Depuis 2002, année où le Michelin vous a attribué pour la première fois 3 étoiles, avez-vous constaté une évolution de la qualité des produits que vous êtes amené à travailler ?

CLS – Oui et elle est plutôt positive. La filière viande a fait d’énormes progrès au niveau de la qualité, pour les volailles notamment. Ensuite, on trouve de plus en plus de maraîchers de proximité avec des légumes de première fraîcheur et c’est un atout considérable. À propos des produits marins, c’est un peu différent et il est primordial de rester très vigilants dans la sélection. Cela nous oblige enfin à nous ouvrir (lorsque nous organisons des réceptions par exemple) aux poissons d’élevage. Il existe d’excellentes fermes aquacoles mais il faut savoir les identifier, obtenir les certificats indispensables et s’assurer de la qualité de l’alimentation donnée aux poissons.

LMEF – Vous êtes l’un des rares grands chefs à avoir passé une partie de votre apprentissage sur un chalutier. Est-ce que cela vous sert aujourd’hui ?

CLS – Bien sûr, tout ce que j’ai pu apprendre durant mon enfance et mon adolescence me sert beaucoup. La notion du goût iodé est profondément inscrite en moi et je peux naturellement réinscrire les spécificités d’un produit dans une assiette. Un poisson doit avoir ce parfum iodé des océans…

LMEF – Vous êtes originaire de Bretagne. Pensez-vous que cette région soit bien représentée au niveau de la gastronomie ?

CLS – Nous avons d’excellents ambassadeurs : je pense à Patrick Jeffroy à Carantec, à Olivier Bellin à Plomodiern qui ont chacun 2 étoiles, mais également à Loïc Le Bail au Brittany à Roscoff (1 étoile) que j’ai connu en même temps qu’Alain Passard à L’Archestrate à Paris
(rebaptisé L’Arpège). Ces trois chefs représentent dignement la gastronomie bretonne, riche en bons produits. Une gastronomie saine, pure et simple.

LMEF – La Bretagne compte de nombreux producteurs dans le domaine de l’épicerie fine, les connaissez-vous ?

CLS – Il m’arrive d’en rencontrer. Le secteur de l’agroalimentaire a toujours été important en Bretagne et pas seulement pour la viande de porc et les légumes. Aujourd’hui, de plus en plus de petites entreprises transforment les produits de la mer, notamment les algues qui s’exportent jusqu’au Japon.

LMEF – Avez-vous déjà été sollicité par des producteurs pour travailler autour d’une recette ?

CLS – Pas dans le domaine de l’épicerie fine à proprement parler. J’ai travaillé avec Darégal pour concevoir un coulis d’herbes (Prix Recherche et Développement au Sirha à Lyon) mais je n’ai pas encore été approché par un producteur de produits d’épicerie fine. Je ne l’ai pas cherché non plus, mais pourquoi pas ? L’important, c’est d’être toujours en mouvement et ouvert sur le monde et les autres filières. L’expérience avec Darégal a été enrichissante : cela m’a permis de travailler avec des ingénieurs agronomes qui ont des idées sur le marché de l’alimentation, de leur apporter ma connaissance du goût et de construire avec eux. Un cuisinier travaille un peu comme un parfumeur qui assemble différentes flaveurs. Nous faisons la même démarche avec les saveurs en cherchant toujours à étonner, à innover.

LMEF – Vous arrive-t-il de pousser la porte d’une épicerie fine ?

CLS – J’adore La Grande Épicerie de Paris qui est un marché formidable où je peux découvrir des produits nouveaux à profusion, de France mais aussi de l’étranger.

LMEF – Est-ce que cela vous inspire pour vos recettes ?

CLS – Peut-être au niveau des condiments, des mélanges d’épices ou des sels composés pour un assaisonnement, mais pas au-delà. Toutes mes recettes sont imaginées à partir d’une page blanche et de matières premières non transformées.

LMEF – Auriez-vous un conseil de chef à partager avec nos lecteurs ?

CLS – Je leur recommanderais de rester au plus près du produit et ouverts à l’innovation. Le monde évolue rapidement, le goût se développe et les envies du consommateur suivent ce mouvement. Il faut pouvoir y répondre et capter les tendances du moment.

Propos recueillis par Bruno Lecoq

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