Du thé cultivé en France, c’est possible ! Et cela peut même être du bon thé, si l’on en juge par les deux distinctions successivement décrochées par Les Plantations d’Acapella. La première récolte (printemps 2022) de ce producteur des Pyrénées-Orientales a obtenu en août dernier un Prix spécial au World Green Tea Contest de Shizuoka, au Japon, et le « Best Of » du salon parisien Gourmet Sélection dans la catégorie Boissons chaudes.
« De la plante à la tasse sans parcourir le monde«
Les Japonais ont particulièrement goûté la saveur umami du thé Le Marin qu’ils ont dégusté. Le jury de Gourmet Sélection a aimé le nez très odorant et les notes de fleurs blanches et d’agrumes du Thé Vert du Roussillon des Plantations d’Acapella. Ces thés en cours de certification bio sont cultivés près de Perpignan par Jean-Marc Sanchez. Cet ingénieur agronome, fils de viticulteur et propriétaire de deux coffee shop – salons de thé à Toulouse est un spécialiste des alternatives aux pesticides pour la culture du thé et du café . Après avoir longtemps sillonné l’Asie, il s’est résolu à tester la culture du thé dans l’Hexagone pour « maîtriser le thé de la plante à la tasse sans avoir à parcourir le monde. »
Du thé bio à l’ombre des panneaux solaires
Les théiers des Plantations d’Acapella poussent sous serre (non chauffée) « à l’ombre de panneaux photovoltaïques. Nous bénéficions de l’humidité de la mer méditerranée, d’un sol sablonneux drainant et neutre, du soleil et de l’absence de gel », explique-t-il. En trois ans, la société a testé 19 variétés sur différents couverts végétaux pour trouver celles qui s’acclimateraient le mieux. Elle a planté plus de 30 000 plans sur quatre hectares. La première récolte a donné une centaine de kilos. Cueillies à la main « à l’impériale » (bourgeon et première feuille), les feuilles sont emballées entières. Un panel de sommeliers de thé composé en collaboration avec l’école d’ingénieurs Purpan (spécialiste des sciences du vivant) contribue à l’évaluation des produits.
Une vingtaine de théiculteurs en France
La démarche de Jean-Marc Sanchez est assez représentative de la minutie et de la passion qui anime les pionniers français de la théiculture. Le producteur du Sud-Ouest n’est en effet pas le seul à vouloir acclimater le Camelia Sinensis (nom scientifique de l’arbre à thé) à la France. La production a un temps été cantonnée à l’outre-Mer, avec comme figure de proue Le Labyrinthe-En-Champ-Thé de La Réunion, une plantation créée il y a dix-huit ans. Puis quelques amateurs ont cherché à acclimater le thé à l’Hexagone. Selon le journaliste Gilles Brochard,fondateur du Tea Testing Institute, on compterait 22 théiculteurs en France
Déjà une association de planteurs français…
Une organisation professionnelle, l’Association nationale des producteurs de thé français (ANVPTF) a même vu le jour il y a deux ans. Elle est présidée par Jérémy Tamen, un ethnobotaniste, expert en évaluation sensorielle et sourceur en thés et matières premières naturelles. Il explique avoir « perçu une vraie dynamique autour de producteurs français à partir de 2018-2019. J’ai été à leur rencontre pour créer avec une demi-douzaine d’entre-eux l’association. Elle a pour objet de valoriser et de protéger cette filière d’excellence ». L’ANVPTF a pour projet de créer un label Thé français et une formation longue pour les producteurs-transformateurs.
… Très proche de son homologue européenne
Jeremy Tamen représente aussi les planteurs français au sein d’une organisation européenne, Tea Grown in Europe. Créée en 2016, elle s’est donnée pour mission de développer les savoir-faire et meilleures pratiques environnementale, d’encourager le tourisme écoresponsable sur les plantations. Elle milite en faveur de la création de signes de qualité européennes (AOP, AOP) pour les planteurs européens et souhaite promouvoir et préserver les variétés botaniques adaptées à la culture du thé en Europe.
Le rapport d’activité 2023 de Tea Grown in Europe recense 19 théiculteurs d’Allemagne, de France, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de Suisse et d’Ukraine. Les Français y sont les plus nombreux. Ils sont en effet au nombre de neuf : Filleule des Fées (Bretagne), dont le propriétaire Denis Mazerolle a fondé Tea Grown in Europe, Thés Galan (Hautes-Pyrénées), Jardin de Thé (Normandie), L’Aventure Oolong (Bretagne), Les Landes Vivantes (Loire-Atlantique), Les Trouveurs Agricultural Company (Hérault), Lydia Gautier (Corrèze), Mendikotea (Pyrénées Atlantiques), Terrasses de l’Arrieulat (Hautes-Pyrénées).
Encore beaucoup à apprendre
Reste que la belle ardeur des théiculteurs français n’est pas toujours couronnée de succès. L’acclimatation du thé à l’Europe reste une aventure pour chacun d’entre-eux. « Nous n’avons pas comme les Asiatiques 3 000 ans de pratique de la culture du thé et celui-ci ne pousse pas naturellement dans nos régions. Les investissements – 60 000 euros par hectare environ – et les coûts d’exploitation sont élevés. Autant de contraintes qui expliquent que certaines expériences s’arrêtent au bout de quelques années », avertit Jeremy Tamen. La production mondiale de thé s’élève à quelque 6,5 millions de tonnes par an. En France, selon Jérémy Tamen, elle atteindrait environ 1 500 tonnes. Une goutte d’eau dans la mer…