Tu mérites ce dont tu rêves.
Avec une superficie égale à deux fois celle du Liban, El Salvador ne saurait être réduit à l’actualité parfois chaotique de sa capitale, San Salvador. D’autant qu’après des années très difficiles ce pays réinvente littéralement son café.
Un voyage à El Salvador convainc rapidement qu’il fait bon y séjourner : les paysages à couper le souffle et le charme de ses villages sont tels que l’on souhaiterait y séjourner plus longuement. Il faut oublier les images de gangs, faire abstraction de la mauvaise réputation du pays en matière de criminalité et s’éloigner des centres urbains en prenant exemple sur les torréfacteurs du monde entier, de plus en plus nombreux à partir à la découverte des producteurs qui proposent un café à la qualité en constante progression depuis un peu plus de dix ans. Car s’il revient de loin, El Salvador est de nouveau reconnu comme une origine incontournable dans le monde du café, malgré l’importance très relative de sa production à l’échelle mondiale qui s’élève à 0,53 % !
Une histoire intimement liée au café
El Salvador a placé le café au coeur de son identité dès le lendemain de son indépendance en septembre 1821. Les rentes de cette culture d’exportation seront précieuses pour mettre en place des politiques de santé, d’éducation et des infrastructures de qualité. Dès 1856, les politiques publiques encouragent à l’installation en octroyant des titres de propriété à tous les volontaires planteurs de café. Les régions de la cordillère d’Apaneca-Ilamatepec et notamment de Juayua, la vallée de Los Naranjos et Ataco sont déjà reconnues comme particulièrement propices à cette production. Salvadoriens et étrangers y investissent tant et si bien qu’au début du XXe siècle, El Salvador devient le plus grand exportateur de café d’Amérique centrale. Tout au long de ce siècle, les exportations sont une source considérable de revenus et de stabilité pour le pays. Mais le vent tourne et la réforme agraire conduite dans les années 70, affecte la production. La guerre civile qui débute en 1980 isole certaines zones de production et perturbe le commerce. Enfin, conjuguée au terrible épisode de roya (champignon dévastateur), la crise internationale du café qui sévit de 1998 à 2005 achève de noircir le tableau.
Un réveil difficile mais une lueur d’espoir
Le bilan est sévère. Avec un volume total de 17 000 sacs pour la récolte 2015-2016, la production de café ne représente plus que 20 % de celle des années 1980. Sur les 22 225 producteurs que compte le pays, 78 % exploitent moins de cinq hectares et constituent moins de 20 % de la production. Mis au banc de l’économie mondiale, nombre de producteurs ont délaissé leurs caféiers. Les quinze dernières années de cours mondiaux erratiques et leurs corolaires – peu d’entretien des plantations, malnutrition des plantes, maladies des caféiers, hausse des coûts de la main-d’oeuvre – ont comme conséquence le délitement de la structure de la production. Pourtant, au même moment, quelques producteurs choisissent de faire face à tous ces défis et dessinent des alternatives durables ainsi que des stratégies de différenciation ambitieuses. Le marché – international et national – est porteur, avec une demande confirmée pour des cafés de spécialité. Pour atteindre leurs objectifs, ces producteurs s’engagent à contrôler l’ensemble de leurs productions, de l’arbre à la porte du container, ce leur qui permet d’acheminer leur café vert jusqu’au client en se structurant en tant que producteurs exportateurs.
Trois régions propices aux grands cafés
De la grande époque du café, six régions sont restées plantées de caféiers. Les trois principales – 90 % de la production nationale en 2015/2016 – sont Apaneca-Ilamatepec, El Bálzamo-Quezaltepeque et Tecapa-Chinameca. À elle seule, la région d’Apaneca-Ilamatepec compte pour 52,6 % de cette production nationale, c’est aussi celle où ont été identifiés les meilleurs cafés du pays. Baignée de soleil, ébouriffée par les vents du Pacifique et façonnée par les haies brise-vent de croton niveus qui dessinent un maillage harmonieux sur les caféières, la cordillère d’Apaneca-Ilamatepec est tout simplement superbe. Ce territoire qui s’étend sur 67 km de long constitue un ensemble pédoclimatique cohérent de près de 1 000 km2. De nature volcanique, les sols sont riches et acides, l’altitude y est l’une des plus hautes du pays : de 1 000 à 2 365 m. L’amplitude thermique est de 12 à 30°C et les précipitations sont idéalement réparties pour la culture et un séchage optimal du café au soleil. Par ailleurs, l’influence de l’océan Pacifique fait du vent un fidèle allié avec lequel il faut constamment négocier à l’aide des brise-vent, boucliers naturels indispensables. En contrepartie, la maturation est assez lente, donc qualitative. Nombre de ces plantations sont conduites sous un ombrage diversifié d’arbres choisis pour leurs qualités. Ces systèmes agroforestiers permettent à la fois d’optimiser la nutrition des plantes, de prévenir l’érosion du sol, d’assurer une bonne percolation de l’eau, d’atténuer les variations de température, d’être un refuge pour la biodiversité et de capturer du carbone, et donc de diminuer les traitements par des produits phytosanitaires de synthèse. L’inconvénient majeur étant la diminution du nombre de caféiers par unité de surface, et donc la diminution de rendement.
Une maîtrise des process avant et après la récolte
Traditionnellement, dans cette région comme dans tout El Salvador, ce sont plutôt les cafés lavés qui étaient connus. Aujourd’hui, la mise en place d’autres process comme les honey ou les naturels constitue une vraie voie de différenciation pour les producteurs qui expriment leur tempérament en fonction des conditions microclimatiques de leurs fermes, avec une remarquable maîtrise. La propreté, la qualité et les typicités de leurs cafés augmentent d’année en année grâce au travail assidu et à de nombreuses expérimentations.
Emilio Lopez Diaz, un producteur charismatique
Parmi les initiatives particulièrement innovantes, on retrouve celles du charismatique Emilio Lopez Diaz, entrepreneur de talent et fondateur de Quatro M – société d’exportation de cafés verts – et propriétaire de deux fermes à Ayutepeque et El Manzano. Son empreinte s’étend aux producteurs de la région qu’il aide à transformer, exporter et valoriser leurs cafés. Emilio Lopez Diaz est l’un des premiers producteurs à proposer une qualité de café aussi constante année après année. Il y a deux ans, lors de la première édition des primeurs organisée par Belco SA à Bordeaux, son café d’El Manzano (de la variété bourbon rouge suivant le process naturel) se distinguait déjà par son caractère : une élégante sucrosité soutenue par des notes de chocolat et de caramel, une fin de bouche marquée par une légère acidité et des notes d’agrumes. Les dégustateurs ont apprécié son corps ample et généreux, sa texture fine et veloutée et sa longueur en bouche. Cette année, le même café est apparu très semblable : un signe encourageant qui témoigne d’une belle expertise. Mais il est difficile d’être surpris car en termes de recherche et d’innovation, Emilio Lopez Diaz est aussi un précurseur qui s’est notamment saisit de l’enjeu de l’eau – cruciale car de plus en plus rare – qui intervient dans la transformation du café.
Un Pacamara très particulier
De son côté, Mauricio A Salaverria travaille très différemment ses cafés. Certes, lui aussi prépare différentes variétés suivant les process honey et naturels, mais son Pacamara naturel est très particulier et assez remarquable. Profitant de 26 jours de séchage, ce café offre des notes légèrement animales – de cuir et de balsamique –, une douceur et un velouté extraordinaires ainsi qu’une très agréable longueur en bouche. Pour obtenir ce résultat étonnant, la durée de séchage sur les claies géantes est allongée au maximum.
Angel, l’acheteur de café vert
Parmi les autres grands ambassadeurs du café salvadoriens, citons encore Angel Barrera, fils de producteur de café depuis quatre générations. S’il ne cultive pas de café aujourd’hui, Angel a le goût du voyage, des rencontres et du commerce. C’est notamment grâce à lui que vous pourrez trouver sur le marché, le café les producteurs rencontrés à El Salvador. En tant qu’acheteur de café vert chez Belco, il s’applique à donner des débouchés pérennes aux producteurs salvadoriens et du monde entier. “Tisser des partenariats sur le long terme, sur la base de la transparence, de la confiance et de la qualité prend des années, commente-t-il. Mais cela permet de rémunérer tous les acteurs de la chaîne d’une façon juste et de promouvoir des approches durables en termes social et d’environnement.”
Une belle effervescence
Si chaque producteur joue à sa manière, ce qui reste particulier à El Salvador est aussi le sens du collectif. Le succès de la seconde édition de la Juayua Coffee Expedition le 9 février dernier en estl’illustration. Cette rencontre initiée par trois amis producteurs – Carlos Pola, Annabelle Daglio et Cesar Magaña – a réuni 91 Salvadoriens des métiers du café. L’excellente sélection a mis aux enchères à main levée, 26 lots d’environ 50 livres chacun qui ont tous été achetés de trois à sept fois le cours local ! La quinzaine de producteurs sélectionnés ont ainsi vu l’excellence de leur travail récompensée. “Le marché national est aussi en demande de cafés de qualité”, témoigne Jonathan Rodriguez, fondateur de l’Academia Barista Pro. Porteuse d’espoir et signe d’un vrai renouveau, cette effervescence démontre que les cafés de El Salvador sont en passe de réussir leur reconquête sur des bases solides. Une bonne nouvelle pour les amateurs de grands cafés !
Morgane Daeschner