Färm, la coopérative bio qui ravive les centres-villes

Avec son mix unique d’économie sociale et de marketing, l’enseigne bruxelloise a renouvelé le genre “magasin bio” outre-Quiévrain. Après avoir essaimé à Bruxelles, elle part à la conquête du reste du marché belge en misant sur l’affiliation d’indépendants. Un exemple à méditer pour les enseignes françaises en quête d’un second souffle face à la progression de la grande distribution.

Créée en 2013 dans le quartier historique de Sainte-Catherine à Bruxelles, la chaîne de magasins bio Färm connaît une progression fulgurante. L’enseigne comptait 12 magasins à la fin de l’an dernier pour un total de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Forte de neuf magasins dans la région de Bruxelles-Capitale, deux dans le Brabant qui l’entoure (un côté flamand et un côté wallon) et un à Mons en Wallonie, l’enseigne est partie à la conquête de l’ensemble du territoire

belge, avec un objectif de 17 points de vente cette année et de “25 à 30 magasins d’ici 5 ans”, annonce Alexis Descampe, administrateur délégué de Färm. Ce dernier, biologiste et chercheur à l’Université catholique de Louvain, a été en 2009 l’un des créateurs de The Peas, un service de distribution de paniers bio au cœur de Bruxelles, rapidement transformé en épicerie de quartier. Une base de départ qui a conduit à l’élaboration du concept Färm.

“Il y a dix ans, le bio était une niche servie par des magasins vieillots. J’avais envie d’un concept qui défende à la fois des valeurs et une réelle approche commerciale”, confie le directeur général qui, en parallèle de sa formation scientifique, a obtenu un master en management. Färm entend proposer un bio “100 % plaisir, solidaire et responsable”. Avec son nom choisi pour être compréhensible par tous, son tréma – symbole ni francophone ni néerlandophone visant à faire accepter la marque aussi bien par les Flamands que par les Wallons – malicieusement décliné sur toute la joviale communication de l’enseigne, sa prédilection pour les bâtiments anciens (salle de ventes, ancienne fabrique textile…) reconvertis, son agencement de style industriel à base de bois et métal peints, ce concept de centre-ville donne un vrai coup de jeune àl’image traditionnelle des magasins bio.

 

Alexis Descampe
 
“J’avais envie d’un concept qui défende à la fois des valeurs et une réelle approche commerciale.”

ALEXIS DESCAMPE, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ ET COFONDATEUR DE FÄRM


 
UN DÉVELOPPEMENT PAR AFFILIATION

Färm invite ses clients à “changer le monde en mangeant” et leur propose des produits de “bonne qualité gustative, sa-nitaire et environnementale dans l’esprit d’un changement de système alimentaire. Nous abordons nos affaires dans une lo-gique de partage d’intérêts entre les fournisseurs et les clients, d’où notre choix de nous organiser en coopérative”, explique Alexis Descampe. Avec une structure proche de celle de Bio-coop mais qui bénéficie de la plus grande souplesse du statut coopératif belge (lire encadré page suivante), Färm développe son réseau par affiliation.

Lancée depuis 2016 via la création de nouveaux magasins en partie financés par la coopérative, l’expansion mise aussi désor-mais sur le recrutement de points de vente existants, comme ce-lui de Louvain-la-Neuve rallié en 2017. Ce qui positionne la coo-pérative comme une alternative pour les indépendants sur un marché belge du bio en pleine mutation. Carrefour Bio y a ouvert l’an dernier son premier magasin, rejoignant son compatriote Bio c’ Bon, très présent à Bruxelles, et des acteurs historiques locaux comme la chaîne Bio-Planet du groupe belge de super-marchés Colruyt et le spécialiste historique Sequoia, racheté par la chaîne indépendante du nord de la France BBG Market.

Un logo compréhensible par tous et linguistiquement neutre.
 
UNE PRÉFÉRENCE LOCALE QUI A SES LIMITES

Färm propose un assortiment 100 % bio et cultive le tout sous un même toit, avec 6 000 références dont beaucoup de pro-duits frais, de l’épicerie à hauteur d’environ la moitié de l’offre alimentaire, complétées des produits d’hygiène/bien-être. Le frais représente 46 % des ventes et le vrac sec 7,7 %, selon le rapport annuel 2018 de la coopérative. Si l’enseigne affiche lé-gitimement une “préférence locale”, les denrées belges ne suf-fisent pas à remplir ses rayons faute d’une offre bio suffisante outre-Quiévrain. Les produits vendus proviennent ainsi à 30 % de Belgique (“contre 7 % en grande distribution convention-nelle”, précise Alexis Descampe), à 57 % du reste de l’Europe et à 13 % d’origines plus lointaines.

L’enseigne publie sur son site une liste d’une quarantaine defournisseurs dont elle partage les valeurs, parmi lesquels beau-coup de producteurs et artisans locaux, mais aussi quelques fa-bricants français tels que Priméal, Jean Hervé, Sojade (groupe Triballat Noyal) ou encore, dans la catégorie gourmet, la Scop équitable Café Michel et l’huilerie artisanale Éric Vigean. “Nous avons une clientèle assez exigeante et sommes perçus comme qualitatifs du fait du look un peu premium de nos magasins, mais la mission de Färm reste de proposer des produits bio à prix accessibles, explique Alexis Descampe. Chaque magasin restant libre de ses choix, leur assortiment dépend aussi de la personnalité du gérant – certains ayant l’esprit plus ‘foodie’ que d’autres – et de leur localisation. À Uccle par exemple, il y a une importante clientèle française à fort pouvoir d’achat qui tire en partie l’assortiment vers le haut…”

Un rayon épicerie d’un magasin Färm.
UNE COOPÉRATIVE TRÈS ENTREPRENEURIALE

L’une des clés de l’expansion rapide de Färm réside dans son mode de financement mi- participatif, mi-privé. “En France, une société coopérative doit respecter le principe ‘un homme = une voix’. En Belgique, le statut est plus souple. Il repose sur le principe ‘une part de capital = une voix’ ; cela facilite les levées de fonds”, explique Alexis Descampe, administrateur délégué de Färm. Concrètement, la coopérative accueille dans son tour de table des investisseurs de l’économie sociale – dont un fonds de développement économique de la Ville de Bruxelles à hauteur de 500 000 € – et des entrepreneurs individuels engagés dans le commerce éthique, qui détiennent collectivement plus de 91 % du capital mais seulement 44 % des voix au conseil d’administration. 

Cinq autres collèges sont représentés : managers, cofärmers (c’est-à-dire adhérents de la coopérative), sympathisants, fournisseurs, magasins affiliés. Leur représentant au CA détient chacun 13,2 % des voix. Une gouvernance assez complexe mais qui jusqu’ici a réussi à Färm. La coopérative a également plusieurs fois fait appel au financement participatif, dont 160 000 € levés il y a deux ans pour le développement de l’enseigne, “mais il s’agit plus d’un moyen demobiliser autour de nos projets que d’un levier puissant de financement”, explique le dirigeant. Des actions de communication importantes dans une coopérative où l’on peut être client sans adhérer. Fin 2018, celle-ci comptait 508 cofärmers (adhérents).

LES MULTINATIONALES ÉCARTÉES

Färm n’est pas infaillible. Il lui est arrivé d’être épinglée par une émission de télévision pour quelques – petits – écarts avec sa doctrine. Mais l’entreprise s’inscrit dans une démarche de pro-grès. Ses différentes chartes – produit, commerciale et de filières, sociale… – sont révisées régulièrement par des comités d’adhé-rents rassemblant fournisseurs, manageurs et clients. L’enseigne vient ainsi de renforcer ses règles de référencement. Désormais, tous les produits doivent provenir d’entreprises indépendantes familiales non cotées (une dizaine de multinationales ont ainsi été écartées), les fruits et légumes doivent provenir d’Europe à l’exception de neuf produits exotiques indisponibles sur le Vieux Continent, le transport par avion est banni, la totalité des cafés et chocolats doivent être certifiés commerce équitable.

L’enseigne développe le fait sur place dans une logique de ré-duction des déchets alimentaires avec Lökal Bökal, une activité de transformation des produits frais invendus en plats cuisi-nés à consommer sur place ou à emporter, confitures… Elle a cessé l’an dernier de vendre de l’eau en bouteille plastique. Et progresse dans la réduction des emballages avec la création à Bruxelles l’an dernier de deux points de vente maximisant le vrac, dont l’un baptisé Brüt de Vrac et doté d’une gamme de produits bruts d’origine locale, a vocation à être développé enparallèle de l’enseigne principale.

Parallèlement à ces projets, Färm continue de se structurer. L’enseigne a initié l’an dernier sa première filière d’approvision- nement local avec des producteurs belges de viande bovineSalers, sous la marque Nü ! Jusqu’à présent gérée par un prestataire, la plateforme logistique qui concentre 20 % des volumes des magasins, sera intégrée à la coopérative cette année. Et l’actuel exercice sera aussi selon Alexis Descampe, le premier où la coopérative atteindra le seuil d’équilibre. L’activisme de Färm semble porter ses fruits !


 
OLIVIER COSTIL

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