oie et canard pour foie gras

La grippe aviaire contraint les conserveurs de volaille à se réinventer

Plus de 50 millions de volailles ont été abattues en Europe en 2022 pour tenter d’endiguer l’épidémie de grippe aviaire. Sans succès. La France fait partie des pays les plus touchés. Avec pour conséquence des pénuries qui ont forcé les fabricants de conserves de volaille à adapter les recettes de leurs produits. Et même, pour les plus exposés, à repenser leur modèle économique de fond en comble.

Nul n’échappe aux pénuries

Selon les dernières estimations communiquées par l’Anvol, l’association française de la volaille de chair, la production française aurait reculé de 9,7 % en 2022 par rapport à 2021. « Les canards à rôtir (-30,3 %), les pintades (-18,6 %) et les dindes (-17,7 %) devraient être les plus touchés par ce repli. La production française de poulets ne devrait quant à elle reculer que de -3,3 % sur l’année », indiquait l’interprofession en octobre dernier.

Dramatique pour les éleveurs, le fléau a créé une onde de choc sur l’ensemble de la filière. Les pénuries atteignent tous les fabricants, quelle que soit leur taille. Ainsi, la marque de rillettes apéritives artisanales Le Mottay Gourmand a souffert de ruptures d’approvisionnement l’an dernier. « Nous avons par exemple manqué de poulardes, décrit Émilie Martin, cofondatrice de la marque artisanale. J’ai dû travailler avec plusieurs éleveurs au lieu d’un seul auparavant. »

Du poulet à la place du canard

Pour les tartinables de Fédération Française de l’Apéritif (FFA), « la pénurie de canards a été un vrai frein », explique Paul-Antoine Solier, cofondateur de l’entreprise. Les rillettes de canard sont historiquement numéro un des ventes de la marque. « Mais nous n’en avons plus en stock depuis six mois », déplore le dirigeant. Le catalogue FFA propose également un pâté au foie gras. « Nous sommes en train d’écouler les derniers 300 pots. Après nous n’en aurons plus faute de foie gras. Il n’est pas question de nous approvisionner à l’étranger », précise Paul-Antoine Solier.

La marque se voit donc contrainte de miser sur de nouvelles recettes. « Début 2022, quand les premiers cas ont été détecté, nous avions anticipé. Nous avons alors créé des rillettes de poulet rôti du Pays Basque », se rassure-t-il.  Cette nouvelle recette ne remplace pas le canard mais elle permet de pallier à leur pénurie en faisant un pas de côté…

Zéro stock de volaille pour commencer l’année

Les conséquences sont bien plus profondes pour Valette Foie Gras. Cette institution plus que centenaire est présente à l’amont de la filière avec un atelier de découpe de canard à Bergerac (Lot) et à l’aval avec son atelier de transformation à Saint-Clair, entre Périgord et Quercy. Autant dire qu’elle situe au cœur de l’économie du foie gras.

Valette se revendique comme le fabricant qui dispose de l’offre la plus large de foie gras et spécialités à base de foie gras, avec pas moins de 300 références de pâtés, plats cuisinés, veloutés, condiments (chutneys, etc.), produits sucrés, etc. Mais « en 2022, les volumes de matière première canard que nous avons obtenus n’ont représenté que 40 % de ceux que nous avons transformés en 2021. Pour 2023, nous savons déjà que nous n’en obtiendrons pas plus, notamment au premier semestre », annonce Philippe Creux, directeur de l’entreprise. Valette a démarré l’année 2023 avec des stocks de foie gras et confits à zéro.

Prix en hausse, CA en baisse

Ces pénuries n’ont pas été sans conséquence sur les coûts de fabrication et donc sur les prix de vente « Nos hausses de coûts sur les deux dernières années sont de l’ordre de +30 à +35 % », explique Philippe Creux. Après une première augmentation réalisée l’an dernier, la marque revalorisera ses prix publics de de 10-12 % en moyenne sur l’ensemble de la gamme cette année. Sans que cela suffise à compenser l’intégralité des hausses de coûts (matières premières, énergie, transports, emballages…)

Ces pénuries ont un impact direct sur le chiffre d’affaires de la maison Valette. Celle-ci a réalisé un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros hors-taxes l’an dernier, en baisse d’environ 17 %. « Nous avons dû réserver le peu de matières premières disponible aux clients qui génèrent le plus de marge et qui constituent notre socle de commerce », explique Philippe Creux. La marque est principalement vendue en direct auprès des particuliers. Les détaillants revendeurs (épiceries fines, cavistes, bouchers-charcutiers) constituent le deuxième débouché. Une forte activité de coffrets cadeaux les complètent.

De « Valette Foie Gras » à « Valette Gastronomie »

Pour relever le défi, l’entreprise a commencé à diversifier son offre. Depuis début 2022, la marque a créé 32 recettes nouvelles hors canard : volaille, gibier, porc, etc. « Nous avons même lancé un risotto de petit épeautre aux légumes pour montrer que nous savons aussi transformer le végétal », souligne le dirigeant de Valette. La marque a aussi élargi ses gammes à des produits de négoce, notamment en salaisons.

La tendance sera poursuivie en 2023 et au-delà. En 2021, le canard gras représentait 65 % du chiffre d’affaires de Valette. « Mon objectif à fin 2025 est qu’il ne représente plus que 30 à 35 % de notre chiffre d’affaires, annonce Philippe Creux. Nous opérons un changement de métier. Si Valette Foie Gras est historiquement notre nom, aujourd’hui je me bats pour qu’on nous appelle Valette Gastronomie ».

Une filière en révolution

Le patron de Valette ne se voile pas la face. « Des éleveurs vont se réorienter vers d’autres activités pour continuer de rembourser leurs emprunts. C’est un gros changement de cap pour notre profession. D’autant que cela s’inscrit dans une tendance à la baisse de consommation de viande », analyse-t-il.

Dans l’espoir de mettre fin à l’hécatombe, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a annoncé « un plan d’action destiné à rendre opérationnelle la vaccination des volailles » soutenu par l’interprofession. L’ambition est de lancer la première campagne de vaccination à l’automne 2023 dans les élevages. Mais aucun vaccin contre la grippe aviaire n’est au point à ce jour.

Les limites du confinement

Dans une lettre ouverte publiée en novembre dernier, la Confédération paysanne et diverses associations notamment écologistes pointent quant à elles du doigt l’échec de « la stratégie gouvernementale consistant à abattre massivement les animaux et à obliger les éleveurs à les confiner, plutôt que de les laisser en plein air », rapporte le média Novethic. Ces organisations mettent en cause l’élevage industriel qui, en concentrant les volailles, concourraient à la propagation du virus.

Pour leur part, les associations de consommateurs s’inquiètent des hausses de prix des volailles résultant des abattages massifs et des dérogations accordées pour permettre le confinement sanitaire des volailles. Ces dernières permettent de qualifier de « plein-air » des volailles qui sont en fait confinées et à autoriser temporairement la modification d’ingrédients ou … Même si elles sont temporaires et encadrées, ces dérogations risquent d’entretenir la confusion et la défiance du public à l’égard des produits et marques alimentaires.

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