Une quarantaine de marques arborent le logo « Ingrédients simples » de l’agence Goûm. Cette « allégation » vise à faire progresser la « naturalité » des formulations au détriment des aliments ultra-transformés. Kelly Frank, cofondatrice de la démarche, explique les fondements de son engagement. L’enjeu s’applique à toutes les catégories alimentaires, épicerie fine comprise.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Pouvez-vous vous présenter ?
Kelly Frank – Je suis ingénieur en sciences des aliments, spécialisée depuis sept ans sur la question de la naturalité alimentaire. J’ai été cofondatrice de Siga . À ce titre, l’ultra-transformation est devenue mon sujet de prédilection. Mais ma passion, c’est le goût originel des produits. C’est pourquoi j’ai créé Goûm, une agence de services qui aide les marques à défendre correctement « le vrai goût », celui qui ne recourt pas à l’ultra-transformation et qui défend la qualité.
LMEF – Qu’entend-on par ultra-transformation ?
KF – Cette notion a été définie pour la première fois dans le cadre de la classification Nova (créée en 2009 et rééditée en 2017) par des chercheurs épidémiologistes brésiliens, afin de mener des études qui établissent des corrélations entre consommation alimentaire et effets santé à l’échelle d’une population. Ils ont défini la classe des aliments ultra-transformés comme étant des formulations industrielles composés d’ingrédients absents de nos cuisines et d’additifs dits cosmétiques. Plus de 250 études épidémiologiques ont en effet montré que la consommation en excès de ces derniers pouvait avoir des effets délétères sur la santé.
Mais les critères Nova restent trop approximatifs pour être opérationnels dans l’agroalimentaire. C’est pourquoi, avec Siga, nous avons réétudié chacun d’entre-eux et publié une nouvelle définition en 2021.
LMEF – À quelle définition des aliments ultra-transformés avez-vous abouti ?
KF – Notre approche a consisté à rationaliser le point commun entre tous ces ingrédients pointés par Nova. Selon nous, un aliment ultra-transformé contient au moins un ingrédient lui-même trop purifié ou trop dégradé pour être bénéfique à la santé sur le long terme quand on le consomme en excès. Pour simplifier, l’ultra-transformation, c’est finalement le résultat des procédés de transformation drastiques sur la matrice alimentaire des ingrédients.
D’un point de vue degré de transformation, on fait par exemple la différence entre un légume qui contient naturellement des nitrates et des nitrates purs ajoutés sous forme d’additif E252 (ultra-transformé). Dans le légume, les nitrates interagissent avec d’autres composés bioactifs (comme des antioxydants) et conserve une certaine densité nutritionnelle, pas pour le E252.
« Les problèmes commencent quand on fractionne excessivement un aliment pour en isoler ses composés «
La transformation n’est pas un gros mot, elle peut être bénéfique comme dans le cas de la fermentation ou des farines. Les problèmes commencent quand on fractionne un aliment en excès pour en isoler ses composés.
LMEF – Qu’est-ce que « l’allégation Ingrédients Simples », dont vous êtes à l’origine ?
KF – L’allégation « Ingrédients Simples » récompense les produits alimentaires les mieux formulés, c’est-à-dire avec des ingrédients simplement transformés qui maintiennent leur état naturel. Nous l’avons créée avec notre partenaire digital ScanUp et quelques marques pionnières, afin de prolonger le travail initié par Siga.
LMEF – Que traduit ce terme d’allégation ?
KF – Il ne s’agit pas d’une allégation santé mais d’une expression qui nous distingue de promesses vides de sens comme « sans additif » ou « 100 % naturel ». L’allégation Ingrédients simples est explicite et transparente.
Nous avons mis au point un cahier des charges avec des définitions précises, une liste des 500 ingrédients ultra-transformés à bannir et un calculateur d’ultra-transformation accessibles à tous. Nous réalisons aussi des audits de gamme à la demande.
LMEF – Combien coûtent ces audits ?
KF – Nos outils sont gratuits, de même que l’usage de la marque Ingrédients Simples. Celui-ci est soumis à un accord de licence pour garantir le respect de son cahier des charges que nous vérifions nous-mêmes. Nous sommes allés aussi loin que possible dans l’open source, sans galvauder la marque. Nous facturons en revanche les audits d’ingrédients pour lesquels on ne peut pas être sûr de leur procédés d’obtention.
Je tiens d’ailleurs à souligner que nous menons ce projet de l’allégation « Ingrédients Simples » en plus de notre activité de conseil et de formation auprès des industriels. Je les aide notamment à trouver des ingrédients moins transformés et de les alerter sur certaines formulations faussement vertueuses. Par exemple le fait d’utiliser des isolats de protéines de pois ultra-transformés plutôt que des farines pour un aliment végétal.
LMEF – Les produit artisanaux sont-ils une de vos sources d’inspiration ?
» Je me régale de produits qui reflètent à la fois une qualité de matières premières et un savoir-faire territorial «
KF – Ils reviennent souvent dans ce que j’appelle mes « benchmark du goût ». Je me régale notamment de produits qui reflètent à la fois une qualité de matières premières et un savoir-faire territorial. Par exemple, le goût et la texture de la pâte à tartiner Teo & Bia en font un produit d’exception. Alors qu’elle n’est réalisée avec seulement trois ingrédients sans arôme, ni huile ni lécithine…
LMEF – Est-il réellement possible de transposer ces savoir-faire dans le monde industriel ?
KF – C’est souvent un défi pour la R&D car les ingrédients ultra-transformés sont plus efficaces. Mais certains industriels détiennent un vrai savoir faire culinaire. Il n’y a pas d’un côté les méchants industriels et de l’autre les gentils artisans…
LMEF – À l’inverse, l’artisanat est-il toujours irréprochable sur la question de l’ultra-transformation ?
KF – Je cite régulièrement le contre-exemple de glaces signées d’un chef étoilé qui comprennent une large panoplie de sucres ultra-transformés, des agents aromatisants, etc. Dans ce cas, le prix élevé du produit ne reflète pas sa valeur.
» L’enjeu de l’ultra-transformation est aussi celui de la transparence du prix «
Un produit avec des ingrédients simples de qualité coûte plus cher à produire, il est légitime à être vendu à un prix supérieur. Mais pour cela, il faut que le consommateur en ait conscience. Il y a toute une éducation du goût à refaire pour apprendre à détecter (voire à ne pas préférer) l’ultra-transformation par rapport aux recettes naturelles. Nos indicateurs de qualité sont à réinventer.