LES NOUVEAUX VISAGES DE LA TORREFACTION
Exit l’image de l’artisan isolé qui torréfie pour quelques happy few, les nouveaux acteurs du marché ont bien l’attention de remettre le café de spécialité sur le devant des comptoirs. Pour cela, toujours plus formés et diplômés, ils tentent de s’adapter aux exigences de transparence et d’authenticité d’une clientèle de plus en plus diverse.
“Je cours partout comme un dingue”, lâche essoufflé Vincent Ferreira sur un fond sonore caractéristique des maisons de torréfaction. Le jeune homme a en effet ouvert son propre atelier, le Café Auguste, à Pontarlier dans le Haut-Doubs il y a moins de six mois. Comme lui, de plus en plus d’amoureux de grands cafés cherchent à se reconvertir dans la torréfaction, en y mettant toute leur énergie. “Nous avons du mal à avoir des chiffres sur ces nouvelles installations, car il n’existe pas de chambre des métiers de la torréfaction, note David Serruys, président du Collectif Café. En revanche, nous constatons une vraie tendance d’ouvertures en villes, notamment dans celles qui comptent plus de 40 000 habitants où s’installent ceux que nous appelons les ‘néo-torréfacteurs’. Ces derniers complètent en général leur activité de torréfaction avec de la vente à emporter et de la consommation sur place”.
Difficile cependant de dresser le portrait type de ces nouveaux arrivants, “c’est un secteur d’activité accessible et relativement ouvert”, ajoute David Serruys, lui-même ancien cadre dans la distribution. Néanmoins, si les profils sont aussi variés que les formes prises par leurs ateliers ou coffee shops, les nouveaux acteurs de la torréfaction se retrouvent autour de motivations communes. “Plasticienne de formation, je voulais me créer un emploi artisanal qui me permette à la fois d’avoir du plaisir, mais aussi de dégager un revenu sans être assujettie à un patron”, explique Julie Caron, micro-torréfactrice à Montreuil. La jeune femme a ainsi ouvert Capuch’ dans un garage avec une amie il y a maintenant cinq ans, une initiative qu’elle ne regrette pas. “La création d’une entreprise, si petite soit-elle, est toute une aventure”, ajoute-t-elle enjouée.
Des valeurs communes
Pour ces nouveaux entrepreneurs, monter des projets porteurs de valeurs compte beaucoup. Lorsque Guillaume Marquié et Julie Roubaud ont lancé en 2014 La Brûlerie des Filatiers en plein centre-ville de Toulouse, leur but était de créer un vrai commerce de proximité. “D’emblée, le principe de la maîtrise du produit, du café vert à la tasse, s’est imposé, affirme Guillaume Marquié. Nous avons ainsi mis un point d’honneur à afficher la traçabilité de nos produits, à travailler des pures origines plutôt que des mélanges et à essayer d’éduquer petit à petit le goût du consommateur”. Et c’est avec fierté que depuis cinq ans les deux associés portent les “valeurs ancestrales” du café auprès d’une large clientèle composée de professionnels mais aussi d’amateurs allant de l’étudiant au retraité.Un goût de la transmission que Guillaume Marquié tient de sa première rencontre avec un torréfacteur : “il parlait du café comme du vin, mais l’avantage du premier est qu’en le torréfiant différemment toutes les demi-heures, les notes aromatiques changent complètement”.
Cette formation auprès d’autres pairs a également été très importante pour Julien Latil, propriétaire duCafé Brumes à Annecy. Après avoir exercé dans le tourisme et comme travailleur social, cet autodidacte a décidé d’ouvrir son propre coffee shop, mais pas n’importe comment. “J’ai suivi des formations auprès de professionnels et validé des acquis par des diplômes internationaux comme celui de barista mais aussi en méthode douce, en dégustation et en café vert. N’étant pas issu de ce monde-là, j’avais besoin de me donner une certaine légitimité”, avoue-t-il. Aujourd’hui encore, Julien Latil poursuit ses recherches auprès de professionnels français et européens. Ne pouvant torréfier dans sa boutique, il invite tous les mois un torréfacteur différent à faire découvrir à sa clientèle un café pure origine sur l’expresso et un autre sur le filtre. “L’idée n’est pas d’éduquer les gens mais de les inviter à s’intéresser à un produit qu’ils n’achèteraient pas d’eux-mêmes”, ajoute le barista. Le professionnel a tout de même dû céder sur quelques principes à la demande de ses clients. S’il se refuse à servir des boissons accompagnées d’additifs ou de sirops comme un latte caramel, il s’est résolu à inscrire le chaï à sa carte. “La demande était telle que j’ai dû m’y mettre. On s’adapte sans se vendre non plus”, appuie-t-il.
L’importance du cadre
Côté style, le soin apporté au contenant est désormais équivalent à celui accordé au contenu. En effet, les consommateurs choisissent de plus en plus leurs restaurants, bars et coffee shops sur les réseaux sociaux et notamment Instagram. Ne pouvant transmettre les effluves de café via ce canal, c’est donc sur le visuel que misent les nouveaux acteurs du café de spécialité. Pour cela, des architectes d’intérieur sont souvent sollicités, comme pour le Kaova Café installé à Lyon depuis 2017. “Nous voulions quelque chose d’épuré pour mettre en valeur nos produits. Nos murs sont blancs, donc la première chose que vous voyez en arrivant ce sont les couleurs de nos paquets de café et de nos pâtisseries”, détaille Pascal Roussin, ancien commercial parisien reconverti dans la torréfaction. Mais Kaova Café doit surtout son succès à son brunch médiatisé par les journaux locaux et les influenceurs sur les réseaux sociaux. “Nous avons rassemblé tout ce que l’on sait faire en un seul repas, et c’est ce qui nous a fait connaître. Grâce au brunch, notre activité a décollé plus rapidement qu’on ne le pensait. Très vite, il a fallu le servir le samedi et le dimanche”, avoue le torréfacteur. Ainsi, nombreux sont les nouveaux acteurs du marché à coupler leur offre de boissons et de restauration à une communication bien rodée. Tadiwos Tsigie par exemple, a soigné son storytelling dès l’ouverture de son coffee shop à Montreuil il y a trois ans. “Le Café Kaldi tient son nom d’un berger qui, selon une légende éthiopienne, aurait découvert les vertus de cette cerise vers l’an 850”, raconte-t-il. Cette histoire, le visiteur est invité à la découvrir notamment sur les murs de l’établissement où est relatée cette fable accompagnée de sympathiques illustrations. Par ailleurs, s’il a appris la torréfaction en France, le dynamique entrepreneur d’origine éthiopienne a surtout souhaité mettre en avant la culture dans laquelle il a grandi. Régulièrement, Tadiwos Tsigie fait ainsi découvrir le cérémonial du café à ses clients : “C’est un peu comme la tradition du thé au Japon, le café est infusé trois fois devant les personnes présentes, mais au-delà de la dégustation, le but reste de se retrouver ensemble pour échanger.” Quant à l’exigence d’authenticité et de transparence de sa clientèle, le torréfacteur a su en tenir compte. Non seulement les informations quant à la traçabilité sont affichées en évidence, mais en plus, le matériel de torréfaction est visible depuis l’extérieur de l’enseigne. Un ensemble qui explique sans doute l’inscription du coffee shop chaque année depuis son ouverture dans le Gault & Millau.
Reste à déterminer quand ce foisonnement de nouvelles offres va se stabiliser ? “Pour le coffee shop à l’anglosaxonne, on arrive peut-être à saturation. Cependant je le distingue du café de spécialité ; pour celui-ci nous ne sommes qu’au début, note David Flynn, cofondateur de Belleville Brûlerie. Le torréfacteur émet toutefois quelques doutes : “De plus en plus de monde s’intéresse au café, et c’est tant mieux, mais les gens arrivent vite, au risque de rater certaines étapes. Moi j’ai travaillé dix ans en tant que barista avant de me lancer dans la torréfaction.” L’entrepreneur n’a toutefois pas perdu de temps ; en 2013, la marque parisienne ne proposait que deux cafés à la vente, aujourd’hui elle en compte plus d’une trentaine, sans oublier les bars, restaurants et points de vente à son nom un peu partout dans Paris. Ce développement n’a cependant pas atteint la qualité de sa torréfaction juge David Flynn : “Le fait de goûter chaque broche nous a amenés là où nous sommes aujourd’hui. Même si cela paraît évident, je peux vous assurer que peu de torréfacteurs dans le monde s’imposent une telle discipline.” Cette rigueur, Gloria Montenegro tente de l’inculquer chaque jour aux personnes qui viennent se former à La Caféothèque. Depuis 2010, l’institution parisienne forme chaque année, une cinquantaine de torréfacteurs et de baristas issus de tous horizons. “C’est réjouissant de voir cette explosion de nouveaux artisans qui croient au café, même si parfois certains ont la tête dans les étoiles. Nous essayons donc de leur remettre les pieds sur terre en intégrant à nos cours une formation entrepreneuriale incluant une étude de marché, la construction d’un business plan…”, déclare la propriétaire des lieux. Néanmoins pour Gloria Montenegro, le plus grand risque encouru par ces nouveaux entrepreneurs est de porter seuls leur projet. “Il me semble important de construire une dynamique à plusieurs, car le café est un instrument de dialogue et de paix, souligne-t-elle. Je leur conseille d’avoir au moins un associé, de commencer avec une taille minimale qui leur permette d’avoir une aide et surtout de prévoir dans les détails les cinq années à venir.” Enfin, la fondatrice de la Caféothèque croit en la capacité des artisans torréfacteurs à réveiller le coeur des petites villes désertées par les commerces. Son ultime souhait est alors le suivant : “Que ça sente le café dans toutes les rues des communes françaises !”
Marie Frumholtz