Les boissons rafraîchissantes sans alcool sont au cœur de toutes les attentions. Celle de l’État, qui vient d’augmenter la taxe sur les boissons sucrées, instituée pour encourager les consommateurs et industriels du secteur à réduire le taux de sucre dans leurs boissons. Celles des producteurs artisanaux décidés à prendre le contrepied de la mauvaise réputation des soft-drinks en multipliant les recettes plus saines et vertueuses et tout aussi gourmandes. Limonades, sodas, boissons aux fruits, thés et infusions glacées : aucune famille n’échappe à cette révolution.
Le marché des boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA) est en train de muter. Cette catégorie de boissons – qui regroupe officiellement les colas, les limonades, limes et tonics, les boissons aux fruits pétillantes ou plates et celles à base de thé et les eaux aromatisées – traîne encore comme un boulet une mauvaise réputation d’étendard de la malbouffe. En cause, la forte teneur en sucre et le manque de transparence sur l’origine et la nature des ingrédients des soft-drinks industriels, qui vient encore de justifier l’augmentation de la “taxe soda” (lire l’encadré plus loin). Mais sur le compartiment haut de gamme du marché, celui de l’épicerie fine et de la restauration gastronomique, la donne est en train de changer. Une nouvelle génération de produits et de fabricants artisanaux s’attache à réconcilier plaisir, santé et durabilité en multipliant les lancements de boissons rafraîchissantes moins sucrées, plus naturelles et plus responsables.
Les limonades artisanales plaisent toujours
Le coup d’envoi de ce renouveau remonte déjà à quelques décennies en arrière avec le retour en grâce des limonades artisanales. En épicerie fine, Elixia a été l’un des tout premiers à lancer le mouvement. “Dès le redémarrage de notre limonaderie artisanale en 2002, nous avons élaboré des recettes peu sucrées – pas plus de 70 grammes de sucre par litre – avec uniquement des ingrédients naturels et des colorations végétales. Puis, au lancement de notre première limonade bio en 2008, nous sommes allés plus loin en remplaçant le sucre par du sirop d’agave qui a un taux équivalent en sucre de 40 grammes. Avec cette gamme, nous obtenons un index glycémique très faible permettant de répondre à la question du diabète”, explique Hugo Sublet, fondateur d’Elixia.
Thomas Cazenave, cogérant des Brasseurs de la Jonte, corrobore : “La limonade est un produit d’antan qui est revenu sur le devant de la scène en redécouvrant la qualité artisanale.” Cette microbrasserie de bière fondée il y a une douze ans en Lozère s’est diversifiée dans la limonade dès sa troisième année d’existence. Deux fois moins sucrées (60 grammes par litre pour une limonade, 65 grammes pour un cola) et aromatisées avec des arômes naturels bio issus de concentrés de fruits, ses boissons rafraîchissantes “ont mis quelques années avant de décoller mais aujourd’hui la demande est forte et augmente beaucoup plus vite qu’on ne l’imaginait”, affiche le brasseur. La production atteint aujourd’hui un cinquième de celle de la brasserie, soit un millier d’hectolitres par an.
Si ces boissons traditionnelles rencontrent leur public, c’est parce qu’elles jettent un pont entre les habitudes d’hier et les attentes de demain. “Merci à Coca de nous avoir ouvert la route !” s’amuse Charles de Jaham, directeur commercial de la Maison Meneau. “La génération qui se rassasie d’une collation de pâtisseries industrielles et de cola succède à celle qui se régalait au goûter d’une barre de chocolat noir sur du pain avec du sirop. Mais aujourd’hui ces consommateurs recherchent des boissons avec des engagements plus forts, une liste d’ingrédients plus courte et de qualité ainsi que la transparence sur l’origine de ceux-ci”, complète le directeur commercial de Meneau. Le fabricant aquitain de sirops et boissons bio est de plus en plus actif dans les BRSA, notamment avec sa marque de boissons pétillantes Fizz.
Les infusions pétillantes égaient l’apéritif
“Entre eau gazeuse et soda, toujours engagée et avec une vraie signature gustative, Fizz a réussi à se ménager une petite place face aux gros industriels du secteur”, se félicite Charles de Jaham. La marque pèse aujourd’hui 20 % des ventes de produits finis de Maison Meneau. Avec Bartenders, son alter ego destiné aux bars-cafés-restaurants, la marque a connu une croissance de “presque 20 % en 2024 qui s’est poursuivie début 2025”, précise le dirigeant. Une gamme Fizz Seventies a été lancée l’an dernier dans l’idée de “nous éloigner un peu du territoire des sodas artisanaux classiques associant infusion de plantes et jus de fruit pétillant.” Avec des taux de sucre encore plus faibles : entre 4,5 grammes pour 100 millilitres pour le Fizz Verveine – Citron vert et 5,2 grammes pour le Pomme – Lavande française contre 9,1 grammes pour le plus classique Fizz Limo.
Outre la réduction du taux de sucre, la baisse tendancielle de la consommation d’alcool fait le reste du travail et les délices de nouveaux entrants. Il y a dix ans, François Delmas Saint Hilaire et son épouse Marion, deux ingénieurs agro, créaient Manufacture Bordeaux après avoir observé que “de plus en plus de personnes ne buvaient pas d’alcool à l’apéritif sans avoir d’autre solution que de se reporter sur les colas, limonades ou jus d’orange industriels très sucrés.” De là est née Unaju, une marque bio d’infusions de plantes et fruits gazéifiées peu sucrées. “Nous avons ainsi développé une alternative naturelle, saine et festive. Il y a un effet « moment de consommation » avec l’apéritif qui est en train d’évoluer. L’établissement d’un lien entre sans alcool et boisson plaisir est une tendance d’avenir”, commente le cofondateur de Manufacture Bordeaux. Aujourd’hui l’entreprise a rejoint le fabricant Vitamont, filiale de Léa Nature, pionnière des jus de fruits bio. Parallèlement au développement d’Unaju, la start-up participe au développement de la nouvelle gamme de boissons rafraîchissantes sans alcool Vitamont (pour les magasins bio) et Maison Vitamont (dans les épiceries fines).
Le Schorle germanique à la conquête de l’Ouest
En Bretagne, Stéphanie Brunet et Florence Caillet, deux cadres de l’industrie agroalimentaire, connaissent une aventure similaire avec leur start-up Les Filles de l’Ouest. L’entreprise a lancé en France une gamme inspirée de l’Apfelschorle. Ce jus de pomme allongé d’eau gazeuse, très prisé des Allemands, était totalement méconnu dans l’Hexagone, hormis dans les régions frontalières avec l’Allemagne. “Au début, tout le monde écarquillait les yeux parce qu’il n’y avait pas de segment pour ce type de boisson sur le marché français, relate Stéphanie Brunet. Nous avons débuté avec trois références classiques puis progressivement, au fur et à mesure du développement, on a senti qu’il y avait une appétence, des goûts qui s’affinaient et nous avons développé avec des saveurs plus originales.” La gamme des Schorles des Filles de l’Ouest compte aujourd’hui six références, toutes qualifiées par un adjectif gourmand : La Pomme Piquante, Le Cassis Truculent, La Menthe Fougueuse, L’Orange Affriolante…
La fabrication est française, les ingrédients sont d’origine locale, naturels et bio, les recettes sans conservateurs ni colorants. Le jus de pomme est systématiquement utilisé comme base, complété par un jus d’autre fruit, des infusions de plantes, du gaz carbonique et très peu voire pas du tout de sucre. Celui-ci est employé quand il faut corriger l’acidité (avec du citron, de l’orange, de la rhubarbe…) mais complètement absent des Schorles 100 % pomme et aux fruits rouges. La marque Les Filles de l’Ouest est aujourd’hui distribuée dans quelque 3 000 points de vente en France, dont 20 % de magasins bio et épiceries fines. Et la recette de base commence à intéresser d’autres acteurs. Leamo, jeune marque de sodas artisanaux du groupe AlterFood, vient ainsi de lancer une référence Pomme Bio sans sucre ajouté, fabriquée en Allemagne. Une Pêche Bio est annoncée pour cette année.
Des tonics de dégustation sur les tables étoilées
Toujours à l’affût des dernières tendances, le monde de la gastronomie s’est lui aussi emparé de ce marché émergent. Les tonics de dégustation de la marque Archibald en sont un bel exemple. “On observe d’un côté l’explosion d’une consommation hybride qui peut conduire une même personne à un moment de sa vie, de l’année, la semaine ou même d’une soirée, à alterner boissons alcoolisées et sans alcool. De l’autre, il y a une inclination humaine à chercher de nouvelles expériences. Il en résulte de nouveaux accords mets-boissons sans alcool qui élargissent le spectre de la gastronomie”, analyse Estelle Zilda Sauvage, cofondatrice d’Archibald. Clairement positionnés sur le marché du luxe, les tonics à fines bulles de la marque sont élaborés dans une distillerie artisanale implantée entre Cognac et Bordeaux depuis 1830 qui produit aussi des spiritueux. Peu sucrés, ils revisitent la recette originale des “Indian tonics” écartant la quinine pour la remplacer par des distillats et macérations de plantes bio et sauvages récoltées par des cueilleurs professionnels et transformées fraîches.
La marque pousse le culte du produit d’exception jusqu’à produire une édition limitée sous allocation, tel un grand cru numéroté… Aromatisée aux distillats de bergamote et gentiane, elle est vieillie cent jours en fût de chêne américain neuf brûlé à l’intérieur pour obtenir des notes fumées et toastées. “Notre Archibald fumé avec de la saurisserie, cela peut être fantastique !” s’enthousiasme Estelle Zilda Sauvage. Archibald est elle aussi une entreprise engagée. Certifiée B Corp, elle est membre actif de Gentiana Lutea, une association qui œuvre pour la sauvegarde de la gentiane jaune et soutient la “gastronomie solidaire” via l’association Refugee Food. Les bouteilles sont en verre et l’étiquette imprimée avec des encres végétales sur papier recyclé.
Des bulles pour la biodiversité
La plupart des fabricants de ces “néo soft-drinks” sont très engagés en matière de responsabilité sociale et environnementale. Une sensibilité écologique plus que partagée par Oé, une marque de vins bio qui s’est fait connaître en relançant la consigne de bouteilles de vin. “Nous nous posons la question du sans alcool depuis longtemps mais la désalcoolisation du vin n’est pas en adéquation avec l’identité d’Oé, construite sur des valeurs d’authenticité. Pas question pour nous de faire du « faux vin” ! », expose Thomas Lemasle, cofondateur d’Oé. En revanche, Oé et ses partenaires vignerons pratiquent l’agroforesterie et la régénération des sols, “ce qui impose de cultiver des plantes en complément de la vigne : l’idée d’utiliser celles-ci pour produire des boissons sans alcool nous a paru fabuleuse”, expose Thomas Lemasle. C’est ainsi que sont nées Les Essences d’Oé, une gamme de boissons gazeuses botaniques sans alcool infusées à chaud dans une petite distillerie de l’Ain appartenant aux Chartreux, à une heure du siège lyonnais de la start-up.
Trois recettes ont été élaborées avec Stacy Algrain, une botaniste chargée de sélectionner des plantes à la fois bonnes pour la biodiversité et comestibles : feuilles de figuier et romarin officinal ; fleur de sureau, verveine Hollywood et grenade ; racine de gentiane, fleurs d’immortelle et baie de genévrier. Seule la gentiane n’est pas produite par les vignerons “mais nous avons une piste d’alternative qui pourrait l’être”, révèle Charlotte Coquillaud, responsable Marque & Impact d’Oé. Lancée au dernier salon Sihra, la gamme Les Essences a valu à Oé d’y décrocher un prix “Spécial Start-Up”. Le stock initial s’est écoulé en quelques jours.
Les boissons plates sont aussi de la fête
Si les boissons gazeuses occupent beaucoup les producteurs, la grande affaire du moment pour nombre d’entre se joue sur le marché des boissons plates. Mi-février dernier, Les Brasseurs de la Jonte ont ainsi lancé un thé glacé à la pêche avec – là aussi – “deux fois moins de sucre que dans un thé glacé industriel”. Le limonadier Maison Aubert qui a gagné un Épicure de bronze en 2024 pour sa limonade artisanale à la framboise, prépare pour sa part le lancement prochain d’une boisson au thé non pétillante. “Le process de fabrication reste assez proche de celui des limonades aromatisées, car pour ces dernières l’ajout de gaz carbonique intervient en fin de ligne de production, explique le gérant David Flipo. Nous proposons déjà du thé pétillant aromatisé qui reste autour de 6 % de taux de sucre. Le thé aromatisé devrait nous permettre de le réduire encore.” Après avoir étendu leur offre aux limonades en 2023, Les Filles de l’Ouest ont dernièrement créé trois références de thé glacé : L’Extravagant (chaï et épices), L’Idyllique (darjeeling et menthe douce) et L’Ensorcelant (rooïbos et orange sanguine de Sicile).
La demande consommateurs suivra-t-elle le rapide développement de l’offre ? Pour Océane Bougeard, responsable marketing et communication opérationnelle d’AlterFood : “La croissance du marché est portée par l’attente de boissons différentes mais on ne peut pas dire qu’elle explose. Beaucoup de produits et de marques se sont lancés, tous ne dureront pas.” Plus confiante, Stéphanie Brunet (Les Filles de l’Ouest) envisage “le potentiel énorme de parts de marché à prendre sur les industriels. Il y a de la place pour tout le monde.” Le marché est porteur mais la compétition réelle : aux fabricants d’avancer !
Quelques saveurs du moment
- Les fruits exotiques : Elixia vient de mettre au point une limonade litchi ; Gaëtan Honoré (La Gosse) équilibre ses classiques avec “des goûts exotiques : litchi, mangue, fruit de la passion…” ; Unaju vient de lancer une infusion passion-vanille.
- Les fleurs des champs : “Après la fleur de sureau devenue un classique, nous proposons une limonade à la reine-des-prés dont les notes d’amande et de vanille apportent de la gourmandise” annonce Stéphanie Brunet (Les Filles de l’Ouest).
La hausse de la taxe soda, un coup dur pour les boissons artisanales
Adopté par l’Assemblée nationale le 12 février dernier, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale intègre une refonte du barème de la taxe sur les boissons sucrées. Celui-ci se traduira par une augmentation des contributions qui se traduira par une augmentation du prix des ventes des sodas et jus de fruits pouvant aller jusqu’à 10 %, selon les industriels du secteur. Chez les producteurs artisanaux, la hausse de la taxe a du mal à passer. “Bien sûr qu’il est nécessaire de modérer notre consommation de sucre ! Mais l’augmentation de la taxe favorisera les acteurs de la grande consommation au détriment des artisans”, proteste David Flipo. Pour le gérant de la limonaderie Maison Aubert qui “refuse les alternatives controversées comme le fructose, les sucrants naturels qui ne dégradent pas le goût de la limonade sont trop coûteux” pour les petites entreprises. Résultat : “Aujourd’hui, nous n’avons pas la recette mais nous savons déjà que la hausse de la taxe aura un gros impact économique”, s’inquiète-t-il. Pour Gaëtan Honoré, dirigeant de la limonaderie La Gosse, “la limonade est un produit plaisir, le tout est de ne pas en abuser. Le problème est que malheureusement, dans notre métier, on ne fait pas la différence entre une limonade de qualité et une limonade premier prix vendue dans le hard-discount. La taxation devrait tenir compte des volumes produits.” Quant à Hugo Sublet, fondateur d’Elixia, il rappelle que “le sucre se retrouve aujourd’hui dans tous les aliments transformés. Augmenter la taxe, pourquoi pas, mais en l’élargissant à tous les produits contenant du sucre… Il est totalement injuste de stigmatiser les sodas !”