“Nos clients sont nos amis”
Arrivé sur place il y a 32 ans, Patrick Henriroux – 2 étoiles Michelin – est parvenu à écrire une nouvelle page de l’histoire de La Pyramide Fernand Point à Vienne. Avec son épouse Pascale et une équipe soudée (en salle comme en cuisine), puis avec ses enfants avec qui il travaille désormais, il a su gagner la fidélité de la belle clientèle de la région.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Fernand Point est mort en 1955 à l’âge de 58 ans ; vous en parle-t-on encore aujourd’hui ?
Patrick Henriroux – On m’en parle un petit peu moins maintenant parce que tous ses “enfants”, de Paul Bocuse en passant par les frères Troisgros, Alain Chapel, Paul Haeberlin, Louis Outhier ou Claude Peyrot sont décédés. C’est comme si une partie de la bibliothèque avait brûlé. Mais les gens savent que nous sommes dans une maison célèbre qui fêtera l’année prochaine ses 200 ans de restauration.
LMEF – Combien de temps vous a-t-il fallu
pour signer la carte en solo ?
P.H – Deux ans. En arrivant dans cette institution en 1989 et qui plus est dans cette région lyonnaise si attachée aux traditions, nous avons proposé une carte avec les plats de la maison Point – les grands classiques – et les miens qui étaient plus méditerranéens. L’idée était de ne pas brusquer les choses. Cela nous a permis d’apprendre le répertoire qui avait fait la notoriété de Fernand Point, des recettes comme le turbot au champagne ou le filet de sole aux nouilles Fernand Point que nous sommes d’ailleurs capables de refaire aujourd’hui si un client nous les demande.
LMEF – Vous êtes également parvenu à faire que cette entreprise reste une affaire de famille…
P.H – Oui et c’est un peu notre particularité. Il n’y a eu que quatre familles ici depuis 1822, à chaque fois pour de longues durées. Fernand Point lui-même avait succédé à son père et je crois que cela compte. Cela rassure les gens. D’autant que cela ne veut pas dire qu’il faille rester figé : on n’a jamais autant investi dans cette maison que depuis que nous y sommes. Pour rester dans notre siècle, nous moderniser sans suivre les modes pour autant, nous améliorer…
LMEF – Votre restaurant gastronomique a deux étoiles au guide Michelin depuis 1992 ; vous êtes entré dans la prestigieuse chaîne Relais & Châteaux. Qui sont vos clients ?
P.H – On réalise avec nos deux restaurants, environ 43 000 couverts par an. Soixante-cinq pour cent de nos clients sont Rhônalpins, on monte à 80 % avec les clients qui viennent d’un axe situé entre Paris et la Côte d’Azur, on atteint 90 % avec la clientèle périphérique francophone (belge, luxembourgeoise et suisse) et tout le reste – États-Unis, Asie et autres pays lointains – ne compte que pour 10 %. Et si nous avons cet ancrage qui nous sert aujourd’hui, c’est parce que depuis le départ on a cru très fort dans la région et cherché à fidéliser les gens d’ici. On a tout fait pour que nos clients deviennent nos amis. Cela compte beaucoup : on connaît les habitudes des uns et des autres, on leur donne le sentiment qu’ils sont attendus, que l’on fait les choses pour eux. L’objectif c’est qu’ils reviennent. Personnellement, j’ai déjà connu deux générations : des enfants de sept ou huit ans qui venaient avec leurs parents et qui reviennent aujourd’hui avec leurs épouses.
LMEF – En quoi les attentes de vos clients ont-elles évolué en trente ans ?
P.H – La société a beaucoup évolué, c’est une certitude. Mais pour ce qui nous concerne, nous sommes restés sur des valeurs essentielles. Sur la qualité des produits sur laquelle on ne transige pas, mais au-delà, sur la noblesse de ces produits. Même si cela a déjà été tenté à une époque, on ne peut pas vendre de la sardine ou du maquereau avec les prix que l’on pratique. Pour le comprendre, il suffit d’être à l’écoute des envies et des attentes. Nous parlons beaucoup avec nos clients, on sait pourquoi ils viennent. Par exemple, le fait d’avoir 65 % de clients de la région nous oblige à changer complètement notre carte à chaque saison. On doit prendre ce risque, les gens souhaitent de la nouveauté, ils veulent qu’on les régale mais aussi qu’on les surprenne. Ils désirent vivre une émotion et cette émotion doit être globale : le service, la gentillesse, le cadre, le confort, l’atmosphère (…) sont autant d’éléments qui doivent permettre d’offrir ce supplément d’âme dont les gens ont besoin. Surtout en ce moment : on sent chez nos clients un besoin de parler, d’échanger et de partager quelque chose avec nous.
LMEF – Que trouve-t-on dans la boutique située
à l’entrée de La Pyramide ?
P.H – On y retrouve tout ce qui est vins, arts de la table, ustensiles de cuisine et l’épicerie qui constitue les meilleures ventes après le vin. On vient y chiner quelque chose de particulier : un objet, des épices, des pâtes et, je tiens à le dire, tout ce qu’il y a dans notre épicerie est utilisé dans notre maison, au restaurant gastronomique comme au bistrot. C’est ce qui nous permet, quand en fin de service on échange avec un client qui nous dit avoir apprécié le miel à la truffe présent dans un plat, de lui préciser qu’il peut passer en acheter un pot dans la boutique. Inversement, c’est aussi ce qui permet à la personne qui tient la boutique de nous appeler en cuisine pour nous demander une recette, un conseil particulier… C’est un lieu qui donne l’occasion à nos clients de rapporter chez eux un petit peu de leur séjour chez nous. Et qui offre aux clients de la ville, la possibilité de s’acheter des produits qu’ils ne trouveront pas ailleurs…
Propos recueillis par Bruno Lecoq