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Quelle place pour le café de spécialité au restaurant ?

Jugé difficile à appréhender, le café de spécialité peine à trouver une place dans la restauration français

Produit d’excellence, le café de spécialité n’occupe pas encore l’espace qui pourrait être le sien sur la carte des restaurants gastronomiques. Ce n’est un mystère pour personne, la France est dans ce domaine, en retard d’une bonne génération. La faute à qui ? À quoi ? Aux habitudes tenaces, au manque de culture café, au défaut de formation aussi et naturellement au besoin de motivation.Par exemple, personne ne peut suspecter Richard Toix, chef étoilé du restaurant Passions & Gourmandises à Saint-Benoît dans la Vienne, de ne pas avoir étudié la question. Cela fait douze ans qu’il prête son talent à Lavazza. Présent dans les salons professionnels, créateur de recettes à base de café, ce cuisinier n’est toujours pas convaincu. “Je suis contre toutes ces modes, dit-il. On nous parle de cafés issus de hauts plateaux et de tout un tas de choses savantes mais ça ne sert à rien. Beaucoup se perdent en proposant plusieurs choix de cafés et je reste persuadé qu’il vaut mieux n’en faire qu’un, avec une machine bien réglée, une bonne température de tasse et qu’il soit bon !” Inutile donc de lui parler de café avec le fromage et de toutes ces nouvelles tendances qui pour lui n’ont pas vraiment de légitimité. C’est un avis tranché certes, mais un avis qui compte puisque Richard Toix, devenu expert dans l’art d’utiliser le café comme condiment dans ses recettes, reflète le sentiment de bon nombre de ses confrères.

Ce n’est néanmoins pas le cas chez tous les étoilés, terrain de chasse privilégié des grandes marques. “Le représentant de Nespresso, nous confie Nicolas Conraux – une étoile à La Butte à Plouider dans le Finistère – est venu me dire qu’il ne comprenait pas pourquoi j’étais le dernier chef étoilé du Finistère à ne pas proposer son café !” C’est justement par souci de différenciation que ce chef a fait le choix de trois cafés qu’il achète chez un torréfacteur brestois. “Contrairement au thé auquel nous nous sommes tous convertis il y a environ trois ans, notre offre en café reste courte, commente-t-il. Mais nous devons évoluer car la clientèle se manifeste de plus en plus. Elle a besoin d’information sur le sujet et c’est à nous de former le personnel pour répondre à cette attente.” Le chef a déjà entrepris cette démarche pour son bistrot (Le Comptoir de La Butte) en se rapprochant des Cafés Pfaff. “J’ai participé avec mon épouse Solène, à l’élaboration de deux mélanges. Nous avons beaucoup goûté, nous nous sommes informés sur l’origine des cafés, leur typicité, le choix de la torréfaction et à présent, nous sommes à l’aise pour transmettre ce que nous avons appris.” Et cela fonctionne. Au Comptoir de La Butte, chacun des employés sait que le mélange “Nicolas” a plus d’amertume et que le mélange “Solène” se démarque par ses notes acidulées. Une démarche identique est donc prévue pour le restaurant gastronomique où il n’est pas rare qu’en fin de repas, les clients choisissent de s’installer au salon.

“Nous proposons un vrai service avec mignardises, chocolats, carte des boissons chaudes et digestifs, et pour certains clients, c’est le moment approprié pour s’intéresser au café. À nous de monter en gamme car le prix ne sera jamais un obstacle si nous parvenons à créer une vraie curiosité sur le produit, conclut Nicolas Conraux.”

Formation = transmission = vente

La formation, c’est également le credo d’Alejandro Chávarro, chef sommelier du restaurant l’Astrance à Paris, 3 étoiles Michelin. “Je suis entré dans le monde de la restauration haut de gamme dès mes débuts, précise ce trentenaire, Colombien d’origine, et la question du café de qualité s’est posée rapidement. À 24 ans, j’ai décidé de prendre le temps pour apprendre ; en me rendant dans mon pays d’origine bien sûr, mais aussi en suivant les cours de Gloria Montenegro à la Caféothèque de Paris.” Pour Alejandro, ce fut incontestablement une révélation et les nombreux parallèles avec le monde du vin ont grandement facilité son apprentissage. “On peut se former en trois ou quatre mois de cours dit-il, mais la formation est essentielle pour transmettre notre savoir à la clientèle.” À l’Astrance (25 couverts), le café de spécialité est traité comme un produit gastronomique à part entière. “C’est un travail de tous les jours, précise le sommelier. Il faut entretenir la machine, le moulin, régler les moutures en fonction de la pression atmosphérique ou de l’humidité ambiante ; nous préparons nos doses et travaillons uniquement sur des torréfactions fraîches. Quand il nous arrive, le café a entre trois et quatre jours de torréfaction ; je le laisse reposer cinq à sept jours pour qu’il puisse dégazer et je le sers moulu à la minute.” Pas de carte à l’Astrance où l’on sélectionne un seul café de spécialité (Café Coutume) par saison. Une saisonnalité qui parle au palais et à l’oreille des gastronomes. “S’il est important de pouvoir échanger sur la typicité des terroirs, il est primordial de parler du goût du café, avec des mots simples et en fonction du degré d’intérêt du client.Pour illustrer notre propos, il nous arrive de servir le café et faire sentir, à côté, un peu de mouture fraîche. En hiver, on offre des cafés qui réconfortent, très chocolatés et toastés avec des torréfactions un peu plus poussées tandis qu’en été, le café sera plus sur la fraîcheur, avec un peu d’acidité, un léger goût de noisette. En automne et au printemps, on gardera l’accent sur l’acidité avec des cafés aux arômes un peu plus floraux.” Pour le moment, à l’Astrance seul l’expresso est à la carte. Ici comme à La Butte, on réfléchit à la possibilité de présenter un mode d’extraction douce. Une proposition qui pourrait jouer un rôle intéressant selon Alejandro Chávarro, quand le repas est terminé et que la discussion se poursuit. “À cet instant, un café servi dans une Kemex pourrait se justifier, parce que vous allez pouvoir le déguster chaud mais il conservera tous ses arômes en baissant en température… Il en sera même meilleur !”

Tendance barista

Le café de spécialité n’est pas réservé aux seules tables étoilées. Et si chacun sait le rôle joué par la bistronomie dans son essor, il n’est pas davantage l’exclusive d’une clientèle type. Ce serait dommage. Ouvert courant mars rue Mabillon dans le 6e arrondissement de Paris, le restaurant Marcello a intégré tout de suite un barista dans son équipe. Comme le précise la propriétaire des lieux, Marie-Lorna Vaconsin, “l’idée était d’ouvrir un lieu de vie où l’on puisse se restaurer et boire tout au long de la journée, avec une proposition qui aille du coffee shop au restaurant traditionnel.” Le café est donc ici une affaire de barista et plus précisément celle de Ludovic Fekete. ”Le café de spécialité répondant à différentes approches, avec des niveaux de préparation parfois un peu complexes, n’est pas évident en restauration concède-t-il. Mais si l’on se cantonne à l’expresso, voire au double expresso, les clients y sont réceptifs. Ils nous posent beaucoup de questions sur le produit, sur les recettes, mais beaucoup d’interrogations aussi sur le métier de barista, remarque Ludovic.” À la carte du Marcello (partie restaurant) : un café maison et un café guest en version filtre et expresso. Une belle idée qui pousse la clientèle une fois encore à la curiosité et lui permet de découvrir d’autres cafés, d’autres modes de torréfaction. “Nous avons développé le little black, un café maison offrant un bel équilibre, entre acidité et amertume avec un petit côté acidulé. Il peut être rallongé avec un peu d’eau chaude si les clients le trouvent court en tasse. Et nous avons établi un calendrier des torréfacteurs invités qui retient l’attention. Les clients ne choisissent pas instinctivement cette proposition, mais si le chef de rang la recommande, deux fois sur trois ils l’essayent. C’est à nous de trouver les mots simples pour expliquer le produit. Plus que de spécialité, nous parlons de café d’excellence ou d’exception. À nous aussi d’attirer l’attention sur les notes aromatiques faciles à retrouver en bouche, d’expliquer les textures juteuses ou sirupeuses.”

 

En résumé, le café de spécialité peut trouver sa place en fin de repas pour peu que l’on apprenne à en parler avec des mots simples. Pour cela, assurément, il faut non seulement maîtriser le sujet mais lui consacrer le temps nécessaire et avoir envie de partager ce que l’on sait.

 

 Bruno Lecoq

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