En mars dernier, le gouvernement français a adopté un plan à cinq ans de réduction des nitrites et nitrates ajoutés dans les aliments. Ces additifs (répertoriés sous les codes E249, E250, E251 et E252) permettent de mieux conserver les aliments. Mais ils concourent à la formation de nitrosamines dans l’organisme, un composé chimique qui augmente le risque de cancer colorectal. D’où une vigoureuse campagne en faveur de leur suppression, menée par la Ligue contre le Cancer, l’ONG Foodwatch et l’application de notation nutritionnelle Yuka. Celle-ci vient même de gagner en appel un procès intenté par l’industriel de la charcuterie ABC, qui l’accusait de dénigrer ses produits en dévalorisant le score des aliments contenant des nitrites…
Le juge a notamment fondé sa décision sur les conclusions d’un avis émis en juillet 2022 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Celle-ci y confirme que « l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites par la consommation de produits carnés traités est associée positivement avec un risque de cancer colorectal ». L’Anses appelait en conséquence à une limitation des additifs nitrés ajoutés.
Le gouvernement a donné suite en annonçant un calendrier en trois temps. Les teneurs maximales en additifs nitrés admis baissent immédiatement pour 80 % des volumes de charcuterie (jambons cuits, lardons, knacks, pâtés et rillettes, saucisses à griller…), puis pour 90 % dans les 6 à 12 mois (saucisses, saucissons cuits, pâtés, rillettes, andouilles, andouillettes, jambons…), l’objectif étant de les supprimer totalement dans les jambons, lardons, pâtés et rillettes à l’horizon de cinq ans.
Le plan réduction des nitrites, vaste ambition ou coquille vide ?
Sitôt adopté, ce programme présenté comme « ambitieux » par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Marc Feneau a été qualifié de « coquille vide » par Foodwatch ! Pourtant les normes françaises sont déjà 20 % inférieures à la moyenne européenne d’après l’Anses, qui milite pour un alignement de l’UE sur nos maxima. Mais l’ONG dénonce des réductions immédiates qui « étaient déjà dans les tuyaux des industriels en 2021 » et des suppressions qui s’appliqueraient surtout aux produits qui utilisent « peu – voire pas du tout – de nitrites ». Et il est vrai que le plan annoncé s’accommode de zones d’ombres qui sèment le doute. Ainsi, pour les mesures à 6-12 mois, « le délai permettra de valider la faisabilité et de contrôler la maîtrise de la qualité sanitaire », note le dossier de presse ministériel. Quant à la suppression totale d’ici cinq ans, elle dépendra de la « mobilisation de la recherche scientifique ».
À la décharge des pouvoirs publics, réduire les nitrites revient à arbitrer entre cancer et intoxication alimentaire, infection, maladies, etc. ! En effet, « à l’heure actuelle, aucune solution de remplacement des additifs nitrés ne permet de gérer simultanément les différents risques de façon satisfaisante », souligne l’Anses. Celle-ci cite une étude de l’Inrae selon laquelle les bouillons de légumes préviennent les risques microbiologiques mais pas le cancer colorectal. Avec les formulations riches en polyphénols et vitamine C, c’est plutôt l’inverse. Tandis que les ferments lactiques et extraits de levures n’ont prouvé leur efficacité ni dans un cas ni dans l’autre.
Les artisans entre lard et cochon
Pour Marc Schneider, dirigeant de la Maison Barbier, « les consommateurs veulent à la fois des dates limites de consommation (DLC) très longues et des produits sans nitrites. Mais à un moment donné, on atteint un seuil incompressible. On ne les enlèvera jamais totalement. » Les produits de cette entreprises artisanale du Doubs, qui emploie quatre charcutiers, affichent « des taux déjà vingt fois inférieurs aux normes françaises, affirme-t-il. Mais pour y arriver, nous avons dû réduire nos DLC de moitié. »
Quoiqu’il en soit, le mouvement du sans nitrite a le soutien des consommateurs et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Certaines enseignes comme Cul de Cochon en ont même fait leur spécialité. Le site marchand Tête de Lard le met en avant sans s’y enfermer. « Il y a une vraie tendance au sans nitrites mais les producteurs y vont progressivement. Certains fournisseurs de grande qualité continuent de les utiliser. Souvent ils le font à des doses infimes », explique son cofondateur Rémi Le Du.
La réponse incertaine des consommateurs
Dans ce contexte, les artisans charcutiers ont peut-être une carte à jouer. « Les produits les plus nitrités sont les produits prétranchés : le jambon, le bacon, les saucissons, analyse Marc Schneider. Or ceux-ci répondent à la demande des industriels qui eux-mêmes cherchent à satisfaire l’attente de produits faciles à consommer. Résultat, les grandes surfaces regorgent de produits conditionnés sous plastique à date longue. »
Les artisans, qui ne pratiquent pas le libre-service, sont moins concernés. « Il vaudrait donc mieux éduquer le consommateur que de demander aux industriels de réduire les sels nitrités », poursuit le charcutier. Une option « consommation responsable » que ne renierait sans doute pas 60 Millions de Consommateurs. « Diversifier son alimentation » fait en effet partie des pistes avancées par le magazine de l’association consumériste, à côté d’autres « leviers » comme le renforcement des pratiques d’hygiène du champ à l’assiette ou une meilleure gestion des fertilisants et effluents d’élevage afin de réduire la présence de nitrates dans les végétaux…