Portrait Eric Vigean artisan huilier bd

« Nous avons besoin de faire connaître le métier d’artisan huilier »

À la demande du Monde de l’Épicerie Fine, le seul « maître huilier » de France réagit au classement des huiles d’olive réalisé par 60 Millions de Consommateurs. Sceptique sur ce genre d’études, il insiste sur la nécessité de faire progresser la connaissance du métier d’artisan huilier et l’art de la dégustation des huiles par les Français. Interview.

Le Monde de l’Épicerie Fine – Avez-vous pris connaissance de la dernière étude de 60 Millions de Consommateurs, qui met en cause la qualité d’huiles d’olives de grande consommation tout en mettant en avant une référence à la marque propre d’un hard-discounter ?

Éric Vigean – Non car j’émets des réserves sur les classements établis par les associations de consommateurs. En général, les marques premium comme la nôtre y sont mal notées. Les expériences que nous en avons eu par le passé ont toujours été décevantes . Sur une même appellation, il y a différentes manières de travailler. Les huiliers sérieux sont connus. Ils sont rarement mis en valeur dans ce type de classement sans que cela paraisse justifié.

LMEF – L’étude mentionne cependant une « évaluation sensorielle par 12 jurés experts selon un protocole précis publié par le Conseil oléicole international »…

E.V. Pour notre part, nous faisons appel à l’Institut des Corps gras Iterg et nous constatons que leurs analyses ne coïncident jamais avec celles mises en avant dans les classements. La réglementation nous oblige en effet à conserver des échantillons de toutes nos huiles entre 7 et 9°C pendant 24 mois. Nous pouvons donc apporter la preuve de leur conformité analytique et gustative.

LMEF – D’où peuvent venir ces différences d’évaluation ?

E.V. – Plusieurs biais sont envisageables. Le délai entre la fabrication de l’huile et son analyse peut en être un. Une huile qui aurait traîné entre 18 et 20 mois en rayon avant d’être analysée est forcément moins savoureuse et plus acide qu’une huile récemment fabriquée. Par ailleurs, la note organoleptique et gustative reste subjective. Qu’un produit conforme puisse être torpillé dans une étude sur le goût me semble un peu facile. J’ai longtemps été dégustateur Une huile se déguste un peu de la même manière qu’un vin, avec l’œil, le nez et le palais. Le monde du vin a la chance de compter de nombreux expert œnologues. Malheureusement, nous manquons en France d’expert de la dégustation des huiles.

LMEF – Vous êtes vous-même le seul maître huilier de France. Qu’est-ce qu’un maître huilier ?

E.V. – C’est un diplôme d’État que j’ai obtenu en 2009, vingt-cinq ans après avoir débuté dans l’exercice de mon métier au sein de l’huilerie fondée en 1830 par mon grand-père et alors dirigée par mon père. Cette distinction officielle est la reconnaissance du respect d’un savoir-faire traditionnel. Elle est nominative et ne se transmet pas. À l’origine d’ailleurs, nous étions deux maîtres huiliers en France mais le successeur de mon collègue n’a pas engagé la démarche.

LMEF – Quelle est la procédure pour devenir maître huilier ?

E.V. – Près d’une année d’audit par les chambres de métiers et de commerce, portant sur les méthodes utilisées et les process, a été nécessaire pour l’obtenir. Mes compagnons autour de mois travaillent comme une brigade en cuisine, avec un champ d’application et des méthodes précises. La qualité des matières premières compte bien sûr mais leur transformation et l’élaboration répondent à des méthodes définies. Le titre de maître huilier est une reconnaissance très importante pour nos clients et consommateurs en France et à l’international. On pourrait la comparer au titre de Meilleur Ouvrier de France. L’idée de voir disparaître ma qualification de maître huilier lorsque je me retirerai me désole. Nous comptons sur une autre distinction pour entretenir la flamme. Nous avons été reconnus Entreprise du Patrimoine Vivant en 2012.

LMEF – Face au rayon, le consommateur ne perçoit pas forcément la plus-value apportée par une huile d’olive de qualité. Comment lui faire savoir ?

E.V. – L’essentiel passe par le nom de la famille, du domaine ou de la propriété. Sa réputation reflète son savoir-faire et une garantit certaine traçabilité. La marque reste un repère important, surtout dans la période d’inflation que nous traversons. Elle est un vecteur de confiance.  Être le seul maître huilier n’est pas un motif de satisfaction. Notre corporation a besoin de faire parler de notre beau métier. Les huileries artisanales et moulins à huile d’olive qui travaillent noblement sont peu nombreux en France. La culture de l’huile d’olive y est moins répandue que celle du vin. Nous aurions tous à gagner à partager pour mieux faire connaître les caractéristiques des huiles de qualité. Il y aurait un travail important à mener pour apprendre aux Français à déguster les huiles. Dans d’autres pays que le nôtre, les consommateurs ont un palais plus exercé.

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