Impulsé par le retour en vogue des torréfacteurs, l’instant café est au cœur d’un mouvement de valorisation que devrait logiquement prendre à son compte le circuit des épiceries fines. Tel commence à être le cas avec, face à des consommateurs de plus en plus experts et exigeants, la notion de café de terroir en vedette. Ce sont 48 heures qui ont été riches de sens, de saveurs et de découvertes, à l’image finalement d’un produit en plein renouveau, voire en pleine reconquête. Tout juste écoulées (27- 28 mars 2015), les Journées du Café illustrent bien en effet la façon dont évoluent la perception et la consommation de feu le « petit noir », pour reprendre une formulation aux connotations quelque peu péjoratives et pour le coup de plus en plus obsolète.
Organisée pour la 1ère fois sur deux jours par le Comité Français du Café et animée par une nouvelle génération de torréfacteurs aussi motivés que passionnés, cette manifestation nationale et les animations qui lui sont associées (dégustations, visites de brûleries…) – n’aurait sans doute jamais pu avoir lieu il y a seulement une vingtaine d’années. Ou bien elle aurait fait « flop » ! Le produit « café » et l’approche basique qu’on en avait alors globalement en France, n’appelaient effectivement pas un tel événement. Mais voilà, les choses ont bougé, le niveau d’expertise et les connaissances des consommateurs se sont améliorés et leurs attentes ont suivi le mouvement, de plus en plus pointues, de plus en plus exigeantes : « Le phénomène est récent, 5 ou 6 ans maximum, mais j’ai aujourd’hui le sentiment d’une vraie rencontre, constate David Hauguel, directeur général de la PME havraise Cafés Charles Danican. Les gens ont envie d’aller vers des cafés de mieux en mieux identifiés, de plus en plus authentiques et qui ont tous une histoire à raconter. Et lorsqu’ils ont compris la réalité d’un produit, le prix n’est plus une barrière. »
RENDONS À CÉSAR …
Comme pour toute tendance émergente, il y eut un commencement. Sur ce point, le consensus est général : l’arrivée de la capsule a changé la donne, avec Nespresso aux manettes. « Le couple capsule/machine expresso a permis de remettre les grands cafés sur le devant de la scène, explique Michael Piacontino, torréfacteur artisanal installé à Rouen (Couleur Café).
Il a contribué à ouvrir le marché, à le valoriser et parallèlement à nous redonner un vrai statut. »
Franck Delalande, directeur général de Lobodis, fut le premier à sortir une gamme complète de capsules Pure Origine, largement représentée d’ailleurs dans les rayons de La Grande Épicerie du Bon Marché, à Paris.
Il confirme le rôle décisif qu’a eu ce format dans le parcours gustatif du consommateur : « L’effet levier est incontestable. Pour un coût unitaire marginal, les 5 grammes de café que renferme une capsule sont pour lui le moyen de partir à la découverte d’un monde qui lui est encore majoritairement inconnu… » Le monde en question a un nom, c’est celui des cafés de terroir. Il ne représente encore qu’une part infinitésimale du marché français (moins de 1 % contre… 20 % aux Etats-Unis), mais il progresse à la vitesse grand V.
“ En France, on commence seulement à mettre le torréfacteur à sa juste place et à le considérer comme un métier de bouche à part entière. ” Anne Caron, directrice générale de la Brûlerie Caron
Créée en 2007 à Mérignac (Gironde) par Nicolas Bellangé, la société familiale Belco est l’importateur n°1 « de café vert de qualité » et dans 95 % des cas, sa clientèle n’est constituée que d’artisans. Son développement reflète l’engouement du moment : « 30 000 tonnes la première année, 330 000 tonnes en 2013, 500 000 tonnes en 2014, entre + 40 % et + 50 % programmés à nouveau cette année : la dynamique est bien lancée, assure Alexandre Bellangé, qui a relayé son père à la tête de l’entreprise. Mais finalement, c’est logique : les cafés de terroir se distinguent tellement des autres en termes de qualité, d’identité et de sensorialité, en un mot de plaisir de consommer, que lorsqu’on y a goûté, on ne revient pas en arrière ! »
Avant d’ajouter pour la mise au point finale : « Nespresso a fait beaucoup certes, mais cela reste du Nestlé. Ils ne vont pas au bout de leur promesse, pour des questions d’économies d’échelle ou de rentabilité. Le torréfacteur artisanal, si ! »
LE MONDE ENTIER À PORTÉE DE TASSE
L’origine 100 % pur arabica (70 % de la production mondiale contre 30 % de robusta) est le point commun aux cafés de terroir. Pour le reste, ledit concept, qui se décline en trois grandes familles (détail dans le Glossaire), s’apparente à un permis de voyager sur une palette de saveurs d’une infinie richesse. “La vraie diversité du café de qualité est à l’intérieur de chaque pays producteur, de chaque terroir, de chaque plantation, de chaque parcelle, de chaque variété botanique. Sur le plan sensoriel, le champ du possible est infini et c’est ce qui fait toute la noblesse de ce produit.” Alexandre Bellangé, directeur général de Belco
L’amateur, même non averti, en connaît les destinations principales à défaut d’en maîtriser encore toutes les subtilités : le Brésil et la Colombie (respectivement 1er et 3ème producteurs de café au monde) ainsi que le Pérou ou la Bolivie pour l’Amérique du Sud, le Kenya, l’Éthiopie ou la Tanzanie pour l’Afrique de l’Est. Reste que l’appellation café de terroir sous-entend bien d’autres origines susceptibles d’accompagner les spécificités d’un goût français qui privilégie globalement les cafés moyennement acidulés. Du moins pour l’instant, car la quête de complexité est à l’ordre du jour.
Certains pays d’Amérique Centrale (El Salvador, Nicaragua, Honduras, Guatemala, Mexique), l’Asie (Sumatra, Vietnam, pour mémoire n° 2 mondial du café), l’Afrique (Burundi, Congo), l’Inde ou les Caraïbes sont ainsi inscrits au programme de ceux qui veulent découvrir, et en l’occurrence découvrir toujours plus : « L’intelligence du goût a pris le pas sur l’intelligence du portefeuille » commente Franck Delalande. Ce qui n’est pas plus mal quand on sait par exemple, qu’il faut débourser une trentaine d’euros pour un paquet de 250 g du très convoité Jamaica Blue Mountain.
UNE JOLIE CARTE POTENTIELLE DANS LE JEU DE L’ÉPICERIE FINE
Que l’approche du café soit, via l’offre Pure Origine et ses succédanés, au cœur d’un mouvement de « premiumisation » semble donc incontestable. Que ce phénomène ne puisse être, pour une fois, préempté par la grande distribution semble tout aussi évident ; les volumes qui sont en jeu, trop petits, le travail de fond qu’il faut faire en amont, trop ardu, et le retour sur investissement, trop aléatoire compte tenu justement de la taille du segment, sont autant d’éléments qui freinent les velléités des grands industriels. À partir de là, qui peut en tirer le meilleur parti ?
Du côté des torréfacteurs artisanaux, la démonstration est déjà faite. Leur capacité à présenter les crus les plus rares, voire les lots les plus confidentiels, leur savoir-faire dans l’information et l’éducation du consommateur leur ont largement profité, et pas seulement en termes d’image. Leur métier, c’est une bonne chose, est revenu à cette occasion en pleine lumière. Dont acte. Mais dans le même temps, c’est le commerce de bouche haut de gamme tout entier qui pourrait légitimement prendre à son tour une part du business et ce, d’autant plus que le café reste à ce jour un produit largement sous-exploité par ce circuit, notamment par l’épicerie fine.
Le potentiel étant là, des frémissements se font jour. À l’exemple de Christophe Servell chez Terres de Café, dont la marque est déjà distribuée dans plus de 60 magasins à Paris et en province, les torréfacteurs font même du commerce sélectif non spécialisé, un levier d’avenir : « Les détaillants, après les consommateurs, ont compris que le café tel que nous le concevons, était un produit noble, constate David Hauguel au siège des Cafés Charles Danican. Leur regard a changé, ils sont demandeurs et nous sentons donc qu’il y a peut-être un virage à prendre de ce côté-là… » Affaires à suivre, avec un « s », et dans tous les sens du terme.
Guy Leray