Rien ne semble pouvoir empêcher l’univers du miel de monter en gamme. Ni la baisse de la production et l’augmentation des importations, pas plus que les dernières règlementations autorisant à nouveau l’usage des néonicotinoïdes… Bref, on continue à raffoler du miel en France, surtout s’il est bio et davantage encore s’il offre de toutes nouvelles saveurs florales.
Réputé pour son goût et ses qualités – antiseptiques, antibactériennes, antivirales -, le miel est de plus en plus consommé par les Français qui en dévorent quelque 40 000 tonnes chaque année, soit quelque 600 grammes par personne… Bénéficiant d’une image de produit sain et naturel, c’est l’un des grands succès du moment en épiceries fines où les ventes progressent fortement depuis le début de l’année. “Le miel est par excellence, le produit bon pour la santé et bon tout court, sans compter qu’il constitue une alternative naturelle au sucre… Conjuguant qualités nutritionnelles et organoleptiques, il est à ce titre fortement apprécié ces derniers mois sur les circuits de distribution spécialisés” confirme Estelle Faucher, responsable marketing du Comptoir de Mathilde.
Son appréciation est encore plus forte s’il relève d’une production locale, clairement identifiée par un étiquetage renseignant sur le terroir dont il est issu. “La demande a explosé depuis le printemps dernier, les miels locaux sont de plus en plus appréciés. C’est très encourageant pour les apiculteurs artisans et cela nous permet de prendre le plus grand soin de nos colonies d’abeilles qui en ont bien besoin”, confie Fabien Troadec, apiculteur à Trémaouézan dans le Finistère. Problème : aujourd’hui la production française de miel est de 19 800 tonnes quand la consommation atteint 40 000 tonnes. Il est donc nécessaire d’importer, d’autant que certaines appellations florales sont impossibles à trouver en France. Une dépendance vis-à-vis de l’étranger qui impose de redoubler de vigilance sur la composition et l’origine des produits.
Le miel sans les abeilles…
Selon un rapport de la Commission agriculture et développement durable du Parlement européen, le miel ferait en effet partie des produits les plus contrefaits dans le monde. Une hypothèse confirmée outre-Atlantique par la U.S. Pharmacopeia’s Food Fraud Database qui indique que le miel est aujourd’hui la troisième cible pour la fraude alimentaire aux États-Unis, derrière le lait et l’huile d’olive. Méfiance donc car les contrefaçons peuvent venir de partout… Dans une synthèse de juin 2016, l’organisme public FranceAgriMer expliquait ainsi que les chiffres des importations de miel en France devaient être “pris avec précaution, dans la mesure où les origines géographiques des importations françaises ne permettent pas de déduire précisément l’origine des miels présents sur le marché français, étant donné l’importante activité de réexpédition des négociants européens, et notamment des plates-formes situées en Espagne, Belgique, Allemagne et plus récemment en Pologne.” Pire, en transitant par certains pays européens, des miels chinois deviendraient espagnols ou encore ukrainiens…
La question de la traçabilité se pose avec d’autant plus d’acuité que si les propriétés d’un miel sont en grande partie souvent liées à son origine géographique, ces dernières sont avant tout dépendantes de la qualité de l’environnement dans lequel œuvrent les abeilles pour sa fabrication. Or, le péril est grand en la matière. Réchauffement climatique, OGM, pesticides et autres néonicotinoïdes mettent à mal le milieu naturel des petites ouvrières. Les abeilles mellifères disparaissent et ne produisent plus autant de miel qu’il y a vingt ans.
“En France, nous sommes passés d’une production de 30 000 tonnes en 1996 à moins de 10 000 tonnes en 2016, soit des volumes divisés par trois en une vingtaine d’années”, s’alarme Michel Pikhanov, directeur Ventes & Marketing de Miel Martine. L’équation est des plus simples : moins d’abeilles, moins de miel… “Depuis 1995 et l’apparition des insecticides néonicotinoïdes(1), environ 300 000 ruches périssent chaque année et doivent être reconstituées. Les mortalités sont passées de 5 à 30 % de nos jours”, commente pour sa part Henri Clément, porte-parole de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF).
Quel environnement pour demain ?
Et les choses ne devraient pas aller en s’arrangeant… Après les avoir interdits en 2018, le gouvernement vient en effet d’accepter d’accorder, à compter de l’an prochain, des dérogations temporaires pour l’usage de néonicotinoïdes, notamment en faveur des producteurs de betteraves dont les cultures seraient actuellement menacées par un puceron ravageur. “Nous nous battons contre les insecticides depuis des années et cette règlementation est réellement inquiétante. Il faut savoir que l’exposition d’une abeille aux néonicotinoïdes réduit sensiblement sa capacité à retrouver le chemin de sa ruche, c’est donc tout un écosystème qui est menacé”, poursuit Michel Pikhanov (Miel Martine). Pire, ces insecticides neurotoxiques agiraient sur le système nerveux des abeilles, provoquant à terme une paralysie mortelle. Pourtant, malgré leurs effets dévastateurs, les néonicotinoïdes se sont déjà imposés dans plus de 120 pays et représentent désormais un juteux marché : 40 % des ventes d’insecticides pour un chiffre d’affaires mondial supérieur à 2 milliards d’euros…
Fort heureusement, le législateur n’est pas toujours défavorable au milieu apicole. Ainsi, pour limiter les fraudes évoquées plus haut, la loi EGalim(2) impose désormais de mentionner clairement le ou les pays d’origine des miels sur les étiquettes (voir encadré). S’appuyant sur des exemples de produits composés à plus de 90 % par de faux “miels” à base de glucose, importés de Chine sans aucune mention de leur origine, les pouvoirs publics ont souhaité que l’information des consommateurs soit plus complète. Une initiative soutenue par l’UNAF mais également par le Syndicat français des miels (SFM) qui tous deux plaident pour une information sur l’emballage, claire, objective et loyale, pour ne pas tromper ou induire en erreur le consommateur. Les entreprises adhérentes des deux syndicats n’entendent pas pour autant s’arrêter là et travaillent aujourd’hui à l’enrichissement des informations disponibles sur les packagings via des solutions dématérialisées (QR code ou code-barres).
Traçabilité & qualité
On l’aura compris, la traçabilité est l’un des grands enjeux du moment et la plupart des producteurs travaillent aujourd’hui à l’optimiser. C’est le cas en France mais également à l’étranger. En Bulgarie par exemple, au cœur du Balkan central, la miellerie Lavilà a mis en place un process lui permettant de mettre sur le marché des miels naturels aux origines florales parfaitement transparentes. “À chaque récolte, nous attribuons un numéro de lot. Un échantillon de chaque lot est expédié pour des analyses polliniques afin de déterminer plus précisément l’origine florale. Par exemple, pour qu’un miel soit appelé miel d’acacia, la législation européenne exige au minimum 35 % de présence d’acacia. Pour notre marque, nous récoltons rapidement après la floraison des acacias pour avoir un miel très clair et pur à environ 55-70 % d’origine acacia”, explique Kalina Kamara, directrice générale.
Chez Miel & Miels, on joue également volontiers la carte de la transparence. À travers un large panel d’analyses, chaque miel est en effet patiemment étudié au sein de laboratoires d’expertise afin de certifier ses origines florale et géographique, sa conformité réglementaire et son excellence gustative.
Enfin, la miellerie provençale Martine est l’une des plus innovantes en matière de traçabilité. Sur chaque pot, le consommateur retrouve un QR code qui lui permet de retracer sur le site respect-code.org toute la production, depuis la zone de butinage (trois kilomètres autour de la ruche) jusqu’au conditionnement à Seillans (Var). “Depuis septembre, cette traçabilité est associée à la technologie blockchain qui permet de s’assurer qu’il n’y a pas d’interventions extérieures pour falsifier les données fournies au consommateur. En clair, tout notre process de traçabilité est 100 % sécurisé”, confirme-t-on chez Miel Martine. Comme chez nombre d’apiculteurs, on a opté pour des miels mono-floraux. Un choix judicieux si l’on tient compte du fait que pour produire leur miel, les abeilles butineuses prélèvent le nectar de fleurs environnantes. Le miel est donc le reflet de l’identité et de la typicité d’un lieu bien précis et défini. Les zones – dites parcelles – concentrant une même variété de fleurs constituent ainsi des espaces privilégiés pour produire un miel mono-floral à l’identité gustative marquée. “Les parcelles de fleurs sur lesquelles sont implantés les ruchers sont sélectionnées pour leur densité florale. À l’instar du vin, la parcelle est fondamentale dans la qualité du miel et la densité florale est la clé pour assurer une typicité aromatique du miel. Chaque miel Hédène provient d’une fleur emblématique d’une région de France et est unique par sa saveur, sa texture et sa couleur”, précise ainsi Cyril Marx, fondateur des miels Hédène.
Ici et ailleurs…
La démarche de La compagnie du Miel n’est pas si éloignée de celle d’Hédène. Le fabricant mise en effet sur la spécificité et la traçabilité de ses miels en revendiquant un terroir bien précis, mais toutefois loin de l’Hexagone : Madagascar. “Nous proposons des miels exotiques dont la qualité et la traçabilité sont garanties et contrôlées. Ces miels issus de plantes rares ou endémiques comme le litchi, le palmier ou le niaouli, offrent une palette de saveurs extraordinaires et uniques”, explique Thibaut Lugagne Delpon, cofondateur de l’entreprise. La démarche qualitative de La Compagnie du Miel se double d’un engagement social et environnemental. Sur place, avant d’installer ses ruches, le fabricant vérifie en effet que la parcelle repérée est adaptée à la production de miels mono-floraux et forme les paysans malgaches à l’apiculture, afin qu’ils soient capables de créer des emplois en zones rurales et de protéger leurs forêts.
Même parti pris sur les terroirs du monde chez Miel Factory où Rémi Porthault, fondateur de l’entreprise, reconnaît lui aussi que “l’arôme d’un miel est plus intéressant quand il est mono-floral et issu d’un territoire bien circonscrit.” Le fabricant prolonge ainsi ses explorations des terroirs hexagonaux par celles de nouvelles terres aux quatre coins de la planète, toutes synonymes de nouveaux savoir-faire et de nouvelles saveurs. “Le terroir français permet une production très diverse de miels de haute qualité. Mais bien d’autres pays sont dotés de miels aux arômes originaux qu’il reste à découvrir”, précise-t-il. Tantôt issu du jujubier du Yémen, tantôt du caféier du Viêt Nam ou encore du palissandre de Madagascar, Miel Factory propose ainsi un tour du monde gastronomique des miels les plus méconnus et les plus lointains.
Le bio : des garanties supplémentaires
On retrouve cette distinction terroirs français / terroirs d’ailleurs sur le segment bio des miels. Rien d’étonnant à cela car davantage encore que sur le marché conventionnel, le consommateur bio se tourne fort logiquement vers des productions artisanales axées terroirs, perçues comme garantissant un certain niveau de qualité. Un message reçu 5 sur 5 par les fabricants. Ainsi pour ses deux nouveaux miels du Mexique et de Madagascar, Terra Etica mise sur des produits d’origine de nature à mettre en valeur ces terroirs lointains, les caractères aromatiques de leurs produits et les savoir-faire des coopératives partenaires.
Plus proches géographiquement, les terroirs d’Europe centrale ne sont pas en reste… Comme évoqué plus haut, la marque Lavilà mise sur la traçabilité, mais également sur la certification bio qui selon elle, apporte clairement des garanties supplémentaires au consommateur. “Le bio lui procure la certitude d’avoir un miel naturel (sans pesticide), mais également et surtout un miel cru, autrement dit un miel non pasteurisé qui aura conservé tous ses nutriments et toutes ses saveurs”, défend ainsi Kalina Kamara.
Enfin, sous sa propre marque (Mes Trésors Bio), le réseau de distribution Les Comptoirs de la Bio, se concentre au contraire sur le made in France avec quatre nouvelles références exclusivement issues du meilleur des terroirs : miel de châtaignier, miel de fleurs crémeux, miel de tilleul et miel de romarin. “La reconnaissance du producteur est essentielle et le nom de l’apiculteur ayant récolté le miel est indiqué sur chaque pot”, développe Philippe Bramedie, président fondateur de l’enseigne de magasins bio indépendants. “Par ailleurs, le groupement confirme ses engagements en faveur de l’environnement et de la biodiversité en reversant 1 % de ses ventes de miels à l’association Terre d’Abeilles, qui lutte activement pour la protection de cet insecte pollinisateur majeur et irremplaçable.”
On l’aura compris, les fabricants sont sur tous les fronts… Et œuvrer en faveur d’une plus grande durabilité des produits ne les empêche pas de redoubler d’efforts en termes de recherches afin de lancer sur le marché des saveurs toutes aussi inédites que rares…
Saveurs innovantes… et gourmandes
Un certain nombre de jeunes mielleries créatives cherchent en effet à se différencier. Misant sur la naturalité, elles parient par ailleurs sur la gourmandise, devançant ainsi les attentes d’une partie du grand public. D’où de nouveaux miels innovants, plus complexes, allant jusqu’à intégrer des ingrédients dans l’air du temps… Le miel bio Rosava chez Lavilà par exemple, est à base de miel d’acacia, de miel de tilleul pour la fraîcheur et intègre des pétales de rose lyophilisés qui lui confèrent une densité de parfum unique. Le segment conventionnel n’est pas en reste et propose lui aussi nombre de saveurs rares et gourmandes. Miel de cerisier ou de coriandre chez Apidis, miel de carotte ou de chardon à la Maison du Miel, miel de persil chez Miel & Miels, autant de nouveaux produits qui étonnent et secouent l’univers sensoriel habituel de l’apiculture. Comme Lavilà, Miel & Miels se plaît également à convoquer des ingrédients à la personnalité gustative marquée, à la faveur de mariages bien pensés tels que miel et thé matcha ou encore miel et gousse de vanille.
Enfin, Hédène célèbre cet automne deux nouveaux nectars issus de deux des terroirs les plus préservés de France. “Crémeux, notre nouveau miel de trèfle blanc est récolté dans le Périgord au sein du parc naturel régional Périgord-Limousin à proximité de Brantôme. Il se distingue par une saveur délicate, rehaussée par des notes florales subtilement acidulées. Nouveau également, le miel de rhododendron récolté dans les Pyrénées au sein du parc naturel régional des Pyrénées Ariègeoises, révèle quant à lui de doux arômes fruités mêlés à un léger goût citronné en bouche”, détaille Cyril Marx (Hédène).
Étiquetage : attention
aux mentions obligatoires !
L’étiquette d’un pot de miel se doit d’être compréhensible (sans abréviation par exemple), lisible, indélébile et en français. Les indications qu’elle doit porter sont les suivantes :
- Le numéro de lot ;
- La date limite d’utilisation optimale ;
- La date de péremption ;
- Le poids net ;
- Le nom et l’adresse de l’apiculteur ;
- Le(s) pay(s) d’origine du miel.
Forte de saveurs inédites et gourmandes, cette nouvelle offre premium de miels jette tout naturellement des passerelles vers l’univers de la gastronomie. Emmanuel Hébrard, chef du restaurant nouvellement étoilé L’Abbaye de la Bussière à Clermont-Ferrand, utilise ainsi volontiers les miels Apidis pour sublimer ses recettes comme celle du foie gras de canard laqué au miel ou encore celle du rouget barbet au basilic thaï et au miel. Non loin de là, à Chaudes-Aigues dans le Cantal, Serge Vieira, double étoilé au guide Michelin et Bocuse d’Or, a quant à lui choisi de cuisiner avec les miels Hédène.
Le bœuf grillé au miel de sapin du Jura, la poitrine de porc laquée au miel de châtaignier de Lozère, ou encore le clafoutis aux abricots au miel de lavande du Luberon sont quelques-unes de ses recettes phares.
Enfin, Miel Martine s’est pour sa part rapproché du chef Antonin Bonnet du restaurant Quinsou (Paris 6è). “Dès octobre, nous lançons un partenariat avec le chef étoilé Antonin Bonnet qui propose des accords miels / pains qu’il cuit lui-même et également des tartines gourmandes autour de nos miels : tartine carrot cake, feta et miel de lavande ; pan con tomato et miel de bruyère blanche… De nouvelles collaborations avec d’autres chefs sont prévues l’année prochaine”, promet Michel Pikhanov. Vivement !
Laurent Feneau
(1) Pour l’heure, seule la filière de la betterave sucrière
est concernée et ce uniquement pour des semences enrobées
(la pulvérisation reste interdite).
(2) Dans le Journal officiel du 11 juin 2020, il est écrit
à l’article 2-1, premier alinéa : “Pour le miel composé d’un mélange de miels en provenance de plus d’un État membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers, tous les pays d’origine de la récolte sont indiqués par ordre pondéral décroissant sur l’étiquette.”