“Le sel pousse-t-il au soleil ?” ironise le chimiste Pierre Laszlo, spécialiste du sel, en observant l’engouement pour la fleur de sel, “appellation selon lui, métaphorique et laudative” d’un phénomène naturel de cristallisation qui survient dans les oeillets des marais salants. D’une grande pureté, la fleur de sel est recueillie en très petite quantité par rapport au reste de la récolte, ce qui en fait la valeur. Considérée comme un produit de luxe du fait de sa relative rareté, c’est aussi un petit cadeau très tendance, offert à l’occasion des mariages.
La récolte de la fleur de sel
La cristallisation se forme pendant les après-midis d’été, lorsque l’écart de température dû à la brise entre l’air chaud et la surface du bassin, est suffisant pour former des petits cristaux en plaques au bord des oeillets (bassins). Ces cristaux aériens ne sont jamais au contact de la glaise du fond de l’oeillet et conservent ainsi cette couleur blanche, à la différence du gros sel, appelé aussi sel gris. La fleur de sel est ramassée manuellement et quotidiennement, à la brune, au pourtour des bassins par le paludier (à Guérande) ou le saunier (île de Ré ou Noirmoutier) à l’aide d’une lousse, sorte de raclette en châtaignier, résine ou aluminium. La fleur de sel de Guérande est ensuite égouttée et séchée au soleil.
Délicatement écrémée à la surface de l’eau, la fleur de sel est recherchée pour son parfum qui exhausse avec délicatesse les saveurs des légumes, crudités et fruits de mer. Sa production est toutefois limitée. En moyenne, un paludier de la presqu’île guérandaise produit à lui seul deux à trois tonnes de fleur de sel par an et 80 à 90 tonnes de gros sel. Non broyé et ne subissant aucun lavage, ni traitement chimique et sans aucune adjonction (agent antiagglomérant, agent de coulabilité, fluor, iode ou nitrite), le sel de Guérande est 100 % naturel ; ses cristaux préservent leur richesse naturelle en oligo-éléments, simplement trié et tamisé afin d’assurer une qualité constante. La fleur de sel de Camargue tente de se parer des vertus artisanales de ses concurrents vendéens sans convaincre vraiment. Enfin, la fleur de sel est-elle un produit bio ? Classé comme un produit minier et non un produit agricole, le sel bio n’existe pas. Les éléments aromatiques comme les herbes, algues, petits légumes, piment d’Espelette… peuvent bénéficier de la mention AB, mais pas le sel !
Symboles et croyances
Le sel est le symbole de la sagesse. Chez les Grecs, les Hébreux et les Arabes, il témoigne de l’amitié et de l’hospitalité parce qu’il est partagé, et de la parole donnée parce qu’il est indestructible. Les lutteurs de sumo en répandent sur l’aire de combat en signe de purification et de loyauté. La fleur de sel, selon Furetière (1691), n’est pas “le sperme de la baleine” comme le prétendait le médecin et
botaniste allemand Leonhart Fuchs ! Mais le sel est ambivalent. Ne dit-on pas aussi d’un repas au prix excessif que “l’addition est salée” ? Claude Duneton avance que “saler, c’est ajouter de la saveur aux aliments, donc de la valeur”. Et de citer Furetière pour qui “saler signifie aussi, estimer trop quelque chose… En vouloir trop d’argent”. Ce ne sont donc pas les restaurateurs qui ont inventé les additions salées ! Ceux-là, plus tard, ne feront que “se sucrer” conclut notre auteur avec cet esprit que l’on appelle aussi le sel attique !