ALEXANDRE MAZZIA CHAHUTEUR D'EMOTIONS
Bombardé Cuisinier de l’année 2019 (5 toques) par le Gault & Millau, détenteur de 2 étoiles au Guide Michelin, cet ancien basketteur de 43 ans est l’un des rares chefs marseillais dont la renommée dépasse les frontières de l’Hexagone. Rencontre avec un chahuteur d’émotions qui bouscule les codes.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Vos “menus de voyage”, succession de bouchées salées et sucrées, ne laissent aucune papille indifférente. À en croire Côme de Cherisey (Gault & Millau) “10 % pleurent d’émotion, 10 % détestent, 80 % aiment ou adorent”.
Alexandre Mazzia – Je fais une cuisine de sentiment, créative certes mais jamais dans la démonstration ni l’expérimental. Prenons l’exemple de la courge en aigre-doux. Tout y est très lisible : l’acidité du vinaigre, la rondeur du riz qui ressemble à un bonbon… Les réactions des gens me touchent. Pas plus tard qu’hier, une dame était en larmes. Et dans la bouche des chefs étoilés qui ont dégusté mes plats (Sébastien Bras, Paul Pairet, les frères Marcon…), les mots “singularité, engagement, travail” reviennent souvent. Mon grandpère m’avait dit : “Choisis un métier que tu auras le sentiment d’exercer sans compter, il te le rendra”. Du mardi au samedi, de 8 h 30 à 1 heure du matin nonstop, je suis chez moi. Et chez moi, c’est ma cuisine.
LMEF – Qui vous a fait quitter les terrains de basket pour emprunter celui des fourneaux ?
A.M – En fait, j’ai toujours mené les deux de front. Mais arrivé à un certain niveau, cela n’a plus été possible. Or, j’avais trop besoin de travailler la matière ! La cuisine et le sport ont en commun la rigueur et la bonne performance, celle qui ne s’exerce jamais aux dépens d’autrui. J’ai fait le tour du monde et rencontré des gens incroyables : Frédéric Dormeval, un ancien de chez Robuchon, Pierre Hermé (époque Fauchon), les chefs espagnols Martin Berasategui et Santi Santamaria, un extraterrestre ! À l’époque il fallait faire beaucoup de maisons et être besogneux si l’on voulait acquérir un maximum de techniques. Cela ne m’a jamais fait peur, bien au contraire.
LMEF – Pour assaisonner vos plats qui font honneur au terroir local, vous utilisez jusqu’à 200 épices. Réminiscence de votre Afrique natale ?
A.M – Bien sûr. Pourquoi ai-je un attrait pour le métallique ferreux, la torréfaction, les épices, le piment ? Tout vient de là. C’est la colonne vertébrale de ma cuisine. La palette aromatique est large mais rien ne se fait sans poudre de galanga, poudre de gingembre et poudre de cumin.
LMEF – Comment naissent vos plats ?
A.M – Tout m’inspire, une lumière, une photo, un paysage. De mon enfance passée au Congo, en face de la Côte Sauvage (Pointe-Noire), je garde des souvenirs liés à la mer : l’ocre des couchers de soleil, les vagues de cinq mètres de haut, les palourdes, les requinsmarteaux, les barbecues… Le produit aussi est une immense source d’inspiration. Ce matin, j’ai reçu des pointus de Sète, un poisson doté d’une mâche très marquée, presque élastique. C’est excitant de mettre en avant cette matière délicate que les gens n’ont pas
l’habitude de manger. On m’avait demandé un jour de résumer ma cuisine en une seule bouchée. Au bout d’un an et demi de réflexion, j’ai sorti l’anguille fumée chocolat, qui est devenue un plat signature. Il évolue en permanence en fonction de la texture de l’anguille. Les épices et le chocolat fin, ambré, changent aussi en fonction des saisons. Idem pour la biscotte végétale, autre plat signature qui suit le rythme des herbes et des fleurs avec la bergamote, le poivron et le cumin, la pommade de citron…
“Les épiciers fins sont des passionnés et en transmettant leur expérience, ils créent du lien.”
LMEF – Que pensez-vous des produits d’épicerie fine ?
A.M – Ils amènent souvent beaucoup d’exotisme mais exigent une grande maîtrise d’utilisation car certains ne se comportent pas de la même façon selon qu’ils se trouvent dans un milieu aqueux, dans de la crème ou du beurre. Il faut aussi veiller à la traçabilité, notamment avec la vanille ou la fève tonka. Cela dit, les gens qui tiennent ces boutiques sont des passionnés et en transmettant leur expérience, ils créent du lien.
LMEF – Quels rapports entretenez-vous avec Marseille, votre ville d’adoption ?
A.M – C’est un diamant brut qui se polit d’année en année, un petit San Francisco en devenir. Je lui trouve beaucoup de similitudes avec le Congo : la lumière, cette mer qui adoucit tout, le mistral et le sirocco… Il y a aussi un vrai melting-pot culturel, une grande mixité avec l’Afrique du Nord.
LMEF – Vous êtes le parrain de la 4e édition du Salon Food’in Sud*. En quoi consiste votre rôle ?
A.M – Prendre la parole parmi les acteurs importants de la région me donne l’occasion de mettre en avant les artisans locaux (pêcheurs, maraîchers…) avec lesquels j’ai tissé un formidable maillage. Ils ont besoin d’exemples de réussite et mon rôle consiste aussi à leur montrer que si l’on croit en soi, tout est possible.
*Du 26 au 28 janvier 2020, Parc Chanot à Marseille.
alexandremazzia.com
Propos recueillis par Patricia Khenouna