Après s’être remobilisée ces deux dernières année avec la campagne Bioréflexe, la filière bio française renforce sa communication en 2025 avec la diffusion à partir d’avril de spots de publicité sur les chaînes de télévision publiques et privées. Déclinée autour du slogan « C’est bio la France », cette première campagne TV tire les enseignements du Baromètre de Consommation et de Perception des Produits Bio 2025, en cherchant à relier l’image du bio à celle de la cuisine française.
L’édition 2025 de ce sondage (voir la méthodologie ici) établit en effet que les Français reconnaissent les qualités du bio… en théorie plus qu’en pratique. Ainsi, les trois-quarts des consommateurs de l’Hexagone approuvent l’affirmation selon laquelle les produits bio sont meilleurs pour la santé. Quatre sur cinq s’accordent à penser que l’agriculture bio est bonne pour la préservation de l’environnement et la biodiversité.
« Bien manger » ou « manger bio », le dilemme ?
Mais lorsqu’on leur demande ce que « bien manger » signifie pour eux, le bio s’efface devant d’autres affirmations. Les notions d’alimentation équilibrée et de plaisir des sens se détachent devant l’idée de « moment de convivialité partagée ». Le critère environnemental arrive loin derrière, en septième position.
Bref, « le bio joue les seconds rôles : sa notoriété en n’est pas forcément associée à son talent », observe Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, l’organisme national de promotion de l’agriculture biologique. Et Laure Verdeau de s’interroger : « Le bio a beaucoup (trop ?) d’arguments mais sont-ils les bons ? » La réponse se trouve dans les chiffres de l’Observatoire.
Une stabilisation mais pas encore de rebond
Cette enquête commanditée tous les ans par l’Agence Bio confirme que le nombre de consommateurs de produits bio a sévèrement chuté ces dernières années. De 75 % qui se laissaient tenter au moins une fois par mois en 2021, ils se sont resserrés à 54 % ces deux dernières années. Pour les consommateurs hebdomadaires, la courbe est passée de 52 % à 30 %. On connaît le diagnostic : guerre en Ukraine, inflation, etc.
Le problème est que les consommateurs qui ont abandonné le bio ne reviennent pas malgré la relative détente sur le pouvoir d’achat intervenue avec la baisse de l’inflation. En un an, la part des Français qui déclarent être contraints de restreindre leurs achats alimentaires a ainsi reculé de 5 points pour atteindre 39 %. Mais seulement 9 % ont l’intention d’augmenter leurs achats de produits bio en 2025, soit autant que de consommateurs qui entendent la réduire… La majorité (56 %) annonce qu’elle ne changera rien.

Méconnaissance des réalités de l’agriculture bio
À l’ObSoCo, l’institut qui a réalisé l’étude, on explique ce retard au réallumage par le concept de « fatigue informationnelle ». Près de quatre Français sur cinq n’en peuvent plus de la multiplication des mauvaises nouvelles, de la surinformation et des injonctions contradictoires qui défilent en continu sur nos écrans. En matière d’alimentation plus précisément, les clients ne savent plus à quel saint se vouer face à la profusion des labels… qui ont fini par user l’AB.
Résultat, « il y a des croyances à débloquer sur la bio », convient Laure Verdeau. Par exemple, 53 % des consommateurs estiment que la plupart des produits bio vendus en France ne sont pas produits en France. Alors que c’est tout le contraire : 83 % sont made in France hors produits exotiques ou non substituables. De même, la défiance sur les produits bio importés est exagérée quand on sait que le cahier des charges européen de l’agriculture biologique s’impose à tous les pays membres.
Remotiver les petits consommateurs
Cette lassitude et la méconnaissance de la réalité de ce qu’est l’agriculture biologique provoque un désinvestissement chez les petits consommateurs : 23 % d’entre eux n’achètent pas de produits bio parce qu’ils n’y pensent pas. Ce qui est le troisième frein à la consommation des produits bio après les prix plus élevés et les doutes sur l’intégrité des produits certifiés.
Dans la typologie de l’ObSoCo, ces consommateurs occasionnels sont catégorisés de « Distants ». Ils ont plutôt une bonne image du bio mais ne s’y intéressent pas assez ou ont besoin d’être rassurés sur l’intégrité des produits de l’agriculture biologique. L’enjeu pour les producteurs et distributeurs de produits certifiés AB est donc de les convaincre d’en acheter plus souvent sans les brusquer.
Le plaisir plutôt que l’injonction

C’est là qu’intervient la publicité. « Une campagne d’information peut déclencher l’achat : les premières campagnes Bioréflexe ont eu un effet immédiat sur les ventes de produits bio en magasins », déclare Laure Verdeau. Les interprofessions des fruits et légumes (Interfel) et du lait (Cniel) l’ont vérifié en confiant une étude ad hoc à JC Decaux et Nielsen. Chaque vague Bioréflexe se serait traduite par une hausse de 5 % des ventes de fruits et légumes ou produits laitiers bio en magasins.
Pour se rapprocher des Distants, la campagne « C’est bio la France » met en sourdine les arguments rationnels et d’intérêt collectif pour mieux célébrer le plaisir et la convivialité. Les premiers visuels fixes dévoilés le 27 février dernier au Salon de l’Agriculture (en attendant de voir les films en cours de montage) permettent de s’en faire une idée. Des photos chatoyantes montrent notamment les produits en situation (tartine apéritive, poêlée de pommes de terre, panier de fruits et légumes…)
Bourvil en signature sonore
Quand ils font le lien avec l’écologie, les textes emploient un ton décontracté : « Des poules qui prennent leurs éleveurs sous leurs ailes », « Des pommes de terre qui plaisent à la terre entière », etc. Les informations techniques (« 100 % des producteurs contrôlés une fois par an, c’est bio« ) apparaissent en troisième niveau de lecture . Enfin, l’expression « Bioréflexe » est reprise dans une formulation plus inclusive (« Ayons le bioréflexe ») en signature. À noter que C’est bio la France, s’est par ailleurs dotée d’une identité sonore. Elle a été créée à partir d’une chanson de Bourvil, « Passe-moi les crudités ».
Les interprofessions agricoles en relais
Conçue par l’agence The Good Company sélectionnée après compétition, la campagne « C’est bio la France » est dotée d’un budget de 10 millions d’euros sur les deux prochaines années, qui complètent les 8 millions d’euros de la précédente campagne Bioréflexe. Les interprofessions agricoles nationales et bio régionales gèrent l’achat d’espace, l’Agence Bio est responsable des créations. Celles-ci sont adaptées à chaque profession. L’intérêt du slogan est en effet qu’il peut être adapté aux besoins des différents partenaires de la collective (« C’est bio les oeufs, les fruits et légumes, etc. »)
Deux temps forts en 2025
En 2025, la campagne s’articulera autour de deux temps fort. Au premier semestre, C’est bio la France s’associera à la célébration des 40 ans du label AB lors de la journée mondiale de la biodiversité. Au second semestre, la Journée européenne de la bio fournira l’occasion de communiquer sur le thème « C’est bio l’Europe », le 21 septembre.
Avec cette campagne, la filière bio consacre la stratégie de « dédramatisation » de la consommation de produits bio initiée par les plus gros acteurs du secteur. La marque Bjorg (campagne « Bjorg to be alive ») et l’enseigne Naturalia ont montré la voie. Biocoop vient notamment de les rejoindre avec des affiches qui disent NON (aux pesticides, aux additifs…) en tout petit et OUI (à la biodiversité, au goût…) en très grand…
Une moment clé pour relancer la consommation bio
Ce réalignement général intervient enfin à un moment où le bio semble retrouver quelques couleurs. En 2024, le chiffre d’affaires des spécialistes bio est en hausse de 8 %, « une tendance s’est poursuivie en janvier 2025 », précise Jean Verdier, président de l’Agence Bio. Les grandes surfaces généralistes restent en recul mais seraient « en phase d’atterrissage », poursuit-il. Les marques de fabricant bio « pure player » y ont renoué avec la croissance.
« Le bio n’est pas une affaire de riches »
Le Baromètre des Produits Biologiques en France 2025 montre qu’il n’y a pas de détermination sociologique à consommer des produits bio. Certes, certaines catégories sont plus représentées parmi les consommateurs de produits bio mais elles sont loin de composer un profil homogène. Les 18-24 ans (9 %) et les 65-75 ans (8 %), les CSP+ (11 %) et les retraités (7 %), les ménages gagnants plus de 2 500 € par mois (9 %) et ceux qui gagnent entre 1 000 et 1 500 € (8 %) sortent du lot. Sans creuser significativement l’écart avec la moyenne française des 7 % de consommateurs qui achètent du bio.
Contrairement à une idée reçue donc, « le bio n’est pas une affaire de riches », martèle Laure Verdeau. Le seul critère un peu discriminant est celui du niveau d’études, avec 12 % de Bac +4 et la même proportion de Bac +5 qui mangent des produits AB. L’intérêt pour le bio serait donc avant tout une question d’éducation et d’information.
