
Il aura fallu treize ans aux producteurs aquitains de caviar pour obtenir leur indication géographique protégée (IGP). Michel Berthommier, président de l’Organisme de Défense et de Gestion de l’IGP Caviar d’Aquitaine et de Caviar Perlita, répond à nos questions sur la genèse, le contenu et les objectifs de cette reconnaissance officielle.
Le Monde de l’Épicerie Fine – Pourquoi le caviar d’Aquitaine a-t-il tant tardé à obtenir son IGP ?

Michel Berthommier – Je pense qu’en France on a un peu de difficulté à être efficace. Nous avons démarré le projet en 2012. À la suite d’une consultation des instances de l’Union européenne sur un problème avéré de concurrence déloyale avec la Chine, nous nous sommes orientés vers la démarche d’Indication géographique protégée (IGP).
Mais le dossier a peu évolué jusque 2021. Il y a eu des mois durant lesquels l’Institut national de l’origine et de la qualitéInstitut national de l’origine et de la qualité (Inao) ne répondait pas et d’autres pendant lesquels nous avons peut-être mis un peu trop de temps à répondre. En 2021, j’ai eu l’opportunité de croiser Julien Denormandie, qui était ministre de l’Agriculture à l’époque. Il a pris l’engagement de faire son possible pour accélérer le dossier. Et après, ça a avancé très vite. Le volet européen n’a pris qu’une année sur les treize de l’instruction. La procédure française est trop lourde et répétitive.
LMEF – Pourquoi une IGP et plutôt qu’une AOP ?

MB – Dès le début des discussions avec l’Inao, celui-ci nous a expliqué que la notion d’Appellation d’origine protégée (AOP) était intrinsèquement liée au terroir. Or nous voulions mettre en lumière le « bassin versant Adour-Garonne », dont l’aire est trop vaste pour une AOP. En revanche, celle-ci correspondait parfaitement à l’IGP.
LMEF – Combien d’entreprises sont candidates à l’IGP Caviar d’Aquitaine ?
MB – Les quatre entreprises membres de l’Association Caviar d’Aquitaine, devenue Organisme de Défense et de Gestion (ODG) depuis l’obtention de l’IGP, sont candidates (NDLR : Caviar de France, Caviar Perlita, Prunier Manufacture et Caviar Sturia). Au départ, nous étions plus nombreux. Mais la durée de la démarche a découragé quelques entreprises, tandis que d’autres ont été exclues.
Seuls quelques pionniers – ou quelques résistants si je puis dire – sont allés jusqu’au bout. Mais l’ODG a bien évidemment vocation à s’étendre à tous ceux qui désirent et peuvent se soumettre au cahier des charges de l’IGP. Deux entreprises supplémentaires ont le potentiel de correspondre aux critères. L’une des deux a déjà manifesté son intérêt.
LMEF – Y a-t-il encore un intérêt à adopter l’IGP aujourd’hui ?
MB – Nous sommes en tout cas tous convaincus qu’il faut faire le maximum pour que la singularité de la démarche soit connue et pour inciter nos clients à accorder une priorité à notre origine.
LMEF – Qu’attendez-vous concrètement de l’IGP ?
MB – En premier lieu, de la visibilité auprès des consommateurs. Le marché du caviar est épouvantablement opaque. La plupart des acteurs ne revendiquent pas les origines, ni les espèces d’esturgeons utilisées pour l’élaboration du produit. Donc ce marché repose sur des marques qui sont pour la plupart assez peu connues. Or les marques de luxe dans l’agroalimentaire et ailleurs sont une réassurance pour le client.
« Le marché du caviar est épouvantablement opaque. La plupart des acteurs ne revendiquent pas les origines, ni les espèces d’esturgeons utilisées«
Michel Berthommier (IGP Caviar d’Aquitaine)
En matière de caviar, même si certaines marques bénéficient d’une notoriété, on n’est pas au niveau d’un Hermès ou d’un Moët Hennessy. Le premier bénéfice attendu est donc que nos consommateurs sachent que le caviar IGP vient forcément d’Aquitaine, qu’il est produit en France en suivant un cahier des charges précis, etc.
LMEF – Quels sont les points forts de votre cahier des charges ?
MB – En premier lieu, notre caviar est issu d’oeufs d’esturgeons nés, élevés et transformés dans la zone de production Adour-Garonne. Ensuite, nous affichons de manière lisible la date de production, ce qui n’existe pas ailleurs dans le domaine du caviar. Connaître la date à laquelle le poisson a été péché et le caviar récolté permet de s’assurer précisément de la durée de consommation recommandée. Nous affirmons ainsi que les caractéristiques du produit final sont intimement liées à l’âge du produit. Notre cahier des charges définit par ailleurs de nombreuses règles autour de l’élevage des esturgeons, de la formulation de l’aliment et de tout le processus de production du caviar, notamment en termes de temps.
« Nous avons défini les termes techniques pour établir une grille organoleptique permettant de définir ce qu’est un bon caviar »
Michel Berthommier (IGP Caviar d’Aquitaine)
Enfin, nous avons innové en élaborant la première grille organoleptique de dégustation de caviar. Il ne suffit pas de dire : ”ce caviar est le meilleur du monde”. Nous avons défini les termes techniques qui permettaient de le qualifier et surtout de qualifier ce qu’un caviar ne doit pas être. Autrement dit, mesurer les goûts parasites, le trop de sel, d’amertume, d’acidité, tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre, finalement, témoigner de la dégradation du produit. Ces trois critères – aire d’origine, production et dégustation – seront sans aucun doute une aide importante pour les revendeurs ou les restaurateurs.
LMEF – Quelle est votre cible de clientèle ?
MB – Nous visons dans un premier temps la clientèle française qui est aujourd’hui majoritaire dans la consommation de caviar d’Aquitaine, ainsi que la proche Europe. Mais on peut tout à fait penser que l’IGP aura aussi des répercussions en grand export. Nos clients à l’étranger sont en effet des chefs qui, pour une grande partie d’entre eux, sont français.
LMEF – À quand la première communication collective ?
MB – Nous communiquerons à partir de la fin de l’été. Le caviar demeure en effet un produit extrêmement saisonnier. Nous devons nous réunir dans les prochaines semaines pour réfléchir aux modalités.