Jean Verdier vient d’être élu président de l’Agence bio pour deux ans. Il prend la présidence tournante de ce groupement d’intérêt public français ayant pour mission la promotion de l’agriculture biologique. Ingénieur agronome, fondateur du confiturier bio Naturgie en 1984, administrateur du syndicat Natexbio et agriculteur bio dans le Sud-Ouest, ce pionnier du bio nous explique pourquoi il reste confiant dans l’avenir de la bio, à un moment où les consommateurs, pouvoirs publics et agriculteurs prennent leurs distances la transition environnementale. Interview.
LMEF – Vous prenez votre fonction de président de l’Agence Bio au moment où la crise agricole a conduit le gouvernement à « mettre en pause » plan Écophyto et à revenir sur certains outils de la transition environnementale. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Jean Verdier – C’est vrai que sur la phyto ou la préservation de la biodiversité, les pouvoirs publics lâchent un peu les vannes. Les engrais chimiques, même s’ils sont plus chers qu’avant, sont toujours là. Face à cela, il faut réaffirmer ce qu’est la bio. C’est une agriculture globale qui n’utilise pas de produits chimiques de synthèse. Elle se sert des prédateurs naturels, de l’observation de la nature, de l’association de différentes cultures.
Il en va de même pour nos produits transformés. La transformation bio s’interdit les produits chimiques, tels que les exhausteurs de goût, certains process sanitaires comme les rayonnements gamma. Nous faisons uniquement usage de la vapeur d’eau pour assainir les épices, nous utilisons les colorants naturels de betterave, d’aronia ou de sureau plutôt que des colorants chimiques. C’est important de le réaffirmer.
LMEF – Cela suffira-t-il à relancer la bio ?
J.V. – Globalement, le regard du public s’est un peu détourné des problématiques environnementales et du monde de la bio. L’Agence bio a été parmi les premiers témoins de ce détournement passager. Les Français ont voulu « poser le sac » sur beaucoup de sujets environnementaux, il y a un ras-le-bol de la complexité administrative, auquel s’ajoute la question du pouvoir d’achat. Mais c’est une pause temporaire.
« L’agriculture biologique est le bon élève de la transition agricole et alimentaire«
LMEF – Pourquoi pensez-vous que cette crise restera passagère ?
J.V. – Personne ne conteste qu’il nous faudra remettre en marche la transition agricole et alimentaire à moyen et long terme. Or l’agriculture biologique répond bien à cet enjeu. On parle de souveraineté alimentaire, la bio en est un très bon élève. Les produits agricoles bio que nous consommons sont en effet à plus de 80 % cultivés en France, si l’on met à part les produits exotiques comme le cacao ou le café. Cela fait d’ailleurs partie des indicateurs que l’Agence bio mesure très précisément. On parle de circuit court, les agriculteurs bio sont très souvent en relation directe avec les magasins bio locaux. En termes de santé, il n’y a plus de débat : la bio est mieux-disante que l’agriculture conventionnelle.
Pour ces raisons, inévitablement la bio reviendra dans le champ. Nous n’échapperons pas à une remise à plat globale de notre système alimentaire et agricole. Mais ce n’est surtout pas une réflexion qui doit se mener à chaud. Il faut le faire rapidement mais pas dans la précipitation si l’on veut remettre les objectifs au centre des préoccupations.
« Ne pas aider les agriculteurs à rester bio après les avoir aidés à le devenir serait du gâchis »
LMEF – Et dans l’immédiat, quelles sont les priorités ?
J.V. – À court terme, il faut vraiment aider les agriculteurs bio pour qu’ils continuent de produire en agriculture biologique. Même s’il y a plus de résilience en bio par rapport au conventionnel (du fait de l’absence de recours aux engrais chimiques, NDLR), ils ont besoin d’être soutenus en termes de trésorerie. Alors que l’État les aidés à basculer en bio pendant leur période de conversion, ce serait du gâchis de les voir repartir en arrière.
Les marges de progression persistent, avec 5 % de la consommation alimentaire et 10 % des surfaces agricoles. Quand le Danemark est à plus de 12 % de consommation en bio. L’Allemagne a redémarré. En France, tous les grands réseaux bio, dont l’activité était encore en recul il y a six mois, renouent aujourd’hui avec la croissance de chiffre d’affaires. C’est un frémissement. Mais ils va dans le bon sens.
« L’Agence bio a recruté des chefs cuisiniers ambassadeurs dans les régions »
LMEF – Comment l’Agence bio encourage-t-elle ces « frémissements » ?
J.V. – L’Agence Bio joue trois grands rôles. Elle scrute et analyse le marché bio et le comportement des consommateurs. Elle communique et fait de la pédagogie sur les valeurs de la bio. Elle subventionne les initiatives intéressantes pour la bio. En matière de communication, dans le cadre de la campagne Bioréflexe soutenue financièrement par l’Union européenne, nous allons organiser une tournée en bus pour expliquer simplement ce qu’est l’agriculture biologique.
Nous avons aussi réuni toute une équipe d’ambassadeurs dans les régions, des cuisiniers qui créent des recettes bio, faciles et accessibles. Et nous allons communiquer auprès des restaurants, afin de les encourager à utiliser des produits bio avec ces chefs. Nous comptons par ailleurs sur la loi Égalim qui impose 20 % de produits bio dans la restauration collective, en souhaitant que l’État donne des instructions pour l’appliquer à ses propres cantines plus généralement un coup de pouce pour payer le différentiel de coût. Les Français sont la nation de l’OCDE qui passe le plus de temps à table, travaillons sur ce que nous sommes !
Propos recueillis par Olivier Costil