biscuits sucrés

Les Français n’ont pas fini de craquer pour les biscuits sucrés

Ni la crise ni la focalisation des Français sur leur santé n’ont entamé leur appétence pour les biscuits sucrés. Face aux difficultés du moment, ces derniers feraient même presque office d’antidépresseurs aux dires de certains professionnels. La noblesse des ingrédients, la consistance des savoir-faire et l’ancrage local sont les atouts des fabriques artisanales, qui redoublent néanmoins de vigilance pour absorber les hausses de coûts sans dégrader la qualité.

Le biscuit sucré reste une valeur sûre de la consommation alimentaire des Français. “Le marché du biscuit se porte plutôt bien en France. C’est un produit simple et abordable qui procure un instant de gourmandise instantané, pour soi et souvent pour autrui, permettant un moment d’échange”, pose Pierre-Emmanuel Toussaint, cogérant de la maison éponyme. “C’est un petit plaisir que l’on s’autorise ou que l’on offre, plus original qu’une bouteille de vin et un peu moins cher que les chocolats”, enchérit Aurélie Gourdon, cofondatrice de la biscuiterie artisanale Saveurs des Marais. À raison de quatre à quelque six euros le paquet, les biscuits sucrés artisanaux tiennent en effet leur rôle de gourmandise anticrise. Dans la crise économique, sociale et géopolitique contemporaine, ils auraient même un effet apaisant, à en croire les professionnels…

La tendance du “biscuit doudou”

Pour Isabelle Amiel, cofondatrice de la biscuiterie bio La Pierre Qui Tourne, “la tendance est aux produits rassurants que les consommateurs connaissent, autrement dit au biscuit un peu « doudou ». Les nouveautés et la différenciation par des textures ou des goûts inhabituels ne sont plus vraiment recherchées : les consommateurs pourront se laisser tenter une fois mais n’y reviendront pas.” La biscuitière s’appuie sur l’observation des clients de la boutique de la marque. Située à Couloisy, près de Compiègne, elle sert les ruraux en semaine et des Parisiens le week-end. “Avant, ces derniers demandaient : Qu’avez-vous de nouveau ? Aujourd’hui, ils réclament leur biscuit préféré…” décrit l’artisane. Katia Tardy, cofondatrice de la Biscuiterie Handi-Gaspi (qui a lancé la marque écoresponsable Kignon il y a trois ans, lire encadré), remarque ainsi que “les gens apprécient de plus en plus le moelleux : les madeleines, financiers, cakes sont préférés aux biscuits secs. Il y a comme une envie un peu régressive de ne pas mâcher.”

 

Ce repli nostalgique du consommateur sur la tradition fait toutefois débat. À la Biscuiterie de Provence, Amandine Végas, directrice marketing, met plus volontiers en avant la “touche d’originalité” susceptible de séduire la clientèle “en quête d’expériences gustatives uniques et de produits de qualité supérieure” qui fréquente les épiceries fines. Deux nouvelles recettes lancées par la marque ce mois de mai en témoignent. Il s’agit d’une part de sablés aux pralines roses à base d’amande, où la texture fondante du gâteau rivalise de gourmandise avec la douceur des pralines. Et d’autre part, de cookies aux cranberries et mélanges de graines bio, des ingrédients bio et végétaux plus connotés “gourmandise saine”.

Biscuit de Provence. Pralines roses
Biscuit de Provence. Pralines roses
Biscuiterie Namuroise. Moques caramel beurre salé
Biscuiterie Namuroise. Moques caramel beurre salé

Grands classiques contre revisites innovantes

Entre ces deux opinions, Sandrine Vigliano, cofondatrice de Mordicus, nuance : “En règle générale, les biscuits traditionnels (cookies, sablés, navette…) ont le vent en poupe, car ils sont réconfortants et nous renvoient à notre tendre enfance”, nous écrit-elle. Mais elle ajoute que la demande subsiste pour des “ingrédients différents”. 

À côté des classiques cookies aux pépites de chocolat et incontournables sablés pur beurre, Mordicus n’a donc pas renoncé à surprendre avec des recettes revisitées. Son “P’tit carré sablé à la cacahuète grillée des Landes et à la fleur d’oranger” ou sa “Brindille au jurançon caramélisée au sucre rapadura” en font partie. Même approche duale chez Saveurs des Marais, dont les deux dernières nouveautés, des sablés, jouent chacune leur propre registre. Le premier, au caramel – beurre salé, est un grand classique. Le deuxième, qui incorpore du pop-corn, vise une clientèle “un peu plus jeune ou moins traditionnelle dans ses goûts”, dépeint Aurélie Gourdon. “Le marché se segmente en différentes catégories telles que les biscuits nature, les biscuits sandwichs, les biscuits enrobés de chocolat, entre autres, offrant ainsi une large gamme de choix aux consommateurs”, conclut Paul Navez, cofondateur de la Biscuiterie Namuroise.

Celle-ci fonde ses innovations sur la revisite de son cahier des charges historique, datant de 1908, avec des ingrédients et saveurs au goût du jour.

Biscuiterie des Vénètes. P'tits vénètes caramel beurre salé.
Biscuiterie des Vénètes. P'tits vénètes caramel beurre salé.

Du biscuit “comme à la maison” et “de chez nous”

Le point commun entre ces différentes approches est la volonté de travailler des ingrédients de qualité et des recettes simples. “Nos produits sont sans colorant, ni arôme artificiel, conservateur ou additif chimique, expose Frank Bédouin, directeur général de la Biscuiterie de Provence. Les consommateurs attachent aujourd’hui beaucoup plus d’importance qu’avant à ce qu’ils ont dans leur assiette. Ils achètent des produits qui ont du sens et qui reprennent les codes des recettes faites à la maison”, poursuit-il. Même écho chez La Chanteracoise : “Nos recettes sont les plus réduites possibles, très proches de ce que pourrait faire un particulier chez lui” résume Sylvain Boucher, directeur général.

 

Établie dans le Périgord, La Chanteracoise a pour principe de privilégier les approvisionnements ultra-locaux. Par exemple, la poudre de noisette qui entre dans la composition de ses gâteaux provient du Moulin de la Veyssière, institution locale dont la réputation gastronomique n’est plus à faire. Créée il y a quatre ans, Mordicus est une biscuiterie 100 % bio du Béarn qui s’approvisionne le plus possible aux alentours. C’est vrai pour le jurançon – le vin du pays – et les arachides des Landes qui magnifient ses dernières nouveautés, comme pour ses ingrédients de base : farine de blé et œufs des Pyrénées-Orientales, huile végétale du Lot-et-Garonne (pour les brindilles)…

 

Aux yeux de beaucoup d’entre eux, cette proximité est un gage d’authenticité. Et leur locavorisme s’accorde à merveille avec le localisme pratiqué par vocation par de nombreux biscuitiers artisanaux. “Quand nos clients apprennent que Saveurs des Marais est une entreprise du Berry, cela déclenche l’acte d’achat, témoigne Aurélie Gourdon. Notre minotier est installé dans notre ville. Nous sommes labellisés C du Centre, la marque régionale. Nous mettons en œuvre des ingrédients locaux produits dans la région quand c’est possible.” Du biscuit “comme à la maison” au biscuit “de chez nous”, il y a une parenté qui plaît aux consommateurs.

Chanteracoise. Croquants amandes
Chanteracoise. Croquants amandes
Mordicus. Brindille Jurancon.
Mordicus. Brindille Jurancon.

Maintenir la qualité malgré l’inflation

Préserver ce capital de sympathie n’est pas une simple affaire dans l’actuel contexte d’inflation. Les artisans biscuitiers n’échappent pas à la hausse générale des coûts. Pour compenser, la majorité des fabricants ont choisi d’augmenter les prix de vente et de rogner sur leurs marges plutôt que de baisser en qualité.


“Même si les cours de certains ingrédients comme le chocolat ou le beurre bio ont atteint des niveaux délirants, il y a toujours le même pourcentage de matières premières nobles dans nos biscuits”, précise Isabelle Amiel. “Pour les matières premières, nous tenons à rester fidèles à nos producteurs locaux”, déclare de son côté Sandrine Vigliano. Mordicus s’adapte en essayant “d’acheter en plus grosses quantités la farine, l’huile ou les emballages, avec des livraisons plus espacées.”

La Chanteracoise bénéficie pour sa part de contrats conclus avec des producteurs locaux sur trois ans, via son minotier. “Je paye plus cher que le marché quand les cours sont bas mais moins quand ils sont au plus haut”, décrit Sylvain Boucher. Toussaint mise également sur les approvisionnements locaux.

 

Trois ans après le début de la guerre en Ukraine, le gros de la vague inflationniste semble toutefois se dégonfler pour la plupart des ingrédients. Mais l’énergie a pris le relais. “Le sujet du moment est celui de l’énergie, exprime Aurélie Gourdon. Les paramètres ne sont pas les mêmes d’une entreprise à l’autre et nous ne sommes pas les plus touchés. Jusqu’à présent nous tenons bon, tout en espérant l’arrivée des jours meilleurs.” Mordicus est passé entre les gouttes grâce à un contrat dont le terme interviendra en septembre. “Nous avons commencé à négocier auprès de tous les fournisseurs et certains comme Enercoop jouent vraiment le jeu. Nous devrions donc pouvoir passer la vague” espère Sandrine Vigliano.

Anticipation également à La Chanteracoise qui s’y est prise un an et demi avant l’échéance pour négocier son contrat d’énergie. Quant à la Biscuiterie de Provence, elle vient de s’équiper de panneaux solaires. Ceux-ci doivent permettre de couvrir 90 % des coûts énergétiques de l’entreprise à partir de l’an prochain.

Toussaint. Les demoiselles orange.
Toussaint. Les demoiselles orange.
Toussaint. Les demoiselles citron.
Toussaint. Les demoiselles citron.

Pression sur les emballages

S’ils refusent de transiger sur la qualité et l’origine des ingrédients, les biscuitiers se montrent plus flexibles sur les contenants. À l’incitation d’un des plus gros revendeurs de la marque, Toussaint vient ainsi de remiser ses élégantes boîtes rondes. Des modèles rectangulaires dotés d’une fenêtre les remplacent.

 

“Les consommateurs ont plus que jamais besoin de voir le produit”, explique Pierre-Emmanuel Toussaint. Les dérives de la “réduflation” (terme officiel désignant une baisse de quantité à prix égal ou supérieur) ont en effet attisé la crainte d’être trompé… Avec les boîtes à fenêtre, “nos ventes de sablés ont progressé de 25 % pendant la période des fêtes” relate le dirigeant. Il envisage de dédier les boîtes rondes à quelques séries spéciales événementielles.

Au passage, le changement de packaging permet de réduire une partie des coûts car les nouveaux emballages coûtent moins cher que les anciens. Mais cette fois encore, cette position ne fait pas l’unanimité. “Pour limiter l’impact de la hausse des prix, nous avons réduit les grammages de nos paquets”, reconnaît sans ambages Aurélie Gourdon. Selon elle, les clients l’ont accepté sans difficulté. “Si nous avions directement répercuté la hausse, il y aurait sans doute eu des protestations. Un paquet de gâteau n’est pas essentiel, on peut toujours s’en passer. Mieux vaut moins que plus jamais !”

 

À l’écart de ce débat, La Chanteracoise disposait déjà d’étuis transparents “qui tiennent debout sur l’étagère”, décrit Sylvain Boucher. Héritage de son savoir-faire biscottier, la marque insère en effet dans le sachet un fond cartonné qui fait également office d’étiquette.

 

Simple mais efficace, ce dispositif a permis à la marque de recruter des revendeurs en Bretagne où, selon Sylvain Boucher, elle se positionne comme alternative aux nombreuses fabrications locales ! Fort de cette expérience, le fabricant a choisi “de diversifier les conditionnements plutôt que de multiplier les références.”

 

Il propose désormais de petits sachets pour les cafés-hôtels-restaurants et coffrets cadeaux mais aussi de gros volumes à destination des collectivités. “Des centres de loisirs du voisinage ont notamment découvert que proposer des biscuits locaux au goûter plutôt que du pain et de la pâte à tartiner industrielle génère moins de gaspillage et leur revient presque moins cher, tout en étant meilleur pour la santé des enfants et pour l’économie de proximité”, se réjouit Sylvain Boucher. Un moyen inattendu de concilier RSE, santé et gourmandise !

Olivier Costil 

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