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L’invité : Frédéric Lalos « Le respect est la base de nos métiers »

À la tête de six boulangeries à Paris et trois à Taïwan, Frédéric Lalos poursuit son ascension avec une belle régularité. Nommé plus jeune Meilleur Ouvrier de France Boulanger en 1997, auteur de trois beaux livres, il fournit chaque jour quelques uns des plus prestigieux restaurants de la capitale. Une preuve s’il en fallait une, de son expertise en matière d’excellence…

LMEF – Quelle est la marque de fabrique de la maison Lalos ?

FRÉDÉRIC LALOS – Le respect, qui vaut pour tous les métiers touchant à l’alimentaire et il en faut beaucoup ! Pour la matière que l’on travaille, pour le client, pour les salariés… c’est fondateur. Pour le reste, on ne fait « que » notre métier, mais du mieux possible. Tous nos produits sont faits maison avec des ingrédients que je sélectionne soigneusement comme la farine par exemple. Je sais toujours où le blé a poussé, quel moulin l’a travaillée… Ensuite, il faut se donner les moyens de respecter cette matière première en travaillant la pâte afin qu’elle ait du goût et de la tenue, en lui accordant aussi le temps de fermentation nécessaire, en moulant autant que faire se peut, les pains à la main ; tout doit être fait dans les règles de l’art avec des recettes qui sont les nôtres.

LMEF – Vous avez décroché en 1997, à 26 ans, le titre de Meilleur Ouvrier de France alors que vous travailliez chez Lenôtre. Qu’est-ce que cette distinction a changé pour vous ?

F.L – Je suis bien incapable de vous dire ce qui se serait passé si je n’avais pas obtenu ce titre. Ce que je sais, c’est que tout s’ouvre pour vous et partout : vous allez voir un banquier et vous n’avez pas besoin d’argumenter, votre projet est validé, les chefs étoilés vous sollicitent… On s’intéresse à vous, on vous invite
à travers le monde pour faire des démonstrations.
Ça en devient parfois gênant ! En tout cas pour moi, issu d’un milieu normand modeste, ce n’était pas naturel de voir qu’en Asie, je n’avais même plus le droit de porter ma sacoche et que l’on dépliait le tapis rouge dans les endroits où je venais faire mes démonstrations ! À 26 ans, cela surprend forcément. Avec le recul, je peux dire que c’est un très beau titre mais qu’il ne faut pas s’y enfermer, il faut rester accessible et partager.

LMEF – Vous vous êtes installé à votre compte en 2000, il y a un peu plus de 15 ans. Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre métier ?

F.L – D’un côté purement professionnel : le salariat mais cela n’est pas propre à la boulangerie. Ensuite, côté boutique, nous avons trouvé de nouveaux leviers de développement comme la petite restauration qui a pris beaucoup de place parce que les gens font confiance à leur boulanger. Enfin, il y a la recherche de nouveautés que l’on partage avec les épiciers fins. Et notre recette est la même : la dégustation. Lorsque je fais déguster un nouveau pain ou un nouveau gâteau, j’en vends 50 % de plus.

LMEF – On vous retrouve également avec trois points de vente à Taïwan. Pourquoi ce pays ?

F.L – Avec mon associé Pierre-Marie Gagneux, nous avions au départ, envie de travailler à l’étranger et notre concept de boutique était pensé dans ce sens. Mais Taïwan est arrivé par hasard, tout simplement parce que nous y avons trouvé le partenaire avec lequel nous étions en phase. Je cherchais un partenaire qui défende nos valeurs, qui accepte que j’importe ma farine et mon beurre de France et qui soit disposé à faire des produits de qualité, même si cela devait lui coûter un peu plus cher. Nous avons ouvert notre premier magasin en octobre 2011, nous en sommes à trois aujourd’hui et il y en aura bientôt d’autres en Asie.

LMEF – Vous êtes également le fournisseur attitré de nombreux grands restaurants étoilés à Paris, de Guy Savoy en passant par Le Pavillon Ledoyen, Taillevent, L’Atelier Robuchon… Vous livrez en tout 35 étoilés… Avez-vous des échanges avec ces grands chefs et que viennent-ils chercher chez vous ?

F.L – Vous ne pouvez pas conserver des clients prestigieux si vous n’êtes pas régulier et je pense que c’est la première condition. Ensuite, il faut savoir se mettre la pression nécessaire pour rester au niveau. J’ai la chance d’être entouré de très bonnes équipes et c’est primordial. Enfin, même si je reste maître d’œuvre des recettes, il y a heureusement des échanges avec ces grands chefs qui nous donnent leurs orientations, nous parlent de leurs cartes, de leurs envies ou de leur philosophie et c’est toujours enrichissant. Yannick Alléno par exemple, souhaitait proposer des petits pains de 25 g qu’il voulait présenter comme des bijoux ; Guy Savoy au contraire voulait des pains plus gros qu’il puisse trancher… D’autres nous proposent les épices que l’on retrouve dans leurs plats ou encore, comme Jean-François Piège, nous demandent des recettes exclusives.

LMEF – On retrouve dans la boutique Lalos de la rue des Belles Feuilles à Paris (16e), quelques produits d’épicerie fine…

F.L – Il n’y en a pas dans « Les Quartiers du Pain » mais cela s’est imposé dans ce concept un peu plus haut de gamme parce qu’il y a de la demande. Je ne vais pas vous dire que les clients entrent chez moi pour du thé ou un pot de confiture, mais ils sont ravis d’en trouver lorsqu’ils viennent acheter leur pain ou leurs gâteaux. C’est un produit « service » qui marche bien.

LMEF – Pensez-vous dans un sens contraire qu’il y aurait pour les épiciers fins, une légitimité à vendre du pain ?

F.L – C’est une bonne idée mais cela ne peut pas fonctionner avec la baguette qui doit toujours sortir du four et être cuite tout au long de la journée pour garder sa fraîcheur et son croustillant. En revanche, je serais partant avec de gros modèles, de grosses miches de pain de campagne pouvant se conserver quelques jours ou encore un gros pain au levain qui pourrait se vendre à la coupe… Cela dit, il faut un volume suffisant, car avec trois ou quatre miches par jour, ça ne sera rentable pour personne.

LMEF – Comment voyez-vous évoluer votre profession ?

F.L – Le monde de la boulangerie s’est affaiblit et je crains que cela ne s’arrange pas. Autrefois, les boulangers ne déposaient jamais le bilan, les banquiers prêtaient les yeux fermés et ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il est de plus en plus difficile de s’installer, de trouver des salariés motivés et consciencieux qui acceptent de se lever à 3 ou 4 h du matin, de travailler le dimanche, les jours de fêtes… C’est sans doute l’un des plus beaux métiers qui soient mais pour la vie de famille, ce n’est pas simple et c’est dommage car, comme je le dis souvent aux jeunes, la boulangerie permet de trouver un emploi, de voyager, d’enseigner, d’être à son compte… C’est un métier riche de valeurs et il est possible que je me lance un jour dans un projet d’école, car il faut malgré tout rester optimiste et transmettre notre savoir.

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